Droit d’antériorité des installations ICPE en France et directive IED : un décret pour mettre la réglementation française en conformité
Le décret n°2023-722 du 3 août 2023 relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement fonctionnant au bénéfice du droit d’antériorité et relevant de la directive dite IED (directive 2010/75/UE) sur les émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) a été publié au JO du 5 août 2023. La publication de ce nouveau décret répond à la mise en demeure de la France par la Commission européenne en juillet 2022 (voir encadré ci-après) en raison du non-respect de la directive IED et de la directive MCP (directive (UE) 2015/2193) sur les installations de combustion de taille moyenne.
Contexte
Toutes les installations visées par la directive IED situées dans un Etat membre de l’UE doivent fonctionner dans le cadre d’une autorisation et respecter les conditions qui y sont fixées (émissions dans l’air et l’eau, utilisation efficace d’énergie, gestion des déchets, etc.). Il en va de même pour celles couvertes par la directive MCP.
Or, selon la Commission, la législation française, en vertu du « droit d’antériorité », exemptait, sous certaines conditions, certaines installations de l’exigence de disposer d’une autorisation. En effet, le droit d’antériorité, parfois appelé « droits acquis » dans le passé, est un principe clé établi dans la législation française sur les installations classées, et désormais inscrit à l’article L.513-1 du Code de l’Environnement. Conformément à cet article, les installations qui, après avoir été régulièrement mises en service, et qui sont normalement soumises, en vertu d’un décret relatif à la nomenclature des installations classées, à autorisation, à enregistrement ou à déclaration peuvent néanmoins continuer à fonctionner sans cette autorisation, cet enregistrement ou cette déclaration, à la seule condition que l’exploitant se soit déjà fait connaître du préfet ou se fasse connaître de lui dans l’année suivant l’entrée en vigueur du décret.
En conséquence, la Commission considérait que ce principe du « droit d’antériorité » était incompatible avec les dispositions des directive IED et MCP et avait donc envoyé une lettre de mise en demeure à la France. Ainsi, le 15 juillet 2022, la Commission européenne avait formellement demandé à la France d’aligner sa réglementation nationale sur certaines dispositions législatives de la directive IED. Ainsi, la Commission avait décidé de lancer la première étape de la procédure d’infraction, en adressant une lettre de mise en demeure à la France pour non-respect de la directive IED (voir décision de la Commission) et plus précisément pour non-respect de certaines obligations qui incombent à la France au titre de cette directive. En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE, article 258), la France disposait d’un délai de deux mois pour y répondre et remédier aux manquements relevés par la Commission.
Du 16 novembre au 6 décembre 2022, le MTE avait mené une consultation publique sur un projet de décret visant à rectifier cette incompatibilité du droit français avec le droit européen.
La publication du nouveau décret, qui fait l’objet du présent article, est donc intervenue plus de 12 mois après la mise en demeure de la Commission.
Le nouveau décret vise à mettre la réglementation française en conformité avec la directive IED. Concrètement, il modifie l’article R.513-2 du Code de l’Environnement (voir l’ancienne version en vigueur avant le nouveau décret), en obligeant le préfet à prendre, pour les installations concernées, un arrêté d’autorisation établissant les prescriptions techniques et administratives, prévues aux articles R.515-60 à R.515-69 que doivent respecter les installations pour être conformes avec les exigences de la directive (voir version modifiée par le nouveau décret). En clair, désormais, le droit d’antériorité ne dispense donc plus d’une procédure d’autorisation via un arrêté préfectoral permettant de s’assurer que ces site sont bien en conformité avec les exigences de la directive IED.
En savoir plus
Décret n°2023-722 du 3 août 2023
Les directives IED et MCP
La directive IED
La directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles (directive IED) est le principal instrument mis en place au niveau de l’UE pour maîtriser et atténuer les incidences des émissions industrielles sur l’environnement et la santé humaine. La directive IED réglemente quelque 50 000 grandes installations industrielles dans un large éventail de secteurs agro-industriels : centrales électriques ; raffineries ; production d’acier, de métaux non ferreux, de ciment, de chaux, de verre, de produits chimiques, de pâte à papier et de papier, de produits alimentaires et de boissons ; traitement et l’incinération des déchets ; élevage intensif de porcs et de volailles. La directive IED a pour objectif général de prévenir, de réduire et, dans la mesure du possible, d’éliminer les émissions dans l’air, l’eau et le sol dues aux activités industrielles.
La directive IED s’applique aux activités industrielles émettrices visées aux chapitres II à VI du texte :
- les installations relevant de l’ancienne directive IPPC (2008/1/CE) : cf. annexe 1,
- les grandes installations de combustion (GIC) relevant de l’ancienne directive GIC (2001/80/CE) : cf. annexe V,
- les installations d’incinération et de co-incinération de déchets relevant de l’ancienne directive Incinération (2000/76/CE) : annexe VI,
- les installations et les activités utilisant des solvants organiques relevant de l’ancienne directive COV (1999/13/CE) : annexe VII,
- les installations produisant du dioxyde de titane relevant de trois anciennes directives en la matière (78/176/CEE, 82/833/CEE, 92/112/CEE) : cf. annexe VIII.
La directive IED vise à faire en sorte que les émissions industrielles soient traitées via une approche intégrée et réduites au minimum. Les installations concernées doivent obtenir des autorisations délivrées par les autorités nationales sur la base de conditions fondées sur les meilleures techniques disponibles (MTD). Afin de garantir une approche comparable dans toute l’UE, des documents de référence sur les MTD (les “BREF”) sectoriels sont élaborés dans le cadre d’un processus participatif associant toutes les parties prenantes. Ainsi, une évaluation technico-économique est réalisée au niveau de l’UE par un groupe de travail technique composé de représentants de la Commission, des États membres, de l’industrie et de la société civile. Les chapitres sur les conclusions relatives aux MTD de chaque BREF sont adoptés en tant qu’actes d’exécution de la Commission servant de base pour fixer les conditions d’autorisation.
La directive MCP
La directive MCP relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l’atmosphère en provenance des installations de combustion de taille moyenne (directive (UE) 2015/2193), adoptée le 25 novembre 2015, vise à réduire les risques potentiels pour la santé humaine et l’environnement. A cette fin, elle établit les règles visant à contrôler les émissions atmosphériques de dioxyde de soufre (SO2), d’oxydes d’azote (NOx) et des poussières (particules) en provenance des installations de combustion de taille moyenne (medium combustion plants ou MCP en anglais), ainsi que les règles visant à surveiller les émissions de monoxyde de carbone (CO).
La directive définit une MCP comme étant une installation où sont oxydés des combustibles en vue d’utiliser la chaleur ainsi produite, dont la puissance thermique nominale totale est égale ou supérieure à 1 MW et inférieure à 50 MW, quel que soit le type de combustible utilisé.
Cette législation vise ainsi à combler le vide réglementaire qui subsistait entre les grandes installations de combustion (de plus de 50 MW) couvertes par la directive IED et les appareils plus petits, comme les chauffages et les chaudières, régis par la directive dite Ecoconception (directive 2009/125/CE).
Les Etats membres de l’UE doivent veiller à ce que :
- toutes les nouvelles installations de combustion de taille moyenne, c’est-à-dire celles mises en service après le 19 décembre 2018 disposent d’une autorisation ou soient enregistrées ;
- d’ici au 1erjanvier 2024, toutes les installations existantes dont la puissance (ou capacité) thermique nominale totale est supérieure à 5 mégawatts (MW) disposent d’une autorisation ou soient enregistrées ;
- d’ici au 1erjanvier 2029, toutes les installations existantes dont la puissance thermique nominale totale est inférieure ou égale à 5 MW disposent d’une autorisation ou soient enregistrées.
La législation fixe des valeurs limites d’émission par catégorie de combustible.
Ces valeurs limites sont entrées en vigueur le 20 décembre 2018 pour les installations nouvelles et d’ici 2025 ou 2030 pour les installations existantes, selon leur taille. Les exploitants d’installation doivent surveiller les émissions. Les Etats membres doivent mettre en place un système efficace d’inspection pour vérifier la conformité avec les valeurs limites d’émissions.