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Les émissions mondiales du troisième GES, le N2O, ont augmenté de 40% sur 1980-2020 (données GCP)

  • Réf. : 2024_06_a02
  • Publié le: 19 juin 2024
  • Date de mise à jour: 19 juin 2024
  • International

Le 11 juin 2024, le Global Carbon Project (GCP – voir en fin d’article) a publié la mise à jour 2024 de son analyse des tendances en matière d’émissions mondiales du troisième gaz à effet de serre (GES), le protoxyde d’azote (N2O, appelé également oxyde nitreux ou encore, plus communément, gaz hilarant – voir encadré ci-après) : émissions historiques sur la période 1980-2020 et concentrations sur cette période et pour 2022. Toutes ces données sont rassemblées en un « budget global du N2O » (Global N2O budgetvoir ci-dessous). Il s’agit du bilan le plus complet à jour des émissions et concentrations de N2O. Ce budget global est mis à jour tous les deux à trois ans.

 

Contexte scientifique : le N2O, la couche d’ozone et l’effet de serre

Le protoxyde d’azote (N2O) est un puissant gaz à effet de serre et une substance qui appauvrit la couche de l’ozone [ozone stratosphérique] (SAO).

Le N2O et la couche d’ozone

Même s’il est une SAO, le N2O n’est pas réglementé par le principal traité juridique international visant les SAO, le Protocole de Montréal et ses amendements. Cependant, lorsqu’il est pondéré en fonction de son potentiel d’appauvrissement de la couche d’ozone (PACO ou ODP en anglais, indicateur utilisé pour mesurer l’impact relatif des différentes SAO sur la couche d’ozone, le potentiel étant établi relativement au CFC-11, qui a une valeur de 1 par convention, source : Sciencedirect.com), le N2O est aujourd’hui responsable de la plus grande quantité d’émissions de SAO dans l’atmosphère. Cela s’explique principalement par le fait que les émissions de CFC et d’autres SAO ont été réduites de manière radicale, mais aussi en raison de la hausse constante des émissions anthropiques de N2O. En effet, dans le cadre du Protocole de Montréal, les Etats ont éliminé progressivement près de 99% de près de 100 substances appauvrissant la couche d’ozone et ont évité les effets néfastes sur l’agriculture, la faune et la flore terrestres et marines, les forêts, les écosystèmes naturels et les matériaux (source : PNUE/Secrétariat à l’ozone [stratosphérique], 3 avril 2017). Le N2O est donc aujourd’hui la plus importante SAO en termes d’impact de ses émissions sur la couche d’ozone (source : PNUE, 2013 p.ix).

L’édition 2023 de l’évaluation scientifique de l’appauvrissement de la couche d’ozone, publiée le 9 janvier 2023 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) (lire notre article) a pointé, parmi les principales préoccupations croissantes concernant l’ozone stratosphérique au 21e siècle, les nouvelles hausses des concentrations atmosphériques de N2O. Cette 10e évaluation quadriennale a été réalisée avec la collaboration de l’Agence américaine de l’étude des océans et de l’atmosphère (NOAA), de l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace (NASA), ainsi que de la Commission européenne. Elle a été élaborée et approuvée par 230 scientifiques de 30 pays (dont la France) au sein du Groupe d’experts sur l’évaluation scientifique (Scientific Assessment Panel ou SAP).

Dans son rapport de 2013, le PNUE soulignait que la hausse des concentrations atmosphériques de N2O d’origine anthropique observée continuera à aggraver l’appauvrissement de la couche d’ozone. À cet égard, dans une certaine mesure, la hausse des ces concentrations compromettra les progrès réalisés pour reconstituer la couche d’ozone, progrès été obtenus grâce à la baisse des concentrations atmosphériques de CFC et d’autres SAO (source : PNUE, 2013 p.ix).

 

Le N2O et l’effet de serre

Selon l’édition 2023 du Bulletin annuel sur les GES publié le 15 novembre 2023 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), le N2O est le troisième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 6% en 2022, après le CO2 (64%) et le CH4 (19%). En 2022, les concentrations moyennes mondiales de N2O dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque préindustrielle (1750) : 335,8 parties par milliard (ppb), soit +24% depuis 1750 (270,1 ppb). La hausse 2021/2022 (1,4 ppb) a été supérieure à la hausse 2020/2021 (1,3 ppb) et supérieure à la hausse moyenne annuelle les 10 dernières années (1,05 ppb). La hausse 2021/2022 constitue la plus forte hausse annuelle jamais observée depuis le début des relevés. Les émissions de N2O dans l’atmosphère sont à la fois d’origine naturelle (57%) et d’origine humaine (43%) (lire notre article).

Le N2O a une durée de vie longue dans l’atmosphère. Ainsi, Dans son 6e rapport d’évaluation (2021), le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’estime à 109 ans (voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran]), soit une légère réévaluation à la baisse de son estimation de 121 ans indiquée dans son 5e rapport d’évaluation (2013) (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 p.73 [page à l’écran]).

Quant à la valeur PRG (pouvoir de réchauffement global lire l’encadré dans notre article) du N2O, sur 100 ans, le 6e rapport d’évaluation l’estime à 273 (contre 265 dans le 5e rapport (sources : AR6, voir tableau 7 SM7 p.1842 [page à l’écran] ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 p.73 [page à l’écran]). En d’autres termes, l’émission d’une tonne de N2O équivaut à l’émission de 273 t CO2 selon la valeur PRG de l’AR6.

Dans son résumé à l’intention des décideurs du premier volume de 6e rapport d’évaluation (AR6), consacré aux sciences du climat et publié le 9 août 2021, le Giec souligne que les concentrations atmosphériques de N2O en 2019 étaient les plus hautes depuis au moins 800 000 ans (cf. paragraphe A.2.1) (lire notre dossier de fond).

Dans son résumé à l’intention des décideurs du 3e volume de l’AR6, consacré à l’atténuation et publié le 4 avril 2022, le Giec souligne que pour respecter l’objectif de +1,5°C, les émissions mondiales de N2O doivent être réduites de 20% d’ici 2050 (par rapport aux niveaux de 2019) (cf. paragraphe C.1.2) (lire notre dossier de fond).

 

Lire aussi :

Tian, H., Xu, R., Canadell, J.G. et al. A comprehensive quantification of global nitrous oxide sources and sinksNature 586, 248–256, 7 octobre 2020. Consulter

 

 

Méthodologie

Le budget mondial du N2O a été élaboré par une équipe internationale de 58 chercheurs (voir liste des auteurs) rattachés à 55 organismes de recherche de 15 pays, dont, en France, Sarah Berthet du Centre National de Recherches Météorologiques (CNRM)/Université de Toulouse/Météo-France/CNRS ; Philippe Ciais du Laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement (LSCE) ; Ronny Lauerwald de Université Paris-Saclay/INRAE ; et Nicolas Vuichard du LSCE. Cette équipe internationale a été dirigée par Hanqin Tian, du Centre des sciences du système de la Terre et de la durabilité mondiale (Center for Earth System Science and Global Sustainability) au sein du Boston College (Etats-Unis).

En tant qu’élément central des évaluations des émissions et concentrations de gaz à effet de serre mondiales coordonnées par le Global Carbon Project (GCP), le budget mondial du N2O établi (voir schéma ci-dessous) intègre les sources et les puits naturels et anthropiques et tient compte des interactions entre les ajouts d’azote et les processus biogéochimiques qui déterminent les émissions de N2O. Les chercheurs du GCP utilisent des approches ascendantes (bottom-up : inventaires, extrapolations statistiques des mesures de flux et modélisation des terres et des océans basées sur les processus) et descendantes (top-down : inversion basée sur les mesures atmosphériques). Les chercheurs du GCP fournissent une quantification complète des sources et des puits mondiaux de N2O dans 21 catégories naturelles et anthropiques (voir slide 22 dans la présentation ppt du budget mondial du N2O) dans 18 régions (voir slide 39 dans la présentation ppt) entre 1980 et 2020.

 

Le budget mondial du N2O

Le budget mondial du N2O établi par le GCP fait référence à toutes les sources et à tous les puits de N2O résultant à la fois des activités humaines et des processus naturels. Les sources naturelles ont représenté 65% des émissions totales mondiales au cours de la décennie 2010-2019. Parmi ces flux, les émissions naturelles provenant des sols ont apporté la plus grande contribution (35% des émissions totales mondiales), suivies par les océans côtiers et ouverts (26% des émissions totales mondiales). Les autres sources, y compris les eaux intérieures naturelles, les estuaires, la végétation côtière et la foudre, ont constitué 4% des émissions totales mondiales. Ces sources naturelles existent depuis avant l’ère industrielle et sont restées relativement stables.

Sur l’ensemble des émissions mondiales de N2O, les émissions anthropiques n’ont représenté que 35% des émissions totales mondiales au cours de la dernière décennie (2010-2019), mais elles sont les principaux moteurs de la hausse des émissions mondiales de N2O et des concentrations atmosphériques mondiales depuis l’ère préindustrielle. Les émissions agricoles directes (provenant de l’utilisation d’engrais, de la gestion du fumier et de l’aquaculture) constituent la source la plus importante des émissions anthropiques de N2O (20% des émissions totales de N2O sur la période 2010-2019). Les autres émissions directes provenant des activités humaines (12% du total) sont des émissions provenant de la combustion des combustibles fossiles, de l’industrie manufacturière, du traitement des déchets et des eaux usées, ainsi que de la combustion de la biomasse (d’origine anthropique et naturelle [feux de forêts]). Les chercheurs du GCP tiennent également compte des émissions indirectes (6% du total des émissions) provenant des eaux douces et des écosystèmes côtiers. Enfin, des émissions sont produites qui proviennent des actions indirectes des activités humaines par le biais des effets des évolutions du climat, des concentrations de CO2 dans l’atmosphère et de la couverture terrestre, qui, cumulées, entraînent une diminution des émissions de N2O (-3% des émissions totales). Cependant, ces derniers flux sont mal connus et leurs quantités sont très incertaines.

Sur l’ensemble des quantités de N2O émises dans l’atmosphère, seul un quart environ y reste, contribuant ainsi au changement climatique. Le reste est détruit dans l’atmosphère par les processus de photolyse et d’oxydation.

 

Le budget mondial du N2O (en Mt N/an) pour la décennie 2010-2019

Source : GCP, 11 juin 2024 (slide 9).

 

 

Messages clés de la mise à jour du budget N2

 

Emissions de N2O

Au cours des quatre dernières décennies (1980-2020), les émissions de N2O provenant des activités humaines ont augmenté de 40% (3 Mt N2O par an, soit plus de 1% par an).

Au cours de la dernière décennie (2010-2019), la production agricole (liée à l’utilisation d’engrais azotés et d’effluents d’élevage) a contribué à hauteur de 74% aux émissions mondiales totales de N2O d’origine anthropique. Les émissions de N2O du secteur agricole mondial se sont élevées à 8 Mt en 2020, soit une hausse de 67% du niveau émis par ce secteur en 1980 (4,8 Mt).

 

Concentrations de N2O

L’accumulation des concentrations de N2O dans l’atmosphère s’est accélérée au cours des quatre dernières décennies, avec des taux de croissance au cours des années 2020-2022 supérieurs à ceux de toutes les années observées depuis 1980 (date à laquelle des mesures fiables ont commencé à être effectuées) et supérieurs d’environ 30% à ceux de la dernière décennie (2010-2019).

 

Les concentrations atmosphériques mondiales au cours des deux derniers millénaires 

Source : GCP, 11 juin 2024 (slide n°11).

 

Projections au regard de l’objectif de +2°C

Selon le GCP, les concentrations atmosphériques de N2O observées au cours de la dernière décennie ont dépassé les projections dans le cadre des trajectoires de GES les plus pessimistes élaborées par le Giec (5e et 6e rapports d’évaluation – voir les deux graphiques ci-dessous), qui conduiraient à des températures moyennes mondiales bien supérieures à +3°C d’ici fin 2100. Selon le GCP, ce constat souligne le besoin urgent de réduire les émissions anthropiques de N2O.

 

Concentrations atmosphériques de N2O 2010-2020 par rapport aux projections des scénarios du Giec élaborés dans le cadre du 5e rapport d’évaluation, 2013 (graphique (a) à g. et du 6e rapport d’évaluation, 2021 (graphique (b) à dr.

Source : GCP, 11 juin 2024 (slide n°21).

 

Pour parvenir à suivre des trajectoires à zéro émission nette compatibles avec l’objectif de +2°C, le GCP indique qu’il faut réduire d’au moins 20% les émissions mondiales de N2O d’origine anthropique d’ici 2050 (par rapport aux niveaux de 2019).

 

Les pays les plus émetteurs de N2O en 2020

La Chine est le premier pays émetteur de N2O (16,7% des émissions mondiales en 2020), suivie de l’Inde (10,9%), des Etats-Unis (5,7%), du Brésil 5,3%) et de la Russie (4,6%). Si l’Europe dans son ensemble (UE-27, Royaume-Uni + 18 autres pays européens, soit 46 pays au total) est prise en compte, elle est le 2e émetteur (après la Chine). La Chine est le premier pays émetteur depuis les années 2010.

 

Les six premiers pays émetteurs de N2O (et l’Europe dans son ensemble) (en Mt N)

Note : 1 Mt d’azote sous forme de N2O (N) = 1,57 Mt N2O.

Source : GCP, 11 juin 2024 (slide n°26).

 

Evolution des émissions de N2O des principaux émetteurs

Sur la période 1980-2020, les émissions de N2O d’origine anthropique ont augmenté de 157% en Inde, de 135% en Chine, de 131% au Brésil. A elle seule, la Chine représente 40% de la hausse globale des émissions mondiales de N2O d’origine anthropique sur ces quatre décennies.

 

Evolution des émissions anthropiques de N2O par grand émetteur sur la période 1980-2020 (en Mt N/an)

Note : 1 Mt d’azote sous forme de N2O (N) = 1,57 Mt N2O.

Source : GCP, 11 juin 2024 (slide n°17).

Légende

* la forte réduction d’émissions de N2O sur la période 1980-2020 a eu lieu en Europe (UE-27, Royaume-Uni + 18 autres pays européens, soit 46 pays au total), à savoir -31% (à noter que l’Europe était le premier émetteur en 1980). Cette baisse est attribuée à une baisse des émissions de N2O du secteur de l’industrie manufacturière dans les années 1990. Les émissions de N2O provenant de l’agriculture sont restées stables au cours des deux dernières décennies.

 

L’UE, le Japon et la Corée du Sud ont réussi à réduire leurs émissions anthropiques de N2O au cours des dernières décennies. Toutefois, même si l’efficacité de l’utilisation de l’azote dans l’agriculture a sensiblement augmenté dans certaines régions, les émissions provenant de l’épandage direct d’engrais et de fumier ont légèrement augmenté ou sont restées stables. Les émissions anthropiques de N2O de la Chine ont diminué au cours des cinq dernières années en raison de l’augmentation de l’efficacité de l’utilisation de l’azote.

 

Le N2O et les océans

Les océans de la planète continuent d’être une source d’émissions de N2O dont le niveau reste stable (environ 7,4 Mt N2O par an). Une part importante de ce volume provient des mers littorales de la planète.  

 

 

En savoir plus

La page du Global Carbon Project (GCP) consacrée aux nouvelles données d’émission du N2O

Messages clés (Highlights)

Tian, H. et al (2024). Global Nitrous Oxide Budget (1980-2020). Earth System Science Data, vol. 16, n°6 (pp.2543-2604). 11 juin 2024. Consulter

Présentation Powerpoint des résultats

Données en détail (fichiers excel)

Global Carbon Atlas (émissions de N2O : profils par pays)  

Communiqué du Boston College (Etats-Unis), institut de recherche qui a participé à l’élaboration de cette mise à jour.

Carbon Brief (2024). Agriculture ‘major driver’ of rise in nitrous oxide emissions over past 40 years, 11 juin 2024. Consulter

PNUE (2013). Drawing Down N2O To Protect Climate and the Ozone Layer – A UNEP Synthesis Report, 29 sept. 2013. Consulter l’annonce et le rapport.

 

Le GCP

Le GCP fait partie du réseau mondial de scientifiques Future Earth et il est un partenaire du programme mondial de recherche sur le climat (WCRP). C’est un consortium international de 95 instituts de recherche scientifique répartis dans 17 pays qui a été créé en 2001 afin d’aider la communauté scientifique à établir une base de connaissance commune pour servir d’appui aux politiques de réduction d’émissions de GES. Le projet s’est fixé pour objectif d’élaborer une vision complète du cycle global du carbone (flux naturels et anthropiques). Les travaux du GCP sont revus par les pairs à l’instar de ceux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Parmi les principaux partenaires du GCP figure le climatologue français Philippe Ciais du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Le GCP est hébergé depuis mai 2022 par l’université d’Exeter (sud-ouest de l’Angleterre), avec la création d’un bureau dédié, le Global Carbon Budget Office (GCBO).

 

 

 

 

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