Absorption du CO2 et géo-ingénierie du climat : la Commission mondiale sur le dépassement des +1,5°C remet son rapport
Selon cette enceinte internationale indépendante, en plus de la réduction d’émissions, de l’adaptation et du développement des solutions d’absorption du CO2 (Carbon Dioxyde Removal ou CDR), les Etats devraient aussi approfondir la recherche sur la modification du rayonnement solaire (SRM), tout en adoptant un moratoire sur les « essais extérieurs à grande échelle ». Si le groupe d’experts reconnaît les incertitudes et les risques liés à cette technologie de géo-ingénierie qui est à un stade de développement balbutiant, il ne l’écarte pas du portefeuille d’action climat pour réduire les risques du dépassement. Il préconise également la mise en place d’un dialogue international pour renforcer la gouvernance en la matière.
La Commission mondiale sur la réduction des risques liés au dépassement [de l’objectif de +1,5°C] (en anglais : Climate Overshoot Commission – voir encadré ci-dessous) a publié son rapport final le 14 septembre 2023. Cette Commission indépendante, mise en place le 17 mai 2022, est notamment composée de plusieurs anciens Chefs d’Etat et de Gouvernement, sous la présidence du Français, Pascal Lamy, ancien Directeur-général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
La Commission s’est fixée pour mission d’élaborer une stratégie visant à réduire les risques en cas de dépassement de l’objectif de +1,5°C. Selon son président, il s’agit du premier groupe de haut niveau à traiter de façon holistique l’ensemble des volets de l’action climat – réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) [atténuation], absorption de CO2, adaptation, et modification du rayonnement solaire (SRM) – et de les intégrer dans une stratégie complète (source : Pascal Lamy, introduction du rapport, p.3). La SRM est une technologie de géo-ingénierie à forts enjeux qui n’est pas encore prouvée, ni commercialisable. La Commission a axé ses travaux sur cet aspect de la géo-ingénierie car elle figure parmi les technologies de géo-ingénierie les plus controversées, étant surtout entourée de très grandes incertitudes et de lacunes en termes de connaissances scientifiques et d’impacts sur le système climatique mondial et soulevant également des questions éthiques. Aucun traité ou accord juridique international n’existe pour encadrer la géo-ingénierie et donc aucune règle internationale n’a été fixée pour encadrer ce que les Etats ou les acteurs non-étatiques peuvent ou ne peuvent pas faire.
Le rapport a été publié au terme de presque deux ans de discussions et de consultations.
Que retenir de ce rapport ?
Dans son rapport, le groupe d’experts de la Commission formule 22 recommandations politiques regroupées dans quatre volets thématiques (réduction d’émissions, adaptation, absorption de CO2, modification du rayonnement solaire) et un volet transversal (financement climat). La Commission a conçu l’ensemble de ces recommandations comme des composantes intégrées d’une stratégie globale à quatre volets visant à réduire les risques d’un dépassement du seuil de +1,5°C. Les membres de la Commission ont baptisé cette stratégie « CARE Agenda » :
- « C » pour « cut» (réduire les émissions de GES) : accélérer les réductions d’émissions de GES et consolider la décarbonation ;
- « A » pour adapter les systèmes humains et naturels : amplifier l’adaptation et la prendre intégralement en compte dans le développement des Etats ;
- « R » pour « remove» (absorber le CO2) : développer et mettre en œuvre l’absorption de CO2 (Carbon Dioxide Removal ou CDR[1]) de haute qualité pour contribuer à atteindre les objectifs de zéro émission nette et au-delà ;
- « E » pour explorer la SRM : adopter un moratoire sur la SRM à grande échelle et accroître la recherche et le dialogue sur la gouvernance en la matière.
Cette stratégie globale vise ainsi à réduire et à gérer les risques de dépassement de l’objectif de +1,5°C.
Messages clés : vue d’ensemble
- il est encore possible d’éviter un dépassement de l’objectif de +1,5°C ;
- les risques de dépassement sont élevés et augmentent : ils pourraient être sévères et inéquitablement répartis, les préjudices les plus importants affectant les pays les plus vulnérables et les pays à faibles revenus ;
- les préjudices induits par un dépassement dépendront de son ampleur et de sa durée. Chaque dixième de degré compte (lire p.3 de notre dossier de fond sur le résumé pour décideurs du 3e volume du 6e rapport d’évaluation du Giec). Plus le dépassement sera important, plus les impacts seront graves ;
- les Gouvernements et les acteurs non-étatiques doivent agir pour réduire la probabilité, l’ampleur et la durée de tout dépassement ;
- plusieurs approches existent pour atténuer le changement climatique qui pourraient à la fois réduire les risques d’un dépassement et réduire son ampleur et sa durée s’il survient ;
- ses approches varient considérablement en termes d’efficacité, de disponibilité, de possibilités, de coûts, de risques et de certitudes ;
- la réduction des émissions de GES reste la priorité absolue mais des approches complémentaires, telles que le CDR et la SRM, devraient être poursuivies. Il sera nécessaire de recourir au CDR à une échelle importante pour limiter ou éviter un dépassement. Il faut renforcer la recherche en matière de SRM et lancer des discussions sur sa gouvernance ;
Les 22 recommandations de la Commission mondiale sur le dépassement, par volet d’action climat
Volet 1 : Réductions d’émissions de GES (trois recommandations)
- les Gouvernements devraient décider d’éliminer progressivement la production et la consommation de tous les combustibles fossiles et d’accélérer leurs trajectoires de développement et d’émissions à cette fin ;
- il faudrait considérablement renforcer les efforts de réduire les forceurs climatiques à courte durée de vie (CH4, carbone suie, ozone troposphérique et certaines espèces d’HFC – lire notre article) ;
- les systèmes de rapportage et destinés à rendre des comptes devraient être renforcés pour rendre disponibles des informations fiables et pertinentes sur les risques et impacts des activités du secteur privé.
Volet 2 : Adaptation (six recommandations)
- créer un indice de vulnérabilité climat mondial (Global Climate Vulnerability Index) destiné à éclairer la conception et la mise en œuvre des mesures d’adaptation efficaces et en adéquation avec les régions concernées pour répondre à leurs besoins et préférences spécifiques ;
- pour compléter et soutenir ces évaluations, des métriques normalisées pour l’adaptation devraient être développées : la mise au point et l’application d’un système robuste de métriques normalisées pour l’adaptation permettraient de mieux cibler des investissements stratégiques en matière de résilience au climat ;
- pour intégrer ces évaluations et priorités dans des plans d’actions complets, le modèle des partenariats de transition énergétique juste (Just Energy Transition Partnerships ou JET-P) devrait être reproduit et reconfiguré pour soutenir l’adaptation. Plusieurs partenariats JET-P ont déjà été mis en place entre pays industrialisés et pays en développement ou émergents : Afrique du Sud (lancé le 2 novembre 2021 lors de la COP-26 – lire p.18 de notre dossier de fond COP-26), Indonésie (lancé le 15 novembre 2022 lors du sommet du G20 à Bali pour décarboner sa production d’électricité – lire p.25 de notre dossier de fond COP-27), Vietnam (annoncé le 14 décembre 2022) et Sénégal (annoncé le 22 juin 2023) ;
- pour renforcer la capacité de réponse de ces plans d’actions, des efforts mondiaux en faveur des systèmes d’alerte précoce devraient être soutenus ;
- il faudrait renforcer le soutien aux efforts consentis pour face faire à la mobilité climatique (y compris la migration, le déplacement et la relocalisation planifiée, suite à des évènements météorologiques à évolution lente ou extrêmes ;
- il est vital de renforcer la résilience de l’agriculture et des systèmes agroalimentaires, étant donné leur importance pour l’adaptation dans les pays vulnérables.
La Commission ajoute en outre que pour que l’adaptation soit efficace à long terme, il faut réduire les émissions de GES.
Volet 3 : Absorption du CO2 (CDR) (cinq recommandations)
- les Gouvernements devraient promouvoir le développement rapide du CDR de haute qualité, en prenant en compte les co-bénéfices et le stockage permanent à une échelle et à un rythme qui soient suffisants pour réduire concrètement les risques climatiques en 2050 et pour contribuer à faire en sorte que tout dépassement reste faible et de courte durée ;
- le CDR à grande échelle est tributaire de l’action des Gouvernements. Par conséquent, ceux-ci devraient rendre obligatoires et encourager l’innovation et le développement du CDR, et ils devraient le faire eux-mêmes ;
- à court et à moyen terme, il faut poursuivre les efforts de coopération internationale pour financer la mise en œuvre du CDR à travers le monde ;
- les Etats devraient appliquer, en tant que base mondiale pour répartir les coûts du CDR à grande échelle, le principe selon lequel ceux qui occasionnent des dommages devraient y remédier. Cela inclut des obligations de reprise de CO2 (carbon takeback obligations) qui obligeraient les compagnies de production de combustibles fossiles à capter et à stocker une part croissante du CO2 généré par les produits qu’elles vendent. Ce captage aura un coût élevé et les obligations de reprise de CO2 constituent une possibilité d’appliquer le principe pollueur-payeur ;
- étant donné les incertitudes actuelles quant aux méthodes de CDR et aux conséquences de leur mise en œuvre, les politiques visant à promouvoir le développement rapide du CDR de haute qualité devraient être soumises à des évaluations régulières et être mises à jour sur la base des résultats de ces évaluations.
Par ailleurs, la Commission ajoute que le CDR ne doit pas primer sur les réductions d’émissions de GES. Pour éviter cela, dans le cadre des politiques nationales en matière de CDR, le recours à cette approche ne doit pas être traité comme pouvant se substituer à la nécessité de réduire les émissions de GES.
Dans l’élaboration des politiques climat, il faut accorder une plus grande priorité aux forêts et notamment aux efforts consentis pour ralentir et, à terme, mettre fin à la déforestation.
Les méthodes d’absorption de CO2
Source : Climate Overshoot Commission, rapport final, 14 septembre 2023 (p.79).
CDR : typologie proposée par l’Allemagne (UBA)
L’Agence fédérale allemande de l’environnement (Umweltbundesamt ou UBA) a publié le 25 juillet 2023 une typologie sur les différentes méthodes et technologies de CDR. Ainsi, cette fiche technique (factsheet) présente les différentes définitions (Giec, Commission européenne,…), les types de CDR et la finalité du CDR. Le document de l’UBA vise à différencier les diverses méthodes et technologies de CDR à l’aune de leur efficacité à absorber ou à capter le CO2 et à les caractériser en fonction des impacts environnementaux de leur mise en œuvre.
Volet 4 : Modification du rayonnement solaire (SRM) (cinq recommandations)
- sans attendre un traité international formel juridiquement contraignant (dont l’élaboration pourrait prendre plusieurs années), les Etats devraient d’ores et déjà adopter un moratoire sur le déploiement de la SRM et des expériences et essais à l’extérieur à grande échelle (concept non défini dans le rapport). Le moratoire devrait s’appliquer à tout projet comportant un risque de dommages transfrontaliers importants, quelle que soit la zone d’expérimentation, quel que soit le porteur ou l’opérateur du projet, quelle que soit la forme du projet ou quel que soit l’objectif du projet ;
- il faut renforcer la gouvernance de la recherche en matière de SRM ;
- parallèlement au renforcement de la gouvernance, il faut renforcer la recherche scientifique, par exemple via des projets de recherche conjoints Nord-Sud ;
- il faut effectuer et mettre à jour régulièrement une évaluation scientifique indépendante internationale des meilleures connaissances disponibles sur la SRM. Ces mises à jour devraient intégrer les résultats de nouvelles recherches et examiner les lacunes et limites en matière de connaissances scientifiques identifiées dans les évaluations précédentes. Le Giec, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) ou le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) pourraient figurer parmi les éventuels organismes en mesure de réaliser ces évaluations ;
- puisque le recours potentiel au SRM soulève de multiples questions et préoccupations (dont des problèmes de gouvernance inédits), il faut mener des dialogues et consultations larges sur le plan international sur la question de savoir comment gérer la SRM de façon efficace, prudente et équitable.
SRM : messages clés du rapport
- les méthodes de SRM pourraient réduire le réchauffement climatique mais elles sont controversées et elles pourraient poser d’importants risques nouveaux ;
- la recherche scientifique est à un stade balbutiant et elle est encore loin de soutenir la prise de décision politique éclairée sur l’utilisation de la SRM ou sa non-utilisation. Il faut renforcer la recherche, y compris dans les pays en développement, pour aider à déterminer s’il faut poursuivre cette démarche technologique et si oui, comment ;
- les discussions sur la gouvernance sur la SRM sont également à un stade balbutiant. Il faut lancer dès que possible des dialogues internationaux inclusifs ;
- le manque actuel de gouvernance entraîne aussi des risques, y compris la possibilité de déploiement prématuré de certaines méthodes.
Les méthodes de modification du rayonnement solaire
Source : Climate Overshoot Commission, rapport final, 14 septembre 2023 (p.89).
Etat des lieux de la recherche scientifique sur la SRM : rapport du PNUE
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié le 28 février 2023 un rapport présentant les résultats d’une expertise indépendante visant à dresser un état des lieux de la recherche scientifique sur la SRM. L’annexe I du rapport présente les principales technologies de SRM (voir pp.32-33).
Le groupe d’experts conclut dans son rapport :
- que la SRM ne doit pas se substituer à l’atténuation, laquelle doit rester la première priorité mondiale ;
- que la SRM n’est pas encore prêt pour un déploiement à grande échelle ;
- que le déploiement opérationnel de la SRM introduirait de nouveaux risques et de nouveaux impacts du changement climatique pour l’humanité et les écosystèmes. Il pourrait également avoir un impact nocif sur la couche d’ozone ;
- qu’étant donné ces risques, il est nécessaire d’établir un processus d’évaluation scientifique internationale pour identifier les incertitudes et les manques de connaissances sur sur la SRM et ses conséquences ;
- qu’avant d’envisager son éventuel déploiement, la SRM doit faire l’objet de recherches approfondies sur ses risques et bénéfices.
Voir rapport | communiqué | fiche questions/réponses
Volet transversal : Financement climat (trois recommandations)
- des organismes publics (les institutions financières internationales en tête) devraient mobiliser et mettre à disposition de plus amples ressources financières destinées à soutenir les pays en développement ;
- le secteur privé devrait accroître massivement ses flux de capitaux en faveur de l’action climat, tant dans les pays industrialisés, que les pays en développement ;
- il faut examiner et exploiter de nouvelles sources de financement climat qui, à l’heure actuelle, sont sous-développées (par exemple, des taxes internationales sur les activités ou secteurs émetteurs, comme le transport maritime et aérien international).
Un rapport qui a eu reçu des réactions négatives
Selon Laurence Tubiana, l’une des membres de la Commission mondiale sur le dépassement, « nous ne pouvons pas nous laisser berner par de fausses promesses de solutions techniques simples. Celles-ci viennent souvent des intérêts économiques qui cherchent à détourner l’attention ou à retarder l’action, et elles peuvent comporter d’importants risques. C’est une des raisons pour laquelle nous avons recommandé un moratoire sur la SRM qui pourrait avoir des conséquences imprévues énormes, y compris sur la sécurité » (source : tweet du 14 septembre 2023).
L’institut international de recherche spécialisé en matière de sciences du climat et de politiques climat, Climate Analytics, a publié un billet de blog sur le rapport de la Commission mondiale sur le dépassement le même jour de la publication de celui-ci, le 14 septembre 2023. Selon les trois auteurs du billet de blog, tous trois chercheurs au sein de Climate Analytics (dont le scientifique Bill Hare), globalement, « les recommandations manquent de précision, d’échéances concrètes ou d’objectifs chiffrés issus des travaux du Giec ou de l’AIE [Agence Internationale de l’Energie] ».
Le Giec et le CDR et la SRM
Dans le 3e volume de son 6e rapport d’évaluation, publié le 4 avril 2022 (lire notre dossier de fond du résumé pour décideurs du vol. 3 de l’AR6), le Giec récapitule, dans une section (14.4.5, chapitre 14 du rapport complet, page 1488) son traitement de la question de la gouvernance internationale des solutions de SRM et de CDR. Cette section traite de la gouvernance internationale de ces deux volets, même si, en termes d’option d’atténuation, seul le volet CDR est retenu dans ce rapport du Giec, et non la SRM.
Lire l’encadré « Quelle complémentarité avec le Giec ? » dans notre article sur la création de cette Commission, publié le 25 mai 2022.
Plus spécifiquement au sujet de la géo-ingénierie, selon Climate Analytics, « la SRM ne fait rien pour réduire les émissions de GES. Si pour une raison quelconque, on devait mettre fin au déploiement de la SRM, le choc d’arrêt provoquerait une hausse importante des températures en l’espace d’un an environ ».
Toujours selon le billet de blog de Climate Analytics, « tout en préconisant un moratoire sur les expérimentations et essais à grande échelle, il semblerait que le rapport encourage des expérimentations et essais à petite échelle à condition qu’ils ne comportent pas de risque de ‘préjudices transfrontaliers importants’ » (concept non défini dans le rapport).
« Favoriser la SRM au détriment de la réduction des émissions reviendrait également à nous faire perdre du temps. Le rapport lui-même reconnaît qu’avant tout déploiement de SRM, il faudrait d’abord réaliser des recherches et des essais pendant plusieurs décennies….il vaudrait mieux consacrer notre énergie et nos ressources à ce que nous savons faire aujourd’hui et qui marche, on le sait : éliminer progressivement les combustibles fossiles, accélérer la production d’énergies renouvelables et réduire les émissions [pour atteindre zéro émission nette] ».
Carl-Friedrich Schleussner, un des trois auteurs du billet de blog estime qu’ « en proposant la SRM comme option dans le portefeuille d’action climat, cela pourrait alléger la pression exercée par l’obligation de réduire les émissions. Lui accorder une importance sur l’agenda politique pourrait se révéler contreproductif ».
D’après Ben Sanderson, chercheur en sciences du climat au sein du Centre de recherche internationale sur le climat (CICERO), basé à Oslo (Norvège), « le rapport crée une sorte de parité entre la reconnaissance de la nécessité de réduire les émissions et la mise en avant d’options de gestion technologiquement incertaines, voire dangereuses. En développant la recherche, le concept de la SRM se normalise de plus en plus, tout en détournant l’attention des véritables mesures d’atténuation du changement climatique ».
Source : Climate Home News, 14 septembre 2023.
La Climate Overshoot Commission
La Commission mondiale sur la réduction des risques liés au dépassement [de l’objectif de +1,5°C fixé par l’article 2 de l’Accord de Paris] ou, en bref, la Commission mondiale sur le dépassement (en anglais : Global Commission on Governing Risks from Climate Overshoot ou en bref : Climate Overshoot Commission) a été lancée le 17 mai 2022 par 16 anciens Présidents, anciens Ministres et hauts représentants d’organisations internationales. C’est le Français, Pascal Lamy, ancien Directeur-général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui est le Président de cette enceinte internationale.
Parmi ses 15 membres figurent 12 commissaires : trois anciens Présidents et Premiers Ministres, trois anciens Ministres, ainsi que des diplomates internationaux de haut niveau et des dirigeants d’organisations internationales et une experte en matière de gouvernance mondiale et de développement durable (la Française Laurence Tubiana, ancienne envoyée spéciale de la COP-21 pour la France et co-architecte de l’Accord de Paris). Par ailleurs, la Commission compte trois conseillers scientifiques, dont Thelma Krug, ancienne co-présidente du Giec (octobre 2015 – juillet 2023) (voir liste complète des 15 membres). A noter que huit de ces 15 membres proviennent de pays en développement ou émergents.
Les membres de la Commission mondiale sur le dépassement ont justifié sa création en soulignant que la communauté internationale s’est concentrée, à juste titre, sur les actions visant réduire profondément et rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Cela doit rester la principale priorité dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, ils affirment qu’il est devenu nécessaire d’explorer également d’autres approches pouvant réduire davantage les risques au-delà de ce que la seule réduction des émissions peut permettre, au premier rang desquelles :
- des mesures d’adaptation élargies et accélérées pour réduire la vulnérabilité climatique,
- de l’élimination du CO2 dans l’atmosphère (notamment via la séquestration naturelle des puits de carbone et/ou le captage et stockage du CO2 [CSC]), et
- le refroidissement éventuel de la planète en réfléchissant le rayonnement solaire entrant (technique de géo-ingénierie).
Selon cette Commission, ces approches complémentaires doivent être étudiées et évaluées afin que, dans le cadre d’une gouvernance appropriée, juste et équitable, des décisions éclairées puissent être prises quant à leur application potentielle. Or, d’importantes lacunes en matière de gouvernance – surtout en ce qui concerne les actions de géo-ingénierie jouant sur la réflexion du rayonnement solaire – limitent la capacité de la communauté internationale à évaluer systématiquement l’ensemble des réponses permettant de réduire les risques pour les populations et les écosystèmes, d’où la création de la nouvelle Commission mondiale sur le dépassement.
La Commission s’est fixée pour mission :
- d’examiner les risques liés au dépassement du seuil de +1,5°C et le portefeuille des options de réponse pour faire face à ces risques ;
- d’identifier les avantages possibles, les coûts probables, les risques potentiels, les principaux défis en matière de gouvernance et les lacunes actuelles en matière de gouvernance pour chaque option politique complétant la démarche d’accélération de la réduction des émissions (atténuation). Cela comprend l’adaptation renforcée, l’élimination du CO2 et la modification du rayonnement solaire ;
- d’identifier les combinaisons d’options politiques de gouvernance mondiale ayant le plus fort potentiel pour réduire les risques de dépassement du climat ;
- d’examiner le potentiel des cadres juridiques multilatéraux existants pour faciliter une réponse politique intégrée visant à réduire les risques de dépassement, en mettant l’accent sur les lacunes les plus importantes en matière de gouvernance ;
- de s’engager dans des consultations transparentes, y compris avec les parties prenantes, sur les risques climatiques, les options politiques et l’intégration des politiques ;
- d’élaborer un ensemble de recommandations pour une stratégie intégrée visant à réduire les risques liés au changement climatique induit par le dépassement de la température.
S’appuyant sur les évaluations des connaissances scientifiques publiées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et notamment les trois volumes de son 6e rapport d’évaluation (publiés respectivement le 9 août 2021, le 28 février 2022 et le 4 avril 2022), la Commission de dépassement du climat prévoit d’élaborer une stratégie de gouvernance globale pour réduire les risques posés par un dépassement temporaire, assortie de recommandations.
Elle avait programmé six réunions sur 2022-2023 (juin, septembre, novembre 2022 et février, mai et juillet 2023) et comptait publier son rapport final en amont de la 28e Conférence des Nations Unies sur le Climat (COP-28, 30 nov.-12 déc. 2023 à Dubaï, Emirats arabes unis).
En savoir plus
Page du site de la Climate Overshoot Commission consacrée au rapport
Agence fédérale allemande de l’environnement (UBA) : Short Typology of Carbon Dioxide Removals How to best differentiate methods and technologies for establishing and enhancing carbon sinks? 25 juillet 2023. Consulter
World Resources Institute (WRI) (2023). International Governance of Technological Carbon Removal: Surfacing Questions, Exploring Solutions (Working Paper [note de travail]). 29 août 2023. Consulter la synthèse et la note de travail
Lire aussi la tribune collective, rédigée par des chercheurs, des entrepreneurs et représentants de la société civile et publiée dans Le Monde du 10 juillet 2023 « Lançons une stratégie française d’élimination du CO2 »
Lire aussi la tribune rédigée par Janos Pasztor, directeur exécutif de la Carnegie Climate Governance Initiative et publiée dans Le Monde du 21 juillet 2023 : « Que l’on soit pour ou contre, la géo-ingénierie solaire doit être encadrée par des règles de gouvernance ».
[1] Le CDR englobe les méthodes et activités anthropiques d’absorption ou de captation du CO2 de l’atmosphère en vue de le séquestrer à longue durée dans les réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits. (Source : Giec, AR6, vol.3 Atténuation, glossaire p.1796). Ce concept est souvent traduit en français par « élimination de CO2 » alors que « removal » ne signifie pas forcément « destruction », comme la traduction française pourrait le suggérer. Dans le cadre du suivi des flux de CO2 entre l’atmosphère et la biosphère, le terme « removal » est systématiquement traduit en français par « absorption ». Dans le présent article, le Citepa traduit « Carbon Dioxide Removal » non pas par « élimination du CO2 » mais par « absorption de CO2 » (qu’il s’agisse d’absorption par la biomasse ou par des solutions technologiques).