Emissions de CO2 en Chine : première baisse trimestrielle depuis la pandémie du Covid-19
Le 8 août 2024, le site britannique spécialisé dans les questions climat, Carbon Brief, a publié une analyse des émissions de CO2 de la Chine, premier émetteur mondial de CO2 (35% du total mondial en 2023, source : AIE, 1er mars 2024). Cette nouvelle analyse a été réalisée par Lauri Myllyvirta du Centre de recherche sur l’énergie et l’air propre (Centre for Research on Energy and Clean Air, CREA).
Méthodologie
Il s’agit de données pré-estimées sur la base d’indicateurs mensuels officiels (données de production et de consommation de combustibles/carburants et de ciment publiées par le Bureau national des statistiques, données sur les produits importés et exportés provenant des autorités douanières, etc.).
Principaux résultats
Selon cette nouvelle analyse, les émissions de CO2 de la Chine ont baissé de 1% au 2e trimestre 2024 par rapport au 2e trimestre 2023. Il s’agit de la première baisse trimestrielle depuis la levée des restrictions « zéro-Covid » en décembre 2022.
Figure 1. Evolution des émissions de CO2 en Chine par trimestre 2013-2024 (en Mt CO2). Source : Carbon Brief, 8 août 2024.
Le 28 mai 2024, Carbon Brief avait déjà annoncé, sur la base d’une première analyse de Lauri Myllyvirta, que les émissions de CO2 de la Chine avaient enregistré une baisse de 3% en mars 2024 par rapport à mars 2023 (données pré-estimées aussi) et ce, après une forte hausse de 6,5% au cours de janvier-février 2024 comparativement à la même période en 2023. Cette première baisse mensuelle en mars 2024 a marqué la fin d’une hausse observée chaque mois pendant 13 mois consécutifs (de février 2023 à février 2024) suite au rebond enregistré après la levée des restrictions « zéro-Covid » en décembre 2022.
Selon les estimations rapportées par Carbon Brief, lorsqu’on cumule la hausse de 6,5% en janvier-février, la baisse de 3% en mars et la baisse de 1% sur l’ensemble du premier trimestre, on observe une hausse de 1,3% sur l’ensemble du premier semestre 2024 par rapport au premier semestre 2023.
Moteurs de la baisse du 2e trimestre
Au 2e trimestre 2024, la croissance de la demande nationale en énergie (+ 4,2% par rapport au 2e trimestre 2023) a été plus lente que celle observée en 2023 et au premier trimestre 2024. Néanmoins, cette croissance reste toujours beaucoup plus élevée que la tendance pré-Covid.
Hausse de la capacité de production d’électricité d’origine solaire et éolienne
Une forte hausse de la capacité de production d’électricité bas-carbone (éolien et solaire en l’occurrence) explique en très grande partie la baisse des émissions de CO2 en Chine. Au premier semestre 2024, la Chine a ajouté 102 GW de capacité de production d’énergie solaire (+31% par rapport au premier semestre 2023) et 26 GW de capacité de production d’énergie éolienne (+12%) (source : Agence Nationale de l’Energie de la Chine).
Figure 2. Capacité de production d’énergie solaire (à gauche) et éolienne (à droite) par an (cumulée par mois, en GW) 2021-2024. Source : Carbon Brief, 8 août 2024.
Cette capacité accrue a donc conduit à une forte hausse de la production d’électricité d’origine solaire et éolienne, couvrant ainsi 52% de la croissance de la demande en électricité au premier semestre 2024 et 71% depuis mars 2024.
Selon l’Agence nationale de l’énergie (National Energy Administration ou NEA) de la Chine, la production d’électricité d’origine solaire et éolienne a progressé de 171 TWh au premier semestre 2024, soit un niveau supérieur à la production totale d’électricité du Royaume-Uni pendant le premier semestre 2023 (160 TWh) (sources : Carbon Brief, 8 août 2024 et Gouvernement britannique, 30 juillet 2024).
Electrification du parc des véhicules et baisse des activités de construction
La demande de produits pétroliers a enregistré une baisse de 3% au 2e trimestre 2024 par rapport au 2e trimestre 2023.
Le passage aux véhicules électriques contribue à cette baisse, la part des véhicules électriques dans les ventes cumulées de véhicules au cours des 10 dernières années atteignant 11,5% en juin 2024, contre 7,7% en juin 2023, avec pour conséquence une baisse d’environ 4% de la demande de carburants pour le secteur des transports.
La poursuite de la baisse des activités de construction, qui se manifeste par la baisse de la production de ciment et d’acier (suite à une baisse de la demande de ces produits dans le secteur de la construction), affecte également la demande de pétrole, car le secteur de la construction est une source importante de demande de produits pétroliers pour le transport de marchandises et les machines.
Un autre facteur clé est la faible demande de pétrole en tant que matière première pour le secteur de la pétrochimie.
Evolution des émissions de CO2 par secteur
Ces évolutions en matière de demande d’énergie expliquent les contributions respectives des différents secteurs émetteurs à la baisse des émissions de CO2 au deuxième trimestre 2024. En particulier, les émissions de CO2 du secteur de la production d’électricité ont connu une baisse de 3% au 2e trimestre 2024 par rapport au 2e trimestre 2023.
Figure 3. Evolution des émissions de CO2 par secteur émetteur au 2e trimestre-2024 par rapport au 2e trimestre 2023 (en Mt CO2). Source : Carbon Brief, 8 août 2024.
Où en est la Chine par rapport à ses engagements climat-énergie ?
Au premier semestre 2024, l’intensité énergétique de la Chine a connu une amélioration de 5,5% (par rapport à la même période en 2023) et ce, alors que pour atteindre l’objectif de -18% sur 2021-2025, elle doit baisser de 7% par an sur 2024-2025, selon les estimations de Lauri Myllyvirta (source : Carbon Brief, 22 février 2024. Voir surtout le tableau « China’s 2025 climate commitments and targets in the energy sector »).
Les objectifs climat de la Chine : vers un objectif de réduction des émissions de CO2 en valeur absolue
Au niveau international
En 2009, dans le cadre de l’Accord de Copenhague, la Chine s’était engagée pour la première fois à réduire son intensité carbone (émissions de CO2 rapportées à la croissance économique, c’est-à-dire par unité de PIB), de 40 à 45% avant 2020 par rapport au niveau de 2005.
Le 30 juin 2015, la Chine a soumis sa contribution nationale prévue déterminée au niveau national (Intended Nationally Determined Contribution ou INDC) au titre de laquelle elle a renforcé son objectif de l’Accord de Copenhague. Ainsi, elle s’est engagée à atteindre une réduction de 60 à 65% de son intensité carbone en 2030 et à atteindre un pic de ses émissions de CO2 autour de 2030, en s’efforçant d’atteindre le pic avant cette échéance.
Dans le cadre de sa contribution nationale (NDC) soumise le 28 octobre 2021 à la CCNUCC au titre de l’article 4 de l’Accord de Paris, la Chine s’est engagée à renforcer ses objectifs 2030, notamment en visant désormais :
▪ à atteindre un pic d’émissions de CO2 avant 2030,
▪ à atteindre la neutralité carbone avant 2060,
▪ un objectif de réduction de plus de 65% des émissions de CO2 d’ici 2030 par unité de PIB (par rapport à 2005).
Au niveau national
Depuis le 12e plan quinquennal (five-year plan ou FYP) (2011-2015), la Chine fixe des objectifs en matière d’intensité carbone et non en valeur absolue. Ces objectifs revêtent un caractère indicatif (non-contraignant donc). La Chine fixe également des objectifs d’intensité énergétique (consommation d’énergie rapportée au PIB, par unité de PIB) qui, eux, sont contraignants pour le Gouvernement national et les administrations infranationales.
En 2016, la Chine a fixé un ensemble d’objectifs nationaux visant l’intensité énergétique et la consommation totale d’énergie et ce, dans le cadre d’un double système de réglementation de l’énergie (dual control of energy).
Le 11 février 2021, la Chine a formalisé les grandes lignes de son « 14e plan quinquennal et les objectifs 2035 ». Ce plan a fixé, pour la période 2021-2025, un objectif de réduction de 18% de l’intensité carbone (objectif indicatif) et un objectif de réduction de l’intensité énergétique de 13,5% (objectif contraignant) (source : Carbon Brief, China profile, 30 novembre 2023).
Depuis 2021, le Gouvernement central chinois préconise de remplacer le double système de réglementation de l’énergie par un double système de réglementation du carbone (dual control of carbon). C’était lors de sa conférence de travail sur l’économie centrale (central economic work conference) en 2021 que le Gouvernement central chinois a indiqué pour la première fois que la Chine devrait créer les conditions pour passer du premier au deuxième système. Le double système de réglementation du carbone serait composé d’objectifs tant en valeur relative (intensité carbone) qu’en valeur absolue (émissions totales de CO2). Jusque-là, la Chine n’a fixé d’objectifs qu’en matière d’intensité carbone, et non pas en valeur absolue.
Ce changement de cap a commencé à se concrétiser le 2 août 2024 lorsque le Conseil d’Etat (State Council), instance administrative suprême de la Chine, a publié un plan de travail pour accélérer la conception du nouveau système. Ce plan de travail esquisse les étapes de la transition de l’ancien système vers le nouveau système.
Le plan définit deux étapes pour mettre en œuvre le nouveau système :
▪ au titre du 15e plan quinquennal, qui couvrira la période 2026-2030, l’objectif d’intensité carbone 2030 restera l’objectif principal, mais il deviendra contraignant et il sera assorti d’un objectif de réduction en valeur absolue à caractère non-contraignant (indicatif) pour 2030 (selon Carbon Brief, sous forme de plafond d’émissions de CO2 à ne pas dépasser d’ici une échéance à déterminer, plutôt que sous forme d’une réduction des émissions d’un pourcentage à déterminer d’ici une échéance à déterminer, par rapport à une année de référence à déterminer).
▪ une fois le pic d’émissions de CO2 atteint (avant 2030 conformément à l’objectif fixé par la NDC de la Chine soumise en 2021), dans le cadre du 16e plan quinquennal (2031-2035), le Gouvernement central fixera, pour cette période, un objectif de réduction à caractère contraignant en valeur absolue qui deviendra ainsi l’objectif principal. Quant à l’objectif d’intensité carbone, il deviendra l’objectif secondaire (à caractère indicatif). Ce nouveau double système de réglementation du carbone sera reconduit pour les périodes quinquennales de planification économique suivantes.
Par ailleurs, le plan de travail prévoit la mise en place, d’ici 2025, d’un système complet de production de statistiques et de comptabilisation des émissions de CO2. Parmi les éléments clés de ce système figureront les normes en matière d’empreinte carbone, une base de données nationales de facteurs d’émission, ainsi que d’autres éléments en matière d’estimation et de suivi des émissions.
Le plan de travail du 2 août 2024 constitue le schéma directeur pour permettre à la Chine de passer à un mode de développement économique soumis à des contraintes en matière de limitation des émissions de CO2 et donc de découpler ses émissions de CO2 de sa croissance économique. Avec la mise en place de ce nouveau système, la Chine fixera alors pour la première fois un objectif de réduction en valeur absolue.
(sources : Carbon Brief, China Briefing, 8 août 2024, post de Lauri Myllyvirta sur X (anciennement Twitter), le 3 août 2024 et post sur X de Yan Qin, chargée de recherche à l’Oxford Institute for Energy Studies, le 2 août 2024).
Vers un pic d’émissions de CO2 plus tôt que prévu ?
D’après la nouvelle analyse de Lauri Myllyvirta (publiée par Carbon Brief le 8 août 2024), cette baisse de 1% observée au premier trimestre 2024 montre que la Chine reste sur la bonne voie pour réaliser une baisse des émissions de CO2 pour l’ensemble de l’année 2023. Cette perspective positive est néanmoins tributaire d’une baisse de la croissance de la demande d’électricité au 2e semestre 2024.
Selon l’analyse précédente de Lauri Myllyvirta publiée par Carbon Brief le 28 mai 2024, si le développement des énergies bas-carbone (énergies renouvelables et nucléaire) continue au niveau record de 2023, il se pourrait que la Chine ait atteint son pic d’émissions de CO2 en 2023. La trajectoire de l’économie chinoise dans les mois à venir déterminera le moment où interviendra ce pic.
Cependant, reste une grande incertitude : la trajectoire des émissions de CO2 une fois passé le pic. En plus de la question clé « Quand la Chine va-t-elle atteindre son pic d’émissions de CO2 », une deuxième question tout aussi importante se pose : « à quel niveau parviendra-t-elle à baisser ses émissions de CO2 ensuite ? » car la Chine va atteindre son pic alors que ses émissions sont déjà à un niveau très élevé. Si ses émissions plafonnent et restent à ce niveau de plafond plutôt que de baisser, cela pourrait compromettre l’atteinte des objectifs climat mondiaux (dont le non-franchissement du seuil +1,5°C).
En savoir plus
Analyse publiée par Carbon Brief
Voir aussi China Briefing du 8 août 2024, section “China moves towards ‘dual-control of carbon’ with new work plan”
Voir aussi analyse des objectifs climat de la Chine par Climate Action Tracker