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Justice climatique : le Tribunal international du droit de la mer confirme l’obligation des Etats à réduire leurs émissions de GES, jugées polluantes pour le milieu marin

  • Réf. : 2024_06_a01
  • Publié le: 5 juin 2024
  • Date de mise à jour: 12 septembre 2024
  • International

Le 21 mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer (International Tribunal for the Law of the Sea ou ITLOS – voir encadré ci-dessous) a rendu un avis consultatif unanime qualifié, par de nombreux observateurs, d’« historique » pour la justice climatique. Aux termes de cet avis, les 21 juges de l’ITLOS, saisis par huit petits Etats insulaires, confirment que les Etats qui sont Parties à la Convention internationale de Montego Bay (voir encadré ci-dessous) ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) qui constituent bien, aux yeux de l’ITLOS, une pollution du milieu marin.

 

Le Tribunal international du droit de la mer et la Convention internationale de Montego Bay 

Le Tribunal international du droit de la mer est un organe judiciaire indépendant émanant de l’ONU, basé à Hambourg (Allemagne) et créé par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (United Nations Convention on the Law of the Sea ou UNCLOS, adoptée en 1982) pour régler les différends auxquels pourraient donner lieu l’interprétation et l’application de cette Convention. Tous les Etats qui sont Parties à la Convention peuvent saisir le Tribunal, composé de 21 juges indépendants. A ce jour, 169 Parties l’ont ratifiée à ce jour. A noter que les Etats-Unis ne l’ont pas ratifiée.

La Convention UNCLOS ne comporte aucune disposition explicitement portant sur le changement climatique. Elle ne définit pas non plus les gaz à effet de serre comme pouvant induire une pollution du milieu marin. En effet, la pollution du milieu marin est définie à son article 1.1 alinéa 4 de la façon suivante :

« L’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires. lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines, risques pour la santé de l’homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément ».

 

 

Bref historique de la requête

Le 31 octobre 2021, deux petits Etats insulaires, Antigua-et-Barbuda et Tuvalu, ont créé la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Commission of Small Island States on Climate Change and International Law ou COSIS-CCIL). Les deux co-Présidents sont Gaston Browne, Premier Ministre d’Antigua et Barbuda, et Kausea Natano, Premier Ministre de Tuvalu. La Commission a été formellement déclarée auprès des Nations Unies conformément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies. Aujourd’hui, la Commission compte six autres pays membres en plus des deux pays membres fondateurs : les petits Etats insulaires de Palau, de Niue, de Vanuatu (à l’origine d’une initiative qui a débouché sur une résolution adoptée le 29 mars 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU qui demande à la Cour Internationale de Justice de donner un avis consultatif sur les obligations des Etats à l’égard du changement climatique – lire notre article), de Sainte-Lucie, de St. Vincent-et-les-Grenadines, et de Saint-Christophe-et-Niévès.

Depuis plusieurs années, Tuvalu est très actif dans le cadre des négociations sur le climat au sein de la CCNUCC, notamment, en faisant valoir la position des petits Etats insulaires (qui sont les pays qui ont contribué le moins au réchauffement, qui subissent en première ligne ses effets et qui sont le moins bien équipés pour y faire face). A titre d’exemple, le 7 novembre 2022, lors de la COP-27, Tuvalu est devenu le premier pays à avoir exigé, dans le cadre officiel des négociations climat de la CCNUCC, l’adoption d’un traité international de non-prolifération des combustibles fossiles (à l’instar du traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires adopté en 1968 sous l’égide de l’AIEA) (lire notre article).

Lors d’une réunion de cette Commission, le 26 août 2022, ses membres ont décidé de saisir le Tribunal international du droit de la mer pour solliciter son avis sur une question juridique relative à l’interprétation de la Convention UNCLOS  qui définit un régime de droit mondial pour les océans et les mers de la planète et établit les règles détaillées sur toutes les utilisations des océans et l’accès à leurs ressources. Le 12 décembre 2022, la requête officielle a été déposée :

La double question juridique posée à l’ITLOS était : Quelles sont les obligations spécifiques des États qui sont Parties à la Convention UNCLOS, notamment en vertu de la partie XII (protection et préservation du milieu marin) ?

  1. prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin en ce qui concerne les effets délétères qui résultent ou sont susceptibles de résulter du changement climatique, y compris le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, ainsi que l’acidification des océans, qui sont induits par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? [atténuation du changement climatique];
  2. protéger et de préserver le milieu marin face aux effets du changement climatique, y compris le réchauffement des océans et l’élévation du niveau de la mer, ainsi que l’acidification des océans ? [adaptation au changement climatique].

 

 

Déclarations des Etats et auditions de ces Etats

Après sa saisine par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, l’ITLOS a reçu des déclarations écrites (written statements) de 34 Etats qui sont Parties à la Convention UNCLOS (dont la France, 73 pages) et de neuf organisations intergouvernementales (Nations Unies, Organisation Maritime Internationale [OMI], Programme des Nations Unies pour l’Environnement [PNUE],…) (voir liste des pays et organisations, section written proceedings). Entre le 11 et le 25 septembre 2023, l’ITLOS a procédé à la réalisation d’auditions publiques de 32 de ces Etats et de trois de ces organisations intergouvernementales pour entendre leurs points de vue en vue d’éclairer ses travaux d’instruction du dossier (voir le procès-verbal de l’audition avec la France, le 25 septembre 2023).

 

 

L’avis consultatif de l’ITLOS et ses motifs

Le 21 mai 2024, l’ITLOS a rendu l’ensemble de son avis à l’unanimité. Il s’agit d’un avis consultatif.

L’ITLOS a décidé à l’unanimité qu’il avait compétence pour rendre cet avis consultatif demandé par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international et a décidé à l’unanimité de répondre à la demande de la Commission. Comme le signale Arnaud Gossement, avocat français spécialiste en droit de l’environnement, il faut également noter que « l’ITLOS a accepté d’interpréter une convention internationale qui ne fait pas état du changement climatique pour répondre à des questions portant, précisément, sur le changement climatique et sur les obligations des Etats à son endroit » (source : Arnaud Gossement, blog du 21 mai 2024).

Ensuite, l’ITLOS a répondu en détail aux deux parties de la question posée :

 

Les principaux éléments de sa réponse à la question a) sur l’atténuation :

  • les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin au sens de l’article 1.1 (alinéa 4), de la Convention UNCLOS ;
  • en vertu de l’article 194.1, de la Convention UNCLOS, ses Parties ont les obligations spécifiques de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES et de s’efforcer d’harmoniser leurs politiques à cet égard. Ces mesures devraient être déterminées, en tenant compte, entre autres, des meilleures connaissances scientifiques disponibles et des règles et normes internationales pertinentes fixées par les traités sur le changement climatique (CCNUCC et Accord de Paris), et en particulier l’objectif +1,5°C et le calendrier des trajectoires d’émissions de GES pour atteindre cet objectif. La portée et le contenu des mesures nécessaires peuvent varier en fonction des moyens dont disposent les Parties et de leurs capacités respectives (cf. principe des responsabilités communes mais différenciées, établi à l’article 3.1 de la Convention Climatvoir encadré sur ce principe dans notre article). Parmi les mesures nécessaires figurent, en particulier, celles visant à réduire les émissions de GES ;
  • l’obligation découlant de l’article 194.1, de la Convention UNCLOS de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES est une obligation de diligence requise (voir encadré ci-dessous). Le niveau de diligence requise est élevé, compte tenu des risques aigus de préjudice grave et irréversible au milieu marin que font peser ces émissions ;
  • en vertu de l’article 194.2, de la Convention UNCLOS, les Parties ont l’obligation spécifique de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les émissions anthropiques de GES relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne causent pas de préjudice par pollution à d’autres États et à leur environnement, et pour que la pollution liée à de telles émissions relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne s’étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains. Cette obligation s’applique dans un contexte de pollution transfrontière et constitue une obligation spécifique qui s’ajoute à l’obligation énoncée à l’article 194.1 ;
  • en vertu des articles 213 et 222 de la Convention UNCLOS, les Parties ont l’obligation spécifique d’assurer l’application de leur législation et réglementation nationales, ainsi que d’adopter des textes législatifs et réglementaires et prendre les autres mesures nécessaires pour mettre en œuvre les règles et normes internationales applicables établies par les organisations internationales compétentes ou des conférences diplomatiques, afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin résultant des émissions anthropiques de GES ;
  • les articles 197, 200 et 201, lus conjointement avec les articles 194 et 192 de la Convention UNCLOS, imposent à ses Parties des obligations spécifiques de coopérer, directement ou via des organisations internationales compétentes, de manière continue et de façon effective, afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES.
  • en vertu de l’article 197, les Parties ont l’obligation spécifique de coopérer à la formulation et à l’élaboration de règles et de normes, ainsi que de pratiques et procédures recommandées, compatibles avec la Convention et fondées sur les connaissances scientifiques disponibles, afin de lutter contre la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES.
  • en vertu de l’article 200, les Parties ont les obligations spécifiques de coopérer en vue de promouvoir des études, mettre en œuvre des programmes de recherche scientifique et encourager l’échange d’informations et de données sur la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, sur ses trajectoires, les risques qu’elle comporte et les remèdes possibles, y compris les mesures d’atténuation et d’adaptation ;
  • en vertu de l’article 201, les Parties ont l’obligation spécifique d’établir des critères scientifiques appropriés sur la base desquels des règles et des normes, ainsi que des pratiques et procédures recommandées, doivent être formulées et élaborées pour lutter contre la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES ;
  • en vertu de l’article 202 de la Convention UNCLOS, les Parties ont l’obligation spécifique d’aider les pays en développement, en particulier ceux qui sont vulnérables, dans leurs efforts pour lutter contre la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES. Cet article impose l’obligation de fournir une assistance appropriée, directement ou via des organisations internationales compétentes, en matière de renforcement des capacités, d’expertise scientifique et de transfert de technologies. L’article 203 renforce le soutien aux États en développement, en particulier ceux qui sont vulnérables, en leur accordant un traitement préférentiel en ce qui concerne le financement, l’assistance technique et les services spécialisés pertinents des organisations internationales.

 

L’obligation de diligence

L’avis établit que les Etats qui sont Parties à la Convention UNCLOS ont une obligation de diligence requise et non une obligation de résultat. C’est la France qui est à l’origine de cette nuance intégrée dans l’avis consultatif de l’ITLOS. Elle l’’exprimée dans ses observations écrites au cours de la procédure : « Une obligation de diligence requise. Les articles 194, paragraphes 1 et 2, posent essentiellement une obligation de prévention, au sens large, de la pollution (« prévenir, réduire et maîtriser ») qui s’analyse comme une obligation de diligence due ou diligence requise. Une telle obligation n’est pas une obligation de résultat, laquelle exigerait que le milieu marin ne soit contaminé par aucune pollution. Comme l’a affirmé la Commission du droit international, « [l]’obligation de prévention s’analyse normalement comme une obligation de diligence, imposant aux Etats de prendre toutes les mesures raisonnables ou nécessaires pour éviter qu’un événement donné ne se produise, mais sans garantir que l’événement ne se produira pas »112. Il s’agit d’une obligation de comportement, mais d’une obligation de comportement exigeante, celle pour les Etats de mettre « en œuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités » et de s’efforcer « d’harmoniser leurs politiques à cet égard » (source : observations présentées la France, paragraphe 103, p.47, 16 juin 2023).

 

 

Les principaux éléments de sa réponse à la question b) sur l’adaptation :

  • l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin établie à l’article 192 de la Convention UNCLOS a un champ d’application étendu, englobant tout type de dommage au milieu marin et toute menace pesant sur ce dernier. En vertu de cette disposition, les Parties ont l’obligation spécifique de protéger et de préserver le milieu marin des incidences du changement climatique et de l’acidification des océans. Là où le milieu marin a été dégradé, cette obligation peut appeler des mesures de restauration des habitats et des écosystèmes marins. L’article 192 de la Convention impose aux Parties d’anticiper les risques liés aux incidences du changement climatique et à l’acidification des océans, en fonction des circonstances ;
  • il s’agit d’une obligation de diligence requise (voir encadré ci-dessus). Le niveau de diligence requise est élevé, compte tenu des risques aigus de préjudice grave et irréversible au milieu marin que font peser les incidences du changement climatique et l’acidification des océans.

 

Les océans et le changement climatique 

Selon le dernier bilan du Global Carbon Project, publié le 5 décembre 2023, sur les émissions anthropiques totales de CO2 de la période 2013-2022, 26% ont été absorbées par les océans, 31% par les terres et environ 47% se sont accumulées dans l’atmosphère. Les océans stockent environ 91% de l’excédent de chaleur piégée dans le système climatique de la Terre et produite par les émissions anthropiques de GES (source : NOAA).

Selon le programme européen Copernicus, la température moyenne de la mer à la surface pour avril 2024 sur 60°S-60°N était de 21,04°C, la valeur la plus élevée jamais enregistrée pour le mois d’avril, légèrement en dessous des 21,07°C enregistrés pour mars 2024. Les experts de Copernicus soulignent que c’est le 13e mois consécutif où la température moyenne de la mer à la surface a été la plus chaude pour le mois correspondant de l’année (source : bulletin climat mensuel de Copernicus, avril 2024, 7 mai 2024).

Dans le cadre de son 6e cycle d’évaluation, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat) a publié le 25 septembre 2019 un rapport spécial sur les Océans et la Cryosphère (lire notre brève).

La Journée mondiale des océans (World Ocean Day) a été déclarée pour la première fois le 8 juin 1992 à Rio de Janeiro lors du Forum mondial, un événement parallèle au Sommet de la Terre (Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, CNUED). En 2008, sous l’impulsion du Canada, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution (réf. n°63/111) par laquelle l’ONU a désigné le 8 juin chaque année comme la « Journée mondiale des océans » sous l’égide de l’ONU.

Le premier Sommet international sur l’Océan (One Ocean Summit), initiative de la France dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union européenne, s’est tenu à Brest du 9 au 11 février 2022 (lire notre article). Il a été organisé en coopération avec les Nations Unies, la Banque mondiale et de nombreux partenaires publics et privés. Ce sommet avait pour objectif de donner une impulsion politique forte sur la question des océans, et notamment des enjeux liés au changement climatique. Le sommet de Brest, qui a porté à la fois sur les enjeux scientifiques, économiques et politiques, a rassemblé 42 pays.

Lors de la 2e Conférence des Nations-Unies sur l’Océan qui s’est tenue à Lisbonne, du 27 juin au 1er juillet 2022 (lire notre brève), le Gouvernement français a dressé un point d’étape des « engagements de Brest » pris quatre mois plus tôt, du 9 au 11 février 2022 lors du premier Sommet international sur l’Océan. Ces engagements portent sur les enjeux environnementaux liées aux océans : aires marines protégées, pêche durable, transport maritime, carbone bleu, pollution plastique, connaissances scientifiques…

Le 3 juin 2024, la Commission océanographique intergouvernementale (COI), l’organe de coopération sur les sciences de l’océan au sein de l’Unesco, a publié un rapport sur l’état de l’océan 2024 (State of the Ocean Report 2024) auquel plus de 100 scientifiques de 28 pays ont contribué. Cette évaluation mondiale met en lumière de nouvelles données alarmantes sur les menaces qui pèsent sur les océans et fournit une analyse factuelle des défis à relever, notamment le réchauffement des océans, l’élévation du niveau de la mer, la pollution, l’acidification, la désoxygénation, le carbone bleu et l’appauvrissement de la biodiversité.

Enfin, la 3e Conférence des Nations Unies sur l’Océan, conjointement organisée par les Gouvernements de la France et du Costa Rica, se tiendra à Nice en juin 2025. 

Lire aussi : IDDRI (2024). Integrating the ocean into the climate regime: Progress report and future prospects. Juin 2024. Consulter le communiqué et la note d’analyse.

 

 

Conséquences de l’avis consultatif de l’ITLOS

Même si l’avis de l’ITLOS revêt un caractère consultatif (juridiquement non contraignant), il interprète la portée d’obligations découlant du droit international qui, elles, sont contraignantes. L’avis pourrait donc avoir un impact sur l’issue de deux autres contentieux climat en cours auprès de juridictions internationales :         

Cour internationale de Justice

La Cour Internationale de Justice (CIJ) a été saisie par l’Assemblée générale des Nations Unies, AGNU (cf. résolution réf. A/RES/77/276 adoptée lors de sa 77e session le 29 mars 2023) pour donner un avis consultatif sur les obligations des Etats à l’égard du changement climatique.

Concrètement, l’AGNU demande à la CIJ, par rapport notamment à la Convention Climat, à l’Accord de Paris et au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement :

  • quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique contre les émissions anthropiques de GES ?
  • lorsque les États, par leurs actions ou inaction, ont causé des dommages significatifs au système climatique, quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations à l’égard :
  • des États, notamment des petits États insulaires qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou particulièrement touchés par les effets néfastes des changements climatiques ou qui sont particulièrement vulnérables à ces effets ?
  • des peuples et des individus des générations présentes et futures touchés par les effets néfastes des changements climatiques ?

C’est le Vanuatu, petit Etat insulaire du Pacifique sud, au nord de la Nouvelle Calédonie, qui est à l’origine de cette initiative inédite lancée en 2019.

La CIJ devrait se prononcer sur cette requête courant 2024.

Lire notre article « Justice climatique : l’Assemblée générale de l’ONU demande un avis à la Cour Internationale de Justice sur les obligations des Etats en matière d’action climat », publié le 16 mai 2023.

 

Cour interaméricaine des droits de l’homme

Les Gouvernements du Chili et de la Colombie ont saisi le 9 janvier 2023 la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Inter-American Court of Human Rights ou I/ACHR) d’une requête d’avis consultatif concernant l’urgence climatique et les droits humains. Concrètement, ces deux Etats ont demandé à l’IACHR de clarifier la portée des obligations des États, à titre individuel et collectif (responsabilités partagées), de répondre à l’urgence climatique dans le cadre du droit international des droits de l’homme.

 

Conclusions

Si des requêtes similaires sont actuellement en cours d’instruction auprès de deux autres juridictions internationales (voir ci-dessus), avec l’avis consultatif de l’ITLOS du 21 mai 2024, il s’agit de la toute première fois qu’une juridiction internationale rend un avis sur le changement climatique. Pour rappel, dans le cas récent du jugement condamnant la Suisse pour son action climat insuffisante suite à une requête introduite par l’association de femmes seniors suisses pour le climat (Verein KlimaSeniorinnen Schweiz) et par quatre femmes suisses à titre individuel (jugement du 9 avril 2024), la juridiction est européenne, à savoir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (lire notre article sur le sujet). La portée de l’avis de l’ITLOS est donc plus importante et cet avis pourrait servir de précédent juridique pour les contentieux climat en cours et pour de futures requêtes internationales.

Cet avis consultatif de l’ITLOS constitue une avancée importante à plusieurs titres :

  • une avancée importante pour renforcer le droit international sur le climat et la gouvernance internationale et nationale sur le climat, ainsi que pour renforcer l’action climat des Etats ;
  • selon l’avis, les Etats ont un devoir de protéger les océans de la pollution induite par les émissions de GES et, plus largement, des impacts du changement climatique ;
  • une avancée importante car il donne raison aux petits Etats insulaires requérants, en reconnaissant que leurs revendications faites depuis plusieurs années au nom de tous les pays en développement vulnérables (petits Etats insulaires et pays les moins avancés en tête) sont légitimes et font partie du droit international. Ces pays sont les pays les moins responsables du réchauffement (ils y ont contribué le moins), sont en première ligne face à ses impacts et sont le moins bien équipés pour y faire face. En effet, depuis plus de 30 ans, les petits Etats insulaires demandent notamment la mise en place d’un mécanisme de financement en faveur des pays vulnérables pour les aider à faire face aux des dégâts provoqués par le changement climatique. La toute première référence au sujet des pertes et préjudices dans les négociations climat internationales remonte à 1991, soit un an avant l’adoption de la CCNUCC (source : Carbon Brief, 27/09/22). Il s’agit donc d’une avancée importante vers davantage de justice climatique ;
  • une avancée importante car l’avis clarifie les obligations des Etats en matière de protection du climat et plus spécifiquement de réduction des émissions de GES, ce qui pourrait renforcer leurs responsabilités. Même si la CCNUCC et l’Accord de Paris, en tant que principaux instruments juridiques de lutte contre le problème mondial du changement climatique, sont pertinents pour l’interprétation et l’application de la Convention UNCLOS concernant la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, l’Accord de Paris n’impose pas aux Parties de réduire les émissions de GES à un niveau spécifique selon un calendrier obligatoire, mais laisse à chaque Partie le soin de déterminer ses propres contributions nationales et son niveau d’ambition. L’ITLOS ne considère pas que, pour remplir l’obligation établie par l’article 194.1 de la Convention UNCLOS, il suffirait de se conformer simplement aux obligations et engagements établis dans l’Accord de Paris ( paragraphes 222 et 223 de l’avis consultatif de l’ITLOS).

 

Par ailleurs, cet avis :

  • pourrait éclairer les contentieux climat à travers le monde qui sont en hausse constante : leur nombre a plus que doublé entre 2017 et 2022, passant ainsi de 884 en 2017 à 2 180 en 2022 (source :  PNUE, 27 juillet 2023 – lire notre article). Les tribunaux pourraient s’appuyer sur cet avis pour statuer dans des affaires nationales par exemple. Par ailleurs, dans le 3evolume de son 6e rapport d’évaluation, le Giec a souligné que dans certains cas, les contentieux climat ont eu une influence sur le résultat et l’ambition de la gouvernance climat (cf. résumé pour décideurs [Summary for Policymakers], publié le 4 avril 2022, paragraphe E.3.3 – voir aussi notre dossier de fond) ;
  • pourrait renforcer la position des pays vulnérables dans le cadre des négociations internationales et peser sur l’issue de ces négociations ;
  • devrait inciter les Gouvernements à accélérer et à renforcer leur action climat, ainsi que le niveau d’ambition de leur prochaine NDC qui doit être soumise par chaque Partie en 2025.

Enfin, il sera désormais probablement plus facile de demander des comptes aux Etats qui ne respectent pas leurs engagements et objectifs climat (via notamment la pratique du « Name and Shame», c’est-à-dire montrer du doigt un pays retardataire).

 

En savoir plus

Avis consultatif de l’ITLOS du 21 mai 2024 (en français et en anglais)

Communiqué de l’ITLOS du 21 mai 2024 (en français et en anglais)

« Climat : les Etats ont une « obligation de diligence requise élevée » pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine consécutive au changement climatique (Tribunal international du droit de la mer, avis consultatif du 21 mai 2024) », blog d’Arnaud Gossement du 21 mai 2024

Lire notre article « Justice climatique : l’Assemblée générale de l’ONU demande un avis à la Cour Internationale de Justice sur les obligations des Etats en matière d’action climat », publié le 23 mai 2023.

 

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