Financement climat pour les pays en développement : l’objectif de 100 milliards toujours non atteint en 2021
Le 16 novembre 2023, l’OCDE a publié sa sixième évaluation des progrès accomplis par les pays industrialisés en vue de la réalisation de l’objectif des 100 milliards de $ (Md$) par an avant 2020 (voir encadré contexte en fin d’article) pour aider les pays en développement à mettre en œuvre l’action climat (mesures d’atténuation et d’adaptation). Ce nouveau bilan fait suite à sa 5e évaluation publiée le 29 juillet 2022 indiquant le chiffre pour 2020 (lire notre article). Celle-ci présentait les chiffres définitifs, tant pour 2020, année cible de l’objectif, que pour l’ensemble de la période 2013-2020 et permet donc d’évaluer définitivement l’atteinte ou non de l’objectif des 100 Md$.
Cette 6e édition du rapport annuel a été publiée en vue d’éclairer les négociations dans le cadre de la prochaine Conférence des Parties à la Convention Climat (COP-28, Dubaï, Emirats arabes unis du 30 novembre au 12 décembre 2023).
Comment l’OCDE évalue la mise en œuvre de l’objectif des 100 Md$ US
Depuis 2015, l’OCDE produit, à la demande des pays donateurs, des analyses des progrès accomplis dans la réalisation de l’objectif des 100 milliards de $. Ces analyses reposent sur un cadre comptable robuste, conforme aux conclusions de la COP-24 convenues par toutes les Parties à l’Accord de Paris en ce qui concerne les sources de financement et les instruments financiers permettant de comptabiliser les ressources financières fournies et mobilisées par des interventions publiques (cf. décision 18/CMA.1). Les chiffres de l’OCDE rendent compte de quatre composantes distinctes du financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés :
- le financement climat public bilatéral fourni par les institutions des pays développés, notamment les agences d’aide bilatérale et les banques de développement,
- le financement climat public multilatéral fourni par les banques multilatérales de développement et les fonds multilatéraux pour le climat, attribué aux pays développés,
- les crédits à l’exportation liés au climat bénéficiant d’un soutien public fournis par les agences officielles de crédit à l’exportation des pays développés, et
- le financement climat privé mobilisé par les financements climat publics bilatéraux et multilatéraux, attribués aux pays développés.
Ces quatre composantes sont comptabilisées à partir de trois sources de données officielles sur les activités déclarées par les fournisseurs bilatéraux et multilatéraux de financement climat :
- la CCNUCC (pour la composante Public bilatéral),
- le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE (pour les composantes Public multilatéral et Privé mobilisé), et
- le Groupe sur les crédits à l’exportation (GCE) (pour la composante Crédits à l’export).
Le financement climat total fourni et mobilisé en 2021
En 2021, une année après l’année cible initiale de l’objectif de 100 Md$ dans le cadre de la CCNUCC, le financement climat total fourni et mobilisé par les pays développés pour les pays en développement s’est élevé à 89,6 Md$ (somme des quatre composantes) et donc n’a toujours pas atteint l’objectif de 100 Md$ initialement prévu pour 2020. Ce montant est néanmoins en hausse de 6,3 Md$ (+7,6%) par rapport aux 83,3 Md$ de 2020. Cette hausse de 7,6% est par ailleurs supérieure à la hausse de 4% entre 2019 et 2020 et à celle entre 2018 et 2019 (+2%). Cependant, ces deux dernières hausses contrastent nettement avec la progression de 10% entre 2017 et 2018 et de 21,5% entre 2016 et 2017.
Malgré les hausses d’ampleur différente entre 2016 et 2021, l’OCDE pointe très clairement un écart de 10,4 Md$ entre le résultat 2021 et l’objectif 2020 de 100 Md$, lequel n’a donc pas été atteint à son échéance.
Tendances par composante
Le financement climat public (bilatéral et multilatéral) continue de représenter la majorité du total (73,2 Md$ sur le total de 89,6 Md$ en 2021, soit 82%). Il a presque doublé entre 2013 et 2021 (passant de 38 Md$ à 73,2 Md$), et a progressé de manière constante d’année en année depuis 2015. Au sein du financement climat public, c’est le financement climat public multilatéral attribuable aux pays développés qui a augmenté le plus depuis 2013, dépassant le financement climat public bilatéral à partir de 2019 (voir graphique ci-dessous).
Le financement climat privé mobilisé, pour lequel des données comparables ne sont disponibles qu’à partir de 2016 (voir la remarque sous le graphique et le tableau ci-dessous), était de 14,4 Md$ en 2021, retrouvant ainsi son niveau de 2019 après une baisse en 2020 (-9%). Cependant, sa part dans le total reste faible (16%).
Les crédits à l’exportation liés au climat ont augmenté de 28% sur la période 2013-21, mais leur volume d’une année sur l’autre reste volatil et leur part dans le total continue d’être très faible (2%).
Financement climatique fourni et mobilisé en 2013-2021 (en milliards de $ US)
Source : OCDE, 16 nov. 2023 (p.9).
Remarques
La somme des composantes peut ne pas correspondre aux totaux en raison des arrondis.
L’absence de données en 2015 pour les financements privés mobilisés résulte de la mise en œuvre de méthodes de mesure améliorées. Ces méthodologies améliorées mesurent l’effet de mobilisation des interventions publiques, en tenant compte des mécanismes spécifiques utilisés pour attirer les investissements du secteur privé, tels que les garanties, les véhicules d’investissement collectif, les prêts syndiqués ou le financement de projets. Cette approche granulaire et spécifique à un instrument n’est pas entièrement compatible avec les estimations développées pour 2013-14. Par conséquent, les totaux sur la période 2016-20 et en 2013-14 ne sont pas directement comparables.
Sources initiales : sur la base des rapports biennaux à la CCNUCC, des statistiques du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE et du Groupe des crédits à l’exportation, et de données complémentaires fournies à l’OCDE.
Répartition entre atténuation et adaptation et répartition sectorielle
Au titre de l’article 9 paragraphe 4 de l’Accord de Paris, les Parties doivent viser à parvenir à un équilibre dans le financement climat entre les deux volets de l’action climat (atténuation et adaptation).
Sur la période 2016-21, le financement climat fourni et mobilisé pour chacune des trois volets d’atténuation, d’adaptation et d’activités transversales (c’est-à-dire à des actions ciblant les deux volets) a augmenté en termes absolus. Le rapport montre qu’en 2021, sur l’ensemble du financement climat, 24,6 Md$ ont été attribués à l’adaptation (contre 28,6 Md$ en 2020), 53,8 Md$ à l’atténuation (contre 48,6 Md$ en 2020), et le reste à des activités transversales.
Par conséquent, en 2021, l’atténuation continue de représenter la majorité (60%) du financement climatique fourni et mobilisé (contre 58% en 2020), l’adaptation 27% (contre 34% en 2020) et les activités transversales 13% (contre 7% en 2020).
Cependant, alors qu’entre 2019 et 2020, le financement de l’adaptation avait augmenté de 8,3 Md$ (+41%), il a baissé de 4 Md$ (-14%) entre 2020 et 2021. Parallèlement, le financement de l’atténuation a crû de 5,1 Md$ (+11%) en 2021 par rapport à 2020, alors qu’entre 2019 et 2020, celui-ci avait baissé de 2,8 Md$ (-5%). La baisse du financement de l’adaptation entre 2020 et 2021 n’est pas de bon augure au regard de l’objectif fixé en novembre 2021 de doubler le soutien financier à l’adaptation en 2019 (20,3 Md$) pour atteindre environ 40,6 Md$ par an d’ici à 2025 (dans le cadre du Pacte de Glasgow pour le climat, adopté lors de la CMA-3, décision 1/CMA.3, §18). Il reste donc quatre ans pour atteindre cet objectif. A noter que les chiffres définitifs pour 2025 ne seront disponibles qu’en 2027 du fait du dispositif de rapportage du financement climat en place.
Entre 2016 et 2021, près des deux tiers du total du financement climat fourni et mobilisé a ciblé quatre secteurs clés : l’énergie (31%), le transport (14%), l’agriculture, la sylviculture et la pêche (9%), et l’approvisionnement en eau et l’assainissement (8%). Au cours de la période de six ans, la répartition sectorielle est restée globalement stable, à l’exception de la part du financement climat ciblant le secteur de l’énergie, qui a progressivement diminué, passant de 38% en 2016 à 26% en 2021.
Répartition du financement climat fourni entre atténuation, adaptation ou les deux (2016-2021)
(en milliards de $ US)
Remarque
« Ciblant les deux objectifs » se rapporte à des projets présentant des avantages en termes à la fois d’atténuation et d’adaptation.
Source : OCDE, 16 nov. 2023 (p.10).
Instruments de financement climat public et mobilisation de financement privé
Le financement climat public des pays développés, fourni bilatéralement et par le biais de canaux multilatéraux, a atteint 73,1 Md$ en 2021. Comme les années précédentes, le financement climat public en 2021 a principalement pris la forme de prêts (68% de ce total, soit 49,6 Md$). Quant aux dons (subventions), ils représentent 28% (soit 20,2 Md$), tandis que les prises de participation restent marginales (4%).
Entre 2016 et 2020, le montant annuel des dons a augmenté de 7,9 Md$ (soit +64%) et celui des prêts publics de 16,3 Md$ (+49%).
Répartition du financement climat public par type d’instrument (2016-2021)
(en milliards de $ US)
Source : OCDE, 16 nov. 2023 (p.11).
Répartition du financement climat fourni par région et par catégorie de pays vulnérable
A la différence du rapport annuel publié en 2022, la nouvelle édition 2023 est moins transparente quant aux bénéficiaires du financement climat dans la mesure où il ne présente pas de répartition du financement climat fourni, ni par région, par catégorie de pays. Il est néanmoins possible de glaner quelques informations pertinentes concernant les pays dotés d’un statut spécial auprès des Nations Unies, à savoir les pays les moins avancés (PMA) et les petits Etats insulaires en développement (PEID). Selon le rapport, les PMA ont bénéficié de 15 Md$ de financement climat par an en moyenne au cours de la période 2016-21 (17% du total du financement climat fourni et mobilisé sur cette période), et les PEID de 3 Md$ (3%). En raison des chevauchements entre ces catégories et les groupes de revenus des pays, ces volumes ne peuvent pas être additionnés.
En outre, selon le rapport, la part du financement climat ciblant les PMA a progressivement augmenté, passant de 12% en 2016 à 25% en 2020, mais elle a ensuite baissé à 20% en 2021. La part ciblant les PEID a également progressivement crû, passant de 2% en 2016 à 4% en 2021 (en revanche, aucun chiffre n’est présenté pour 2020 dans ce rapport public, donc il n’est pas possible de connaître l’évolution 2020-2021).
Bilan
Ce 6e bilan confirme les préoccupations des pays vulnérables :
- que les pays industrialisés ne sont donc toujours pas parvenus à atteindre l’objectif des 100 Md$, même un an après son année cible de 2020, laissant toujours un écart de 10,4 Md$ entre le résultat 2021 et l’objectif 2020, soit un peu plus de 10% du montant total promis,
- que la mobilisation du financement privé stagne depuis 2017, et
- que, malgré l’intensification de la crise de l’endettement de nombreux pays en développement, la plus grande partie du financement climat public demeure sous forme de prêts (68%), toutefois en baisse depuis l’évaluation 2022 (71% en 2020),
- que le déséquilibre du soutien financier apporté par les pays industrialisés aux pays en développement entre l’atténuation (60% du total fourni) et l’adaptation (27%) persiste alors que l’adaptation représente pour les pays en développement, et notamment les pays vulnérables (petits Etats insulaires et pays les moins avancés en tête), un enjeu beaucoup plus important que l’atténuation. L’OCDE note surtout qu’entre 2020 et 2021, le financement de l’adaptation a baissé de 4 Md$ (-14% en 2021) après une hausse entre 2019 et 2020 de 8,3 Md$ (+41%).
Annonce du Secrétaire général de l’OCDE : l’objectif atteint en 2022 ?
Dans l’avant-propos du 6e bilan, Mathias Cormann, Secrétaire général de l’OCDE déclare : « Le total de 89,6 Md$ pour 2021 est légèrement au-dessus de la limite supérieure [des] scénarios [prospectifs pour 2021-25 élaborés par l’OCDE en 2021 et publiés le 25 octobre 2021 dans une note technique] pour cette même année (estimée à 88 Md$). Sur la base de données préliminaires et non encore vérifiées, l’objectif [des 100 Md$] est susceptible d’avoir déjà été atteint en 2022 ».
Cette affirmation précoce se base donc uniquement sur des chiffres provisoires, incomplets et non vérifiés.
Selon une analyse réalisée par Joe Thwaites, expert en financement climat international au sein de l’ONG américaine Natural Resources Defense Council (Association de défense des ressources naturelles), si la hausse de 7,6% entre 2020 et 2021 devait se poursuivre entre 2021 et 2022, le montant total fourni serait 96,4 Md$ et non 100 Md$.
L’écart entre le financement climat fourni et les besoins réels des pays en développement
Il convient de garder à l’esprit que cet objectif de 100 Md$/an est symbolique car c’est un chiffre purement politique, négocié et adopté à la COP-15 à Copenhague en 2009. Il ne se base sur aucune évaluation technique des besoins financiers réels des pays en développement pour s’adapter au changement climatique et faire face à ses impacts irréversibles (pertes et préjudices). Ce chiffre de 100 Md$/an avait initialement été proposé en amont de la COP-15 par le Premier Ministre du Royaume-Uni de l’époque, Gordon Brown dans un discours intitulé « le chemin vers Copenhague » (The Road to Copenhagen), prononcé le 29 juin 2009.
Le montant de 100 Md$/an représenterait au bas mot un dixième du montant réel nécessaire (voir encadré ci-dessous).
Financement climat pour les pays en développement : quels sont les besoins réels ?
Deux rapports de référence, l’un publié lors de la COP-27 à Charm el-Cheikh (Egypte) fin 2022 et l’autre, plus récent, publié le 2 novembre 2023 quantifient des estimations concernant les besoins en termes de financement climat des pays en développement.
Rapport commandé par les Présidences de la COP-26 et de la COP-27 : 1 000 Md $ par an en 2030
Le 8 novembre 2022, un rapport intitulé « Finance for Climate Action : Scaling up investment for climate and development » [Financement pour l’action climat : accélérer et accroître l’investissement en faveur du climat et du développement] a été publié par le Groupe d’experts indépendants de haut niveau sur le financement climat, (Independent High-Level Expert Group on Climate Finance). Ce groupe a été lancé en juillet 2022 par les Présidences de la COP-26 (Royaume-Uni) et de la COP-27 (Egypte) et il est co-présidé par l’économiste britannique Nicolas Stern. Ce rapport a été établi à la suite de la demande conjointe des deux Présidences (voir lettre du 19/07/2022).
Le rapport, qui vise à fournir un cadre pour le financement de l’action climat, conclut notamment :
- que l’action actuelle est trop lente et trop faible et retarder l’action est dangereux,
- que le monde a besoin d’une nouvelle feuille de route sur le financement climat qui soit en mesure de mobiliser les 1 000 Md$/an nécessaires en 2030 pour aider les pays en développement et émergents (hors la Chine qui n’est pas prise en compte dans cette analyse),
- que les politiques publiques et les mesures gouvernementales ont un rôle important à jouer pour stimuler les investissements,
- que le secteur privé, les banques multilatérales de développement et les institutions financières internationales ont également un rôle complémentaire à jouer,
- qu’à la différence du chiffre des 100 Md$/an, qui a été négocié lors de la COP-15 à Copenhague et qui ne se basait pas sur des analyses du montant réellement nécessaire, le chiffre de 1 000 Md$/an est le montant nécessaire pour permettre aux pays en développement de s’adapter au changement climatique et de faire face à ses impacts irréversibles (pertes et préjudices), montant basé sur une analyse des investissements et actions climat nécessaires et sur le financement national potentiellement disponible.
Lire notre article sur ce sujet.
Rapport du PNUE : Estimation des coûts annuels de l’adaptation d’ici 2030 – entre 160 et 340 Md$
Le 2 novembre 2023, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié son rapport annuel sur l’adaptation Adaptation Gap Report (à l’instar de son rapport annuel sur les émissions de GES, Emissions Gap Report). Ce rapport évalue l’écart entre les efforts consentis par les Etats pour s’adapter au dérèglement climatique (dont les flux de financement fournis par les pays industrialisés aux pays en développement) et les besoins réels nécessaires des pays en développement pour y faire face. Parmi ses conclusions :
- l’estimation des coûts actualisés de l’adaptation pour les pays en développement se situe dans une fourchette centrale plausible entre 215 à 387 milliards de dollars (Md$) par an au cours de la décennie 2021-2030;
- les besoins de financement pour l’adaptation des pays en développement sont 10 à 18 fois plus importants que les flux de financement public international en 2021, soit en hausse de plus de 50% par rapport à la fourchette d’estimation précédente (flux de financement international en 2020 estimés à 5 à 10 inférieurs aux besoins réels, voir p.32 de notre dossier de fond sur la COP-27)
- les flux publics multilatéraux et bilatéraux de financement de l’adaptation vers les pays en développement ont diminué de 15% pour atteindre environ 21 Md$ en 2021. Cette baisse, jugée inquiétante par le PNUE, intervient malgré l’objectif fixé en novembre 2021 de doubler le soutien financier à l’adaptation en 2019 pour atteindre environ 40 Md$ par an d’ici à 2025 (dans le cadre du Pacte de Glasgow pour le climat, adopté lors de la CMA-3, décision 1/CMA.3, §18) ;
- en raison de l’augmentation des besoins de financement de l’adaptation et de l’affaiblissement des flux, l’estimation du déficit actuel de financement de l’adaptation est désormais comprise entre 194 et 366 Md$ par an.
Voir rapport intégral | synthèse | messages clés.
Enfin, selon le Secrétaire général de l’OCDE, Matthias Cormann, d’ici 2025, il est estimé que les pays en développement auront des besoins d’investissements liés à l’action climat d’environ 1 000 Md$, et que ce chiffre passera à environ 2 400 Md$ par an entre 2026 et 2030 (source : avant-propos du 6e bilan de l’OCDE, publié le 16 novembre 2023).
Financement climat : source de vives tensions lors des COP
Rappelons enfin que le financement des actions climat des pays en développement par les pays industrialisés constitue le « nerf de la guerre » des négociations au sein de la CCNUCC et surtout une source fréquente de vives tensions diplomatiques et de blocage lors de celles-ci depuis de nombreuses années. La non-atteinte de l’objectif des 100 Md$ à son échéance initiale de 2020 a eu pour conséquence d’entamer la confiance des pays en développement vis-à-vis des pays industrialisés et de freiner les progrès dans les autres axes de négociation (notamment l’atténuation). Pour rétablir la confiance entre les pays du Sud et les pays du Nord, ces derniers devraient faire preuve d’efforts renforcés pour accroître le financement climat public et privé et ce, sous forme de dons (subventions) plutôt que des prêts pour ne pas alourdir davantage le fardeau de la dette des pays bénéficiaires.
Le financement climat joue également un rôle crucial dans le renforcement de l’ambition des pays en développement. Ceux-ci ne manqueront pas de soulever, lors de la COP-28, les résultats du bilan 2021 de l’OCDE et notamment le déséquilibre persistant entre atténuation et adaptation, et de critiquer vivement le manque d’ambition des pays industrialisés en termes de financement climat.
Publications complémentaires
Deux rapports complémentaires, également publiés le 16 novembre 2023, par l’OCDE, analysent en détail les défis à relever pour accroître le financement de l’adaptation et les financements privés mobilisés, ainsi que les opportunités qui s’offrent en la matière :
- Augmenter le financement de l’adaptation dans les pays en développement,
- Augmenter la mobilisation du financement privé pour l’action climatique dans les pays en développement
A noter que ces deux rapports complémentaires ne sont pas en accès libre.
En savoir plus
Tendances agrégées du financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés en 2013-2021, OCDE, 16 novembre 2023 :
Version française et anglaise du rapport (en accès libre)
Communiqué en français et en anglais.
L’objectif des 100 milliards de $
Historique
Lors de la COP-15 (2009 à Copenhague), les pays industrialisés s’étaient mis d’accord sur un objectif collectif : ils s’étaient engagés à mobiliser et à fournir, avant 2020, 100 milliards de $ US par an, à partir de sources publiques et privées, bilatérales et multilatérales, pour répondre aux besoins des pays en développement en matière d’atténuation et d’adaptation. Cet engagement avait été inscrit dans le paragraphe 8 de l’Accord de Copenhague (décision 2/CP.15) et formalisé dans le cadre des Accords de Cancún adoptés lors de la COP-16 (2010) et plus précisément au paragraphe 98 de la décision 1/CP.16. Une part appréciable de ce financement doit être acheminée via le Fonds vert [de Copenhague] pour le climat (Green Climate Fund ou GCF), établi également par l’Accord de Copenhague (paragraphe 10).
Lors de la COP-21 (2015 à Paris), l’objectif collectif avait été réitéré et prolongé jusqu’en 2025 (cf. paragraphe 53 de la décision 1/CP.21 accompagnant l’Accord de Paris). Au titre de l’article 9 paragraphe 4 de l’Accord de Paris, les Parties doivent viser à parvenir à un équilibre dans le financement climat entre les deux volets de l’action climat (atténuation et adaptation).
Pour les pays en développement, la concrétisation intégrale de l’engagement des 100 milliards de $ par les pays industrialisés est considérée comme une condition sine qua non pour rétablir la confiance entre les deux catégories de pays. Ainsi, le dossier financement climat constitue depuis plus de 10 ans une véritable pierre d’achoppement des négociations climat dans le cadre de la CCNUCC. Même si les experts s’accordent à reconnaître que les besoins financiers réels des pays en développement sont bien plus élevés que 100 Md$ par an, cet objectif sert surtout à démontrer un principe de solidarité qui constitue la clé d’un engagement collectif à agir. La Présidence britannique de la COP-26 citait le chiffre de « plusieurs milliers de milliards de $ » qui sont nécessaires pour subvenir aux besoins des pays en développement pour lutter contre le dérèglement climatique (source : Programme de la Présidence britannique, p.8).
Les rapports d’évaluation précédents de l’OCDE
L’OCDE a publié précédemment plusieurs rapports sur le thème financement climat :
- 7 octobre 2015: le premier rapport sur le financement climat en 2013-2014 au regard de l’objectif des 100 milliards de $ (voir p.36 de notre dossier de fond sur la COP-21),
- 29 novembre 2018: 1er rapport d’évaluation des flux financiers publics des pays industrialisés vers les pays en développement sur la période 2013-2017 (voir p.43 de notre dossier de fond sur la COP-24),
- 13 septembre 2019: 2e rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’objectif des 100 milliards de $ (couvrant la période 2013-2017),
- 6 novembre 2020 : 3e rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’objectif des 100 milliards de $ (couvrant la période 2013-2018).
- 17 septembre 2021 : 4e rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’objectif des 100 milliards de $ (couvrant la période 2013-2019).
- 29 juillet 2022 : 5e rapport d’évaluation de la mise en œuvre de l’objectif des 100 milliards de $ (couvrant la période 2013-2020). Ce rapport présente les chiffres définitifs pour 2020, année cible de l’objectif.
En 2020, le financement climat total fourni et mobilisé par les pays développés pour les pays en développement n’a pas atteint 100 Md$ mais s’est élevé à 83,3 Md$. L’OCDE pointe très clairement un écart de 16,7 Md$ entre le résultat 2020 et l’objectif 2020 de 100 Md$, lequel n’a donc pas été atteint à son échéance.
Le plan de mise en œuvre pour accélérer la réalisation de l’objectif 2020
Lors de la réunion ministérielle informelle à Londres, convoquée les 25-26 juillet 2021 par la Présidence britannique de la COP-26, celle-ci a mandaté Jochen Flasbarth, alors Secrétaire d’État à l’Environnement de l’Allemagne, et Jonathan Wilkinson, alors Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, pour établir un plan clarifiant la façon dont les pays développés pourraient collectivement intensifier leurs efforts pour atteindre l’objectif des 100 Md $ par an jusqu’en 2025. Cette démarche a été jugée très importante pour regagner la confiance des pays en développement, pays bénéficiaires du soutien international.
Résultat : le 25 octobre 2021, la Présidence britannique de la COP-26 a publié un plan de mise en œuvre (delivery plan) établi par MM. Flasbarth et Wilkinson conformément à leur mandat. Ce plan clarifie « quand et comment les pays développés atteindront l’objectif des 100 Md $ ». Le plan s’appuie sur des scénarios prospectifs du financement climat fourni par les pays développés sur la période 2021-2025, élaborés par l’OCDE et publiés le 25 octobre 2021 dans une note technique. Ces scénarios montrent que, si les engagements annoncés par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux sont respectés, cet objectif [des 100 Md $] devrait être atteint en 2023 et surpassé dans la période jusqu’à 2025. Sur cette base, l’analyse des deux Ministres « fournit la confiance que l’objectif serait atteint en 2023 », soit trois ans après son échéance et 13 ans après avoir été fixé.
Rapport d’étape de ce plan de mise en œuvre : le 28 octobre 2022, le Ministère canadien de l’environnement et du changement climatique et le Ministère allemand de l’Environnement ont publié un rapport d’étape (progress report). Le rapport conclut entre autres que bien que des progrès significatifs aient été réalisés depuis le lancement du Plan de mise en œuvre du financement climat en amont de la COP-26, des efforts supplémentaires sont encore nécessaires pour améliorer l’ampleur, l’efficacité et l’accès au financement climat, et pour atteindre l’objectif de 100 Md$. Le rapport d’étape visait à contribuer à faire avancer le débat lors de la COP-27 et au-delà, alors que l’attention se porte d’ores et déjà sur l’objectif post-2025 pour le financement du climat.
Enfin, dans une lettre ouverte des deux Ministres actuels de l’Environnement de l’Allemagne et du Canada (respectivement Jennifer Morgan et Stephen Guilbeault) en date du 15 septembre 2023, ceux-ci se sont montrés confiants que l’objectif sera atteint cette année, soit avec trois ans de retard.