PNACC 3 : les financements favorables à l’adaptation restent très insuffisants – avis du Haut Conseil pour le climat
Par : Sophie Sanchez
© iStock/WireStock
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Le Haut Conseil pour le climat (HCC) s’est auto-saisi d’un avis sur le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3), avis rendu public jeudi 13 mars 2025. Cet avis qui définit cinq conditions de réussite du plan et formule 24 recommandations, réaffirme et actualise plusieurs recommandations formulées dans les deux derniers rapports annuels du HCC, publiés en 2023 « Acter l’urgence, engager les moyens » (lire notre article) et en 2024 « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population ».
Si le HCC salue la publication du PNACC 3, « un document essentiel », ces membres soulignent dès les premières pages de leur rapport que « Les financements favorables à l’adaptation dans le PNACC 3 restent très insuffisants » et appellent à « doter le PNACC 3 d’un plan de financement complet (État/collectivités/privé) prévoyant un renforcement des financements de l’adaptation sur la base d’un cadre incitatif et réglementaire et [à] mettre en place un suivi transparent des crédits alloués à chaque mesure ».
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Contexte
Le HCC salue la publication du troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3) (lire notre article), adopté après plusieurs années de concertations et de consultations. Le PNACC 3 constitue un « document essentiel, à travers l’établissement de référentiels communs et le traitement des vulnérabilités structurantes, pour mieux protéger la population dans un scénario de réchauffement moyen mondial de l’ordre de + 3 C°, c’est à dire + 4 C° en France métropolitaine ».
Le PNACC 3, comme le rappelle l’avis du HCC, constitue avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC 3) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) l’un des trois piliers de la Stratégie française de l’énergie et du climat (SFEC – lire notre article). L’adoption rapprochée de ces trois documents, en les articulant pour construire des réponses systémiques intégrant adaptation et atténuation, est l’opportunité d’affirmer une action climatique cohérente et de maintenir le cap de l’adaptation et de la décarbonation de la France, en accord avec ses engagements européens (paquet climat « Fit for 55 ») et internationaux (Accord de Paris).
Le Haut Conseil pour le climat (HCC) souligne que la France est très exposée aux risques climatiques. L’Europe est le continent qui se réchauffe le plus vite et le réchauffement a atteint + 2,2 C° en France sur les 10 dernières années. Pour limiter l’ampleur du réchauffement à venir, il est indispensable de poursuivre les actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, tant que la neutralité carbone ne sera pas atteinte au niveau mondial, l’accumulation de chaleur dans le système climatique se poursuivra. Il est donc essentiel de se préparer dès aujourd’hui à faire face aux conséquences du réchauffement des prochaines décennies, pour en limiter l’aggravation.
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Constat
Pour autant, le HCC exprime de nombreuses réserves sur le texte. « Les financements favorables à l’adaptation dans le PNACC 3 restent très insuffisants », relève l’avis dès son premier chapitre. « Les actions du PNACC 3 qui nécessitent des investissements immédiats doivent pouvoir être identifiées le plus rapidement possible », ajoute le texte.
L’orientation d’une partie des financements publics dédiés à la prévention des risques et à la transition écologique vers l’adaptation (Fonds de prévention des risques naturels majeurs dit fonds Barnier, fonds vert, Contrats pour la réussite de la transition écologique) est prévue par le PNACC 3. Mais « une grande partie des financements reste à définir et les financements connus à ce stade sont insuffisants ». Et la mise en œuvre du PNACC 3 « nécessitera la publication d’un plan pluriannuel de financement détaillé des mesures actées ».
Ainsi le HCC « regrette qu’un nombre très réduit d’actions du PNACC 3 indique à ce stade les montants consacrés et les modalités de financements » : dans le détail,
- le financement de plusieurs mesures d’adaptation dépend du fonds vert qui a récemment été réduit de 1,35 Md €, passant de 2,5 Md € en 2024 à 1,15 Md € en 2025 ;
- des financements dédiés à l’adaptation des agences de l’eau figurent dans le PNACC 3 en soutien budgétaire à de nombreuses actions sans que la ventilation budgétaire de ces actions ne soit précisée ;
- le fonds Barnier a augmenté (+ 75 M€ par rapport à 2024 pour atteindre 300 M€ en 2025) mais de manière limitée et moins que ce que l’on aurait pu attendre (450 M€) s’il avait suivi la même trajectoire que la hausse de surprime CatNat (de 12 à 20 % à compter du 1er janvier 2025) sur laquelle il était autrefois indexé.
De fait, « l’aggravation des impacts du changement climatique nécessitera d’augmenter le financement de l’adaptation », rappelle l‘avis. Les impacts du changement climatique ont des coûts annuels récurrents élevés (par exemple, 10 Md € en 2022 pour les seuls biens assurés) et ces coûts vont augmenter à l’avenir.
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Recommandations du Haut Conseil pour le climat
Pour assurer le succès du PNACC 3, le HCC formule 24 recommandations concernant :
- le renforcement du financement, de la valeur juridique, de la gouvernance, de l’accompagnement des acteurs, du suivi et de l’évaluation du plan ;
- le renforcement de l’intégration de l’adaptation dans les politiques publiques environnementales, sociales et de sécurité ;
- le renforcement du socle de connaissances de l’adaptation ;
- le passage à une adaptation transformationnelle ;
- l’alignement des politiques aux échelles nationale, européenne et internationale.
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Jouer un rôle de catalyseur des financements
C’est pourquoi le HCC préconise que le PNACC 3 « joue un rôle de catalyseur de financements à la fois publics et privés en combinant des mesures réglementaires et incitatives en faveur de l’adaptation au changement climatique. » Pour des projets sensibles au climat, les autorisations réglementaires et les aides publiques (aux collectivités territoriales, aux entreprises et aux ménages) doivent être progressivement conditionnées à la mise en œuvre de normes et d’actions d’adaptation au changement climatique. Un cadre incitatif clair facilitera l’augmentation des financements favorables à l’adaptation, par exemple, la création de fonds et de facilités de financement, la planification budgétaire climatique, le fléchage des dépenses en faveur de l’action climatique et la planification des investissements en matière d’adaptation.
Pour le secteur privé, l’investissement pourrait être encouragé par des cartographies locales des risques climatiques, des plans d’adaptation et des taxonomies d’adaptation.
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Repenser l’équilibre entre les acteurs du secteur de l’assurance
Le rôle couplé de la prévention et de l’assurance en faveur de la résilience et de l’adaptation au changement climatique mis en avant par le PNACC 3 (axe 1) ne pourra, prévient le HCC, produire les effets attendus à grande échelle que si l’équilibre entre les acteurs du secteur de l’assurance est repensé pour faire face à des situations qui dépassent d’ores et déjà les mécanismes de couverture actuels.
Les mesures de prévention, d’aménagement du territoire, de gestion et mutualisation des risques et de reconstruction résiliente post-catastrophes sont essentielles pour faire face à l’amplification des événements climatiques extrêmes. Différer l’engagement de ces mesures conduirait à une réduction des options d’adaptation possibles et entraînerait une augmentation des coûts à long terme de l’adaptation, souligne encore l’instance.
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Prendre en compte les vulnérabilités sociales dans la mise en œuvre des mesures d’adaptation
Le HCC préconise que la prise en compte des vulnérabilités sociales au sens large dans la mise en œuvre des mesures du PNACC 3 soit renforcée, afin de permettre ainsi de cibler les efforts d’adaptation et d’améliorer la prévention des risques et la résilience des populations concernées. Au niveau mondial le changement climatique exacerbe déjà les inégalités existantes, qu’elles soient liées au niveau socioéconomique, au genre, à la vulnérabilité physique, de santé, à l’appartenance à des minorités ou encore au territoire.
Tandis que le changement climatique impacte de plus en plus les travailleurs, les normes et référentiels techniques actuellement en vigueur en France restent insuffisants pour garantir leur protection, surtout en présence de facteurs aggravants. Ils doivent être renforcés et élargis. Le changement climatique augmente les risques de maladies chroniques, d’accidents du travail, d’absences du personnel, de dégradation de la qualité du travail effectué, et d’intensification du travail en lien avec des réorganisations en flux tendu. Les dispositions issues du code du travail prévoient actuellement que les employeurs évaluent les risques liés aux fortes chaleurs et mettent en place les mesures de prévention adaptées. La plupart des dispositifs mis en place (distribution d’eau, aménagement des horaires, pauses supplémentaires) ne permettent toutefois pas une transformation structurelle de l’organisation du travail. L’avis relève que le PNACC 3 propose des évolutions pertinentes (équipements de protection individuelle, indemnisation des arrêts de travail notamment) et une concertation pour mieux intégrer les vagues de chaleur dans le code du travail. Mais, les évolutions du PNACC 3 pour le code du travail ne prévoient pas l’expertise ni l’adoption de mesures jugées les plus efficaces par l’Organisation internationale du travail pour limiter les risques professionnels liés au stress thermique, telles que l’utilisation de l’indice WBGT (Wet Bulb Globe Temperature) ou le recours aux seuils de température maximum d’activité.
En outre, elles ne prennent en compte que les vagues de chaleur alors que d’autres risques climatiques (comme les inondations ou les incendies) modifient aussi les conditions de travail. Elles sont limitées au secteur du BTP et aux industries de process alors que de nombreux autres secteurs sont impactés par le changement climatique (comme l’agriculture, la sylviculture, les services de santé, les services de secours …).
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Mettre en place des mesures d’adaptation transformationnelle
Le HCC constate que le PNACC 3 propose surtout des mesures d’adaptation incrémentale, qui risquent de rencontrer des limites. Le plan n’arbitre pas non plus entre les niveaux de pertes résiduelles (après adaptation) qui seraient considérés comme collectivement acceptables.
C’est pourquoi il préconise « des mesures d’adaptation transformationnelle » qui, « en favorisant une action rapide, profonde et systémique », permettent d’anticiper suffisamment en amont les besoins et les limites d’adaptation et de ne pas être pris au dépourvu au moment de l’occurrence d’évènements inédits.
À cet égard, le HCC relève que « La minimisation des coûts à court terme ne peut constituer le seul critère du choix des mesures d’adaptation, car ce critère conduirait à écarter des actions d’adaptation transformationnelle dont le coût peut être plus élevé à court terme mais qui permettent d’éviter des pertes et dommages de très forte ampleur et bien plus coûteux à moyen et à long termes ».
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Contribuer à maintenir l’ambition de la coopération européenne et internationale en matière d’adaptation au changement climatique
Le HCC fait valoir que la France doit contribuer à maintenir l’ambition de la coopération européenne et internationale en matière d’adaptation au changement climatique. Or le PNACC 3 ne contient pas de mesure dédiée à l’action européenne et internationale même si ces enjeux transversaux sont bien identifiés.
Au niveau international, la France s’est engagée à la COP-28 à Dubaï (lire notre article), à mettre en œuvre d’ici 2030 les 11 objectifs spécifiques du Cadre pour la résilience climatique mondiale, afin d’atteindre l’objectif mondial d’adaptation de l’Accord de Paris. Si ces objectifs semblent pour la plupart pris en compte dans le PNACC 3, celui concernant la réduction des impacts du changement climatique sur la pauvreté et les moyens de subsistance est peu présent.
La politique européenne d’adaptation met par ailleurs en avant plusieurs domaines d’action dont la transition juste, les risques de mal-adaptation, les solutions fondées sur la nature et la réalisation de stress tests par rapport aux risques climatiques. Le PNACC 3 devra donc être complété pour mieux s’inscrire en tant que plan national dans la politique européenne.
De fait, note le document, « dans un contexte marqué par le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, du financement climat, des recherches sur le changement climatique et par le démantèlement de l’USAID, un enjeu majeur concerne l’engagement de la France et de l’Union européenne dans la diplomatie scientifique ainsi que dans le financement et dans le soutien aux plans nationaux d’adaptation des pays à faible revenu ».
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Le Haut Conseil pour le climat
Le Haut Conseil pour le climat a été installé le 27 novembre 2018 par le président de la République et par décret n°2019-439 du 14 mai 2019. Il est inscrit dans la loi relative à l’énergie et au climat de 2019.
Présidé par Jean-François Soussana, le Haut Conseil pour le climat est composé au maximum de 12 membres choisis pour cinq ans en raison de leur expertise scientifique, technique et économique dans les domaines des sciences du climat et des écosystèmes, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que de l’adaptation et de la résilience face au changement climatique.
Parmi eux, figurent Michel Colombier (co-fondateur et directeur scientifique de l’IDDRI), Benoît Leguet (directeur général d’I4CE), Valérie Masson-Delmotte (chercheuse à l’Institut Pierre Simon-Laplace et ancienne vice-présidente du groupe de travail I du Giec, 2015-2023) et Laurence Tubiana (Présidente et directrice exécutive de la Fondation européenne pour le climat, co-architecte de l’Accord de Paris et ancienne ambassadrice de la France pour les négociations climat).
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Avis du HCC du 13 mars 2024
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