La valeur de l’action pour le climat, une référence pour valoriser les impacts carbone des projets d’investissement (Commission Quinet)
Par : Sophie Sanchez

Le rapport de la commission Quinet, du nom d’Alain Quinet, inspecteur des finances, sur « La valeur de l’action pour le climat, une référence pour évaluer et agir » a été rendu public par France Stratégie le 20 mars 2025. Cette commission composée de près d’une trentaine d’experts met à jour la trajectoire de la valeur de l’action pour le climat, dite aussi valeur tutélaire du carbone.
Outil d’aide à la planification, la valeur de l’action pour le climat constitue une référence visant à s’assurer que l’on se met sur le « bon chemin » de décarbonation au meilleur coût. Elle ne doit pas être confondue avec un niveau souhaitable de taxation : elle ne préjuge pas de la combinaison optimale des instruments de la politique climatique (normes, subventions, taxes, etc.).
Sa vocation première est d’aider à identifier et ordonner dans le temps les actions de décarbonation et à valoriser les impacts carbone des projets d’investissements. Elle doit ainsi aider à atteindre, de manière aussi efficiente que possible, les objectifs de la troisième Stratégie nationale bas carbone (SNBC-3 – lire notre article) : une baisse de 50 % des émissions brutes de gaz à effet de serre (par rapport à 1990) en 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050, c’est-à-dire l’équilibre entre émissions anthropiques de gaz à effet de serre et absorption par les puits de carbone.
La commission relève que la valeur de l’action pour le climat peut aussi fournir une référence aux entreprises souhaitant se doter d’un prix interne du carbone pour éclairer leurs choix et aux acteurs de la société civile (équipes de recherche, organisations non gouvernementales ou encore think tanks) pour challenger les politiques publiques et formuler des propositions.
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Contexte
Atteindre l’objectif « zéro émission nette »
L’Union européenne et la France se sont fixé des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) jusqu’à la neutralité carbone à l’horizon 2050. Leur atteinte suppose une planification écologique « à la fois ambitieuse et réaliste ». L’Europe et la France peuvent se targuer de premiers résultats positifs, avec une baisse des émissions de GES de plus de 30 % depuis 1990 selon le rapport – dans un contexte où les émissions mondiales de GES n’ont cessé d’augmenter. Mais des efforts supplémentaires sont nécessaires.
En effet, l’ambition européenne et française est d’atteindre l’objectif « zéro émission nette » (ZEN) en 2050 – les émissions brutes résiduelles ayant vocation à être compensées par les puits de carbone que sont notamment les sols, les forêts et progressivement les dispositifs technologiques de capture et de séquestration du carbone.
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Définition
Donner une valeur monétaire à l’action pour le climat
Dans ce cadre, la valeur de l’action pour le climat représente le niveau d’effort que la société doit assumer pour atteindre la neutralité carbone, précise le rapport. En d’autres termes, la valeur de l’action pour le climat (VAC) – historiquement appelée « valeur tutélaire du carbone » – donne une mesure du chemin qui reste à parcourir et de l’intensité des efforts à accomplir.
Elle exprime corrélativement la valeur que la collectivité accorde à chaque tonne de CO2e abattue, autrement dit la valeur que la société doit accorder aux actions publiques et privées de décarbonation permettant d’arriver au bout du chemin.
« Ce sont les deux faces d’une même pièce », insiste la commission Quinet. « Donner une valeur monétaire à l’action pour le climat, c’est ainsi reconnaître la valeur de l’action par rapport à la non-action, c’est se donner une vision partagée des efforts à engager. Il ne s’agit pas de favoriser une « marchandisation » de la nature ou de l’environnement. Il s’agit bien au contraire de donner une valeur aux actions de lutte contre le changement climatique spontanément négligée par le marché, tant du côté des producteurs que des consommateurs. »
Graphique 1. Usage de la valeur de l’action pour le climat pour évaluer les actions et les mesures prises pour les soutenir
Source : rapport de la commission Quinet, mars 2025
Les trois prix du carbone
Le terme de « prix du carbone » peut recouvrer des réalités différentes, rappelle la commission Quinet. On en distingue traditionnellement trois :
▪ La valeur de l’action pour le climat (VAC) :
historiquement appelée « valeur tutélaire du carbone », elle incarne la valeur que la collectivité doit donner aux actions publiques et privées permettant d’abattre une tonne d’équivalent CO2e. Elle s’inscrit dans une logique coût-efficacité, déterminant comment atteindre un objectif donné à moindre coût ;
▪ Le coût social du carbone :
il représente la valeur actualisée des dommages marginaux futurs d’une tonne de CO2e émise aujourd’hui. Il s’inscrit dans une approche coûts-bénéfices − le niveau d’émissions optimal étant celui qui égalise coût d’abattement marginal et dommage marginal ;
▪ La tarification explicite du carbone :
prenant la forme de taxes ou de marchés de quotas, la tarification fait partie des incitations publiques contribuant à décentraliser les actions de décarbonation privées. Les tarifications explicites du carbone en vigueur s’inscrivent généralement à des niveaux inférieurs, voire très inférieurs, aux prix fictifs du carbone que sont la valeur de l’action pour le climat et le coût social du carbone.
En d’autres termes, la valeur de l’action pour le climat n’est pas une taxe mais une référence (un « prix fictif ») pour définir le périmètre et l’intensité des actions permettant d’atteindre les objectifs au moindre coût, conclut le rapport.
À cet égard, la troisième Stratégie nationale bas carbone (SNBC-3), qui doit être officiellement adoptée dans les prochains mois, va sensiblement renforcer l’objectif de réduction des émissions à l’horizon 2030, en cohérence avec la cible européenne de baisse de 55 % des émissions nettes par rapport à 1990 (« Fit for 55 »).
Précisément, explique la commission Quinet, la valeur de l’action pour le climat constitue une mesure monétaire du chemin à parcourir pour atteindre les objectifs ambitieux de la SNBC à moindre coût : une baisse de 50 % des émissions brutes de GES (par rapport à 1990) en 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050, c’est-à-dire l’équilibre entre émissions anthropiques de GES et absorption par les puits de carbone.
La commission Quinet souligne en outre que « à l’heure où l’administration Trump démantèle les outils d’évaluation socioéconomique dédiés au climat, la France est aujourd’hui l’un des rares pays dans le monde à disposer d’un référentiel d’évaluation des politiques publiques de décarbonation complet et régulièrement mis à jour ». Il doit être « davantage utilisé car il n’y a pas de bonne planification écologique sans bonne évaluation ».
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Valeur du prix du carbone réhaussée
Motifs de la revalorisation
Le rapport rappelle que l’objectif « zéro émission nette » (ZEN) fondait la trajectoire de la valeur de l’action pour le climat de 2019. Cet « objectif ambitieux » continue de guider la nouvelle trajectoire.
Le document souligne aussi que la trajectoire de la valeur de l’action pour le climat doit bénéficier d’une certaine stabilité dans le temps. La modifier trop souvent, c’est prendre le risque de lui faire perdre sa valeur d’ancrage des anticipations publiques et privées. C’est aussi perturber les évaluations des projets d’investissements qui y ont recours. Il faut donc de « bonnes raisons » pour réviser la trajectoire élaborée il y a six ans.
Précisément, trois séries de facteurs invitent à « réviser » la trajectoire de 2019 : le relèvement de l’ambition 2030, l’évolution du contexte technicoéconomique et la révision du taux d’actualisation socioéconomique. Cette revalorisation est également cohérente avec le fort besoin d’investissements supplémentaires d’ici 2030 identifié dans le rapport Pisani-Ferry et Mahfouz (2023 – lire notre article) sur les incidences économiques de l’action pour le climat (lire notre article).
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Relèvement de l’ambition 2030
Graphique 2. Répartition des efforts dans le temps de la SNBC-2 à la SNBC-3 par décennie entre 2019 et 2050
Source : rapport de la commission Quinet, mars 2025
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Le relèvement de l’objectif 2030 inscrit dans le projet de SNBC 3, de – 40 % à – 50 % en émissions brutes (par rapport à 1990), contribue à une meilleure répartition des actions dans le temps, avec des efforts avancés à hauteur de 40 millions de tonnes d’ici 2030. Ce relèvement pousse, toutes choses égales par ailleurs, à revoir à la hausse les valeurs de début de période.
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Meilleure compréhension des chemins de la décarbonation
Le rapport constate que les chemins de la décarbonation se sont précisés depuis six ans – même si l’on ne peut pas parler a priori de rupture dans les technologies et les comportements. Au-delà des synthèses réalisées par le GIEC et l’Agence internationale de l’énergie, les travaux sous-jacents à la SNBC-3 montrent que l’on dispose aujourd’hui d’une vision plus claire du portefeuille des technologies bas carbone mobilisables et/ou prévisibles.
Les travaux de la commission Criqui sur les coûts d’abattement, publiés par France Stratégie entre juin 2021 et janvier 2022, ont notamment permis de préciser les coûts pour l’économie française des différentes technologies visant à décarboner l’électricité et à électrifier un nombre croissant d’usages (lire notre article).
La contribution potentielle des puits a également été approfondie : la dégradation du puits forestier est plus marquée qu’anticipé il y a six ans, tandis qu’à l’inverse, il semble possible d’être plus ambitieux concernant la mobilisation des puits technologiques.
Révision à la baisse du taux d’actualisation socio-économique
Le comité d’experts des méthodes d’évaluation socioéconomique des investissements publics de France Stratégie a revu en 2021 le taux d’actualisation public sans risque, celui-ci baissant de 4,5 % à 3,2 %. Cette révision a pour effet de réduire la pente de la valeur de l’action pour le climat.
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Une trajectoire de long terme alignée sur un relèvement de l’ambition 2030
Fiabilisation de la trajectoire de la valeur de l’action pour le climat
Graphique 3. Nouvelle trajectoire de la valeur de l’action pour le climat
Source : rapport de la commission Quinet, mars 2025
La commission Quinet relève d’abord que la valeur de l’action pour le climat prend la forme d’une trajectoire pluriannuelle, car c’est nécessairement dans une logique de long terme que les actions de décarbonation se conçoivent, se déploient et doivent être valorisées. Sans cadre de long terme, les actions de décarbonation risquent en effet d’être sujettes à des mouvements de stop and go ou d’être rendues plus coûteuses si les ménages et entreprises sont « pris de court » par une mauvaise anticipation des transformations à conduire.
Pour autant, elle précise aussi qu’aucune simulation ne peut prétendre livrer « clés en main » une trajectoire de la valeur de l’action pour le climat. Chaque modèle est confronté à certaines limites de conception, chaque simulation repose sur un jeu d’hypothèses qui peuvent être « challengées » une à une. Quelle que soit la qualité intrinsèque des modèles, les incertitudes restent fortes lorsque l’horizon s’allonge.
La commission s’est donc livrée à une lecture « raisonnée » des simulations en s’attachant à élaborer une trajectoire conciliant respect des grands jalons 2030 et 2050 de la SNBC-3 et répartition équilibrée des efforts dans le temps. La trajectoire ainsi définie est le fruit d’une délibération collective, éclairée par la littérature académique et les simulations réalisées par des modèles différents et complémentaires.
Dans le même temps, si les incertitudes sur les technologies et les comportements restent bien évidemment importantes, l’élaboration d’une trajectoire de la valeur de l’action pour le climat s’est «fiabilisée» au fil du temps, grâce à une meilleure compréhension des technologies mobilisables et des investissements collectifs capables de promouvoir une plus grande sobriété des usages, grâce aussi aux progrès de la modélisation économique de la transition écologique.
Comparaison entre la valeur de l’action pour le climat et les coûts d’abattement
La nouvelle trajectoire, présentée dans le graphique 3, acte une revalorisation initiale de la valeur du carbone, en miroir du relèvement de l’objectif 2030. Celle-ci s’établit à 256 €, soit une marche supplémentaire significative par rapport au niveau prévu par la trajectoire de 2019 (187 €).
Cette revalorisation est cohérente avec le relèvement de l’objectif intermédiaire de réduction des émissions brutes 2030 de – 40 % à – 50 % par rapport à 1990. Dit en d’autres termes, cela signifie au premier ordre que toutes les actions d’atténuation coûtant moins de 256 euros la tonne de CO2e abattue méritent d’être engagées.
De même, la valeur de l’action pour le climat est désormais fixée à une valeur « pivot » de 300 € en 2030, ce qui veut dire, en simplifiant, que toutes les actions dont le coût socioéconomique est inférieur à 300 € la tonne de CO2e abattue seraient rentables à cet horizon. À l’inverse, les actions dont le coût serait supérieur à 300 € la tonne en 2030 ne le seraient pas.
La commission Quinet souligne que ce travail de comparaison entre la valeur de l’action pour le climat et les coûts d’abattement revêt une grande importance dans la mesure où les travaux synthétisés par le Giec ou menés au niveau français par la commission Criqui et par RTE montrent qu’il existe une forte hétérogénéité des coûts d’abattement, entre secteurs mais surtout au sein de chaque secteur. Une analyse suffisamment fine est donc nécessaire pour sélectionner les actions à plus fort effet de levier et décarboner ainsi l’économie française au meilleur coût.
En outre, elle indique que le « jalon 2030 », est du même ordre de grandeur que celui de la trajectoire précédente, une fois pris en compte les effets de la hausse des prix. C’est donc bien le relèvement de l’ensemble de la chronique 2025-2030, et non de la seule valeur 2030, qui « sécurise » le respect de l’objectif de -50 %.
De manière générale, explique le document, à partir de ce point de départ sensiblement rehaussé, la valeur de l’action pour le climat progresse chaque année au rythme du taux d’actualisation. En accordant ainsi la même valeur actualisée à une tonne de CO2e abattue aujourd’hui ou demain, on s’assure que les gains carbone de long terme des projets de décarbonation (et symétriquement le coût des émissions éventuelles de projets visant d’autres objectifs) ne sont pas écrasés par l’actualisation.
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En savoir plus
Retrouvez la présentation du rapport de la commission Quinet par France Stratégie : La valeur de l’action pour le climat : une référence pour évaluer et agir | France stratégie
Consultez la note de synthèse : Note de synthèse – Quinet – 18.03 copie
Retrouvez l’ensemble du rapport de la commission Quinet FS-2025-RAPPORT QUINET_19mars20h-COUV-vdef.pdf
Les coûts d’abattement des émissions de gaz à effet de serre (analyses de France Stratégie) – Citepa