Emissions de CH4 : hausse de 7% des volumes de gaz de torchage relâchés par les activités pétrolières en 2023
Le 20 juin 2024, le Partenariat mondial pour la réduction du torchage et du méthane (Global Flaring and Methane Reduction Partnership ou GFMR) a publié son rapport annuel de suivi (Global Gas Flaring Tracker Report) des volumes de gaz de torchage évacués lors de la production de pétrole par des compagnies pétrolières. Le précédent rapport avait été publié le 29 mars 2023.
Méthodologie
La Banque mondiale, en collaboration avec une université technique américaine, la Colorado School of Mines, estime régulièrement les volumes de gaz brûlés dans les installations pétrolières et gazières, ainsi que dans les installations de production du gaz naturel liquéfié (GNL), à travers le monde, en se basant sur les données Nightfire de la suite de détecteurs VIIRS (Visible Infrared Imaging Radiometer Suite of detectors) embarqués sur satellite. Au fil des ans, ces partenaires ont collaboré au développement d’algorithmes avancés permettant de distinguer les torches des autres sources chaudes et d’estimer les volumes de gaz naturel torché, en prenant en compte notamment la couverture nuageuse (pour plus d’informations sur la méthodologie utilisée pour produire ces données, se reporter à l’annexe A du rapport 2024 du GFMR, p.40.).
Evolution 2022/2023
Selon les nouvelles estimations de ce dispositif de suivi, le volume total de gaz naturel torché est passé de 139 milliards (Md) de m3 en 2022 à 148 Md m3 en 2023, soit une hausse de 9 Md m3 (+7%). Ce total de 148 Md m3 estimé en 2023 est le niveau le plus élevé observé depuis 2019 (période pré-Covid-19). Selon le GFMR, ces nouveaux résultats démontrent que les efforts mondiaux consentis pour réduire la pratique de torchage du gaz naturel ne sont pas suffisants et qu’il faut d’urgence agir pour atteindre l’objectif de zéro torchage systématique d’ici 2030 (fixé par l’initiative Zéro torchage systématique d’ici 2030 – voir encadré ci-dessous).
Evolution 2022/2023 par rapport au volume de pétrole produit dans le monde
En même temps, la production mondiale de pétrole n’a connu qu’une légère augmentation (+1%), passant de 80,4 millions de barils de pétrole par jour (Mb/j) en 2022 à 81,6 Mb/j en 2023. Par conséquent, l’intensité du torchage au niveau mondial (c’est-à-dire la quantité de gaz naturel brûlé à la torche par baril de pétrole produit) a augmenté entre 2022 et 2023, passant de 4,7 mètres cubes par baril (m3/b) en 2022 à 5,0 m3/b en 2023 (soit +5%).
Volume total de gaz naturel torché (en millions de m3/an) par rapport au volume total de pétrole produit (en millions de barils/jour) (1996-2023)
Source : rapport 2024 GFMR (p.14) d’après Payne Institute/Colorado School of Mines, NOAA, EIA, et Banque mondiale
Volume total de gaz naturel torché (en millions de m3/an) et intensité du torchage mondial (en m3/baril) (1996-2023)
Source : rapport 2024 GFMR (p.15) d’après Payne Institute/Colorado School of Mines, NOAA, EIA, et Banque mondiale.
Evolution 2021/2022
La hausse des volumes de gaz naturel torché observée entre 2022 et 2023 intervient après une baisse de 3% entre 2021 et 2022 (les volumes torchés passant de 144 Md m3 en 2021 à 139 Md m3 en 2022). La production de pétrole avait augmenté de 5% pour atteindre 80,4 Mb/j en 2022), contre 77 Mb/j en 2021. En conséquence, l’intensité du torchage au niveau mondial a baissé, en passant de 5,1 m3/b en 2021 à 4,7 m3/b en 2022.
Ces évolutions interannuelles sont à relativiser : lorsqu’on observe la série historique, l’intensité moyenne mondiale du torchage a connu une baisse dans les années 1990-2000, puis s’est plutôt stabilisée depuis les années 2010. La hausse observée en 2023 intervient après une baisse de même ampleur en 2022, et le niveau atteint en 2023 retrouve le niveau moyen observé depuis les années 2010.
Valeur marchande du gaz torché en 2023
Sur la base du cours actuel du gaz, la valeur marchande potentielle du volume total de gaz naturel torché en 2023 s’élèverait, selon les estimations du GFMR, à un niveau compris entre 9 et 48 milliards de $.
Quelle quantité d’émissions de GES représenterait le volume total mondial de gaz naturel torché en 2023 ?
Selon les calculs du GFMR, le volume total de gaz naturel torché en 2023 (148 Md m3) représenterait au moins 381 Mt CO2e, soit, un peu plus que les émissions totales de GES en France en 2023 (373 Mt CO2e [France métropolitaine et territoires d’Outre-mer inclus dans l’UE, hors UTCATF, pré-estimation. Source : Citepa, Rapport d’inventaire Secten éd. 2024, 19 juin 2024]).
Par ailleurs, la hausse de 9 Md m3 (+7%) du volume total de gaz naturel torché entre 2022 et 2023 représenterait 23 Mt CO2e d’émissions supplémentaires de GES en 2023 par rapport à 2022, soit un peu moins du total des émissions de GES de la Croatie en 2021 (24,5 Mt CO2e, source : CCNUCC, Time series annex I countries).
Les neuf premiers pays concernés par le torchage
La Russie, l’Iran, l’Irak, les États-Unis, le Venezuela, l’Algérie, la Libye, le Nigeria et le Mexique restent les neuf premiers pays de torchage en 2023 et ce, depuis plus de 10 ans. Cumulés, ces neuf pays sont responsables de 75% des volumes de gaz naturel torché dans le monde en 2023, mais seulement 46% de la production mondiale de pétrole. Plus de 60 pays représentent les 25% restants du volume total mondial en 2023.
Volumes de gaz naturel torchés dans les 30 premiers pays concernés, en mettant en évidence les neuf premiers pays concernés (2019-2023) (en milliards de m3)
Source : rapport 2024 GFMR (p.11) d’après Payne Institute/Colorado School of Mines, NOAA, EIA, et Banque mondiale.
Le torchage de gaz, le Partenariat mondial pour la réduction du torchage et du méthane et l’initiative Zéro torchage systématique d’ici 2030
Le torchage de gaz
Lors de la production de pétrole, le gaz naturel constitue un sous-produit. Ainsi, le gaz naturel associé à la production de pétrole est souvent brûlé à la torche (pratique appelée « torchage » ou « flaring » en anglais) ou même parfois évacué lorsque des obstacles économiques, réglementaires ou techniques au développement des marchés du gaz et des infrastructures gazières empêchent son utilisation ou lorsque la réinjection du gaz associé dans le gisement n’est pas possible (source : GFMR).
Le Partenariat mondial pour la réduction du torchage et du méthane
Le Partenariat mondial pour la réduction du torchage et du méthane (Global Flaring and Methane Reduction Partnership ou GFMR) de la Banque mondiale, anciennement Partenariat mondial pour la réduction du torchage de gaz (Global Gas Flaring Reduction Partnership ou GGFR), est un fonds fiduciaire multi-donateurs composé de Gouvernements nationaux, de compagnies pétrolières et d’organisations multilatérales qui se sont engagés à mettre fin au torchage systématique sur les sites de production pétrolière dans le monde entier et à réduire les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier à un niveau proche de zéro d’ici à 2030.
Parmi les partenaires figurent l’Allemagne, la Norvège, les Etats-Unis, les Emirats arabes unis, ainsi que les compagnies BP, ENI, Equinor, Occidental, Shell et TotalEnergies (NB. le site du GFMR ne fournit pas de liste complète des membres du Partenariat).
Le GFMR se concentre sur l’octroi de subventions, l’assistance technique, les services de conseil en matière de réforme politique et réglementaire, le renforcement des capacités institutionnelles et la mobilisation de financements pour soutenir l’action des Gouvernements nationaux et des exploitants, et ainsi accélérer le déploiement de solutions de réduction des émissions de méthane.
Le GGFR a été lancé en août 2002 lors du Sommet mondial sur le développement durable (dit Rio+10) à Johannesburg (Afrique du Sud).
L’initiative Zéro torchage systématique d’ici 2030
L’initiative Zéro torchage systématique d’ici 2030 (Zero Routine Flaring by 2030 Initiative ou ZRF) a été lancée en 2015 par la Banque mondiale. Les Gouvernements et les compagnies pétrolières qui y ont souscrit s’engagent à mettre fin au torchage systématique du gaz naturel d’ici 2030 au plus tard et à rendre compte (déclarer) chaque année de leurs activités de torchage et des progrès accomplis dans le cadre de l’initiative.
L’initiative est conçue pour faciliter la coopération entre toutes les parties prenantes afin que des solutions pour mettre fin au torchage systématique du gaz naturel puissent être identifiées et mises en œuvre.
Bien que l’initiative soit volontaire, les engagements sont suivis et évalués par divers moyens, notamment les rapports établis par les Gouvernements et les compagnies pétrolières, ainsi que par des observations par satellite.
Les signataires de l’initiative ZRF représentent aujourd’hui environ 60% du volume total du gaz naturel brûlé à la torche dans le monde.
Conclusions
Le GFMR souligne que la hausse du volume mondial de gaz naturel torché en 2023 met en évidence la nécessité pour les producteurs de pétrole d’accélérer leurs efforts afin de mettre fin au torchage systématique, en découplant la production pétrolière et le torchage du gaz naturel, et de minimiser les émissions de CH4 provenant des activités pétrolières et gazières.
Le rapport souligne également l’importance de la transparence et du rapportage rigoureux du torchage et des émissions de CH4, de la mise en œuvre de technologies à faibles émissions dans les systèmes de torchage, et d’un changement d’attitude et des politiques pour considérer le gaz associé à la production pétrolière comme une ressource plutôt que comme un sous-produit.
En savoir plus
Communiqué de la Banque mondiale
Banque mondiale / Global Flaring and Methane Reduction Partnership (GFMR) : Global gas flaring tracker report – June 2024, 24 juin 2024
Banque de données du GFMR (Global gas flaring data) présentant les volumes de gaz naturel torché par pays (en millions de m3)