La mission d’information parlementaire sur le suivi des engagements climat de la France rend ses conclusions
Portée par Laurence Heydel Grillere, députée de l’Ardèche (Renaissance), et Antoine Vermorel-Marques, député de la Loire (Les Républicains), tous deux membres de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale, la mission « flash » sur le suivi des engagements climat internationaux de la France a présenté ses conclusions et recommandations le 12 avril 2023 dans le cadre d’une communication et d’un document de synthèse.
L’objectif de cette mission était de réaliser un état des lieux du suivi et de l’évaluation des engagements internationaux de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le cadre de la Convention Climat et de l’Accord de Paris, de rendre compte des obstacles et difficultés à la mise en œuvre de ces engagements et d’émettre des recommandations en vue d’améliorer le respect de ces objectifs climatiques.
Les engagements internationaux de la France en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre
Dans le cadre de l’Accord de Paris, l’UE doit rendre compte tous les cinq ans des engagements pris par elle-même et ses Etats membres (dont la France) afin de limiter le réchauffement climatique à +2°C, ou si possible +1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle à travers de sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN ou NDC en anglais). La première contribution a été soumise en 2015 lors de la COP-21 et de l’adoption de l’Accord de Paris, et la seconde a été publiée en décembre 2020. Dans ce cadre, les Etats membres de l’UE comme la France ne présentent pas de NDC propre car l’UE présente elle-même ses propres engagements climat dans une NDC unique. Cette NDC reprend les différents volets de la politique climat européenne.
L’Union européenne a récemment revu ses ambitions à la hausse (lire notre article) et a notamment défini un objectif de réduction de 55% des émissions nettes de GES d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.
La prochaine COP-28 (30 nov.-12 déc. 2023) sera l’occasion de faire le bilan des engagements et des progrès réalisés par les Etats en termes de réduction des émissions de GES car elle marquera la fin du processus de Bilan Mondial (Global stocktake) qui permet notamment de comptabiliser les efforts collectifs en matière de réduction des émissions de GES par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris.
Partie à la CCNUCC, la France a également l’obligation de soumettre annuellement un inventaire de ses émissions de GES. Elle est donc dotée d’un système national d’inventaires d’émission qui est porté par le Ministère de la Transition écologique et réalisé par le Citepa. La France transmet également tous les deux ans à la CCNUCC un rapport biennal sur les efforts réalisés en matière de réduction des émissions de GES.
La France engagée sur la bonne pente…
La mission d’information rappelle tout d’abord que la France est un pays très engagé dans les différents systèmes de rapportage des efforts climatiques à l’international, et est dotée de nombreux outils de suivi, tels que la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC – lire notre article), qui « fixe les objectifs et la trajectoire de la France en termes de réduction des émissions d’ici à 2030, ou le Haut Conseil pour le Climat (HCC), « instance chargée d’évaluer de manière indépendante le respect des engagements pris par la France » (lire notre article).
Par ailleurs, selon une pré-estimation du Citepa, les émissions nationales de GES auraient diminué de 2,5% en 2022 par rapport à 2021 (voir les nouvelles données du baromètre du Citepa pour l’ensemble de l’année 2022). La France respecterait donc les objectifs de réduction fixés dans le cadre de la SNBC-2.
Le budget carbone de la SNBC-2 est-il respecté ?
La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) de la France fixe les objectifs climat de la France. Ces objectifs sont uniquement définis au niveau national, mais ils sont construits de manière à être en cohérence avec les objectifs de l’UE, qui eux sont rapportés au niveau international dans une NDC.
Pour différentes périodes, les émissions de GES, en moyenne sur la période, ne doivent pas dépasser un budget carbone donné. Le 1er budget carbone (2015-2018) n’avait pas été respecté. Le budget carbone pour la période 2019-2023, fixé en 2020 par la SNBC révisée, s’élève à 422 MtCO2e/an en moyenne. La moyenne des émissions pré-estimées sur la période 2019-2022 s’élève à 413 Mt CO2, sous-réserve de la consolidation des estimations. La tendance indique un probable respect de ce budget carbone, sous-réserve de la valeur de 2023. Par ailleurs, la tranche indicative annuelle de la SNBC-2 pour l’année 2022 s’élève quant à elle à 410 Mt CO2e. Or, les émissions nationales de GES 2022 sont pré-estimées dans le baromètre du Citepa à 408 Mt CO2e, ce qui d’après cette pré-estimation respecterait ce niveau indicatif.
… Mais une pente encore trop douce pour permettre la mise en œuvre et le suivi de ses engagements climatiques
Les rapporteurs renvoient tout d’abord au dernier rapport annuel du HCC (lire notre article) qui mettait en évidence le retard de la France par rapport à sa trajectoire de réduction d’émissions permettant de respecter l’Accord de Paris. Elle devrait ainsi doubler le rythme annuel de réduction « pour atteindre -4,7% par an en moyenne entre 2022 et 2030 ».
La mission souligne également le manque d’engagement de certains secteurs économiques, comme le secteur des transports notamment, dans les réductions d’émissions de GES.
Les limites des calculs des émissions de GES sont par ailleurs pointées du doigt : les émissions internationales des transports aériens et maritimes ou la déforestation importée ne sont pas comptabilisées, il manque un « objectif quantifié de réduction des émissions de GES importées » qui permettrait de calculer l’empreinte carbone de la France, etc. La mission alerte également sur les risques d’erreur de comptage dans le cas des crédits carbone et cite l’enquête parue début 2023 sur Verra (lire notre article), le principal organisme de certification mondial des crédits carbone, qui délivre des « crédits fantômes » à des entreprises, entravant ainsi le calcul des réductions d’émission.
A ces limites s’ajoutent également les manques en matière de communication sur le climat auprès des citoyens et des élus, le manque d’articulation entre les objectifs nationaux et les politiques régionales, ou encore le nouvel enjeu de la judiciarisation des enjeux climatiques.
Une série de recommandations thématiques en vue d’améliorer la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des engagements climatiques
Face à ces limites, la mission d’information émet cinq grandes recommandations regroupant 17 propositions afin d’améliorer le suivi de la politique menée au niveau national et l’évaluation de la position de la France par rapport aux objectifs fixés à 2030 et 2050.
Miser sur la planification écologique
Elle recommande notamment d’adopter une « loi de planification écologique » avec des financements pluriannuels identifiés et programmés (lire notre article sur la planification écologique).
Renforcer le rôle du Parlement
En vue de renforcer le respect des engagements internationaux de la France, la mission propose de placer les rapports du HCC au cœur du débat parlementaire afin de donner suite aux recommandations émises par cette instance indépendante. Est également proposée la mise en place d’une instance de suivi dédiée au suivi des engagements climatiques au sein de l’Assemblée nationale.
Améliorer le suivi et l’évaluation des politiques et engagements en matière de climat
Dans l’idée d’être plus en prise avec la mise en œuvre concrète des engagements, la mission propose d’agir à différents niveaux :
- doter le HCC de moyens supplémentaires, à la hauteur d’instances étrangères similaires ;
- réviser et ajuster annuellement les budgets carbone prévus par la SNBC aux efforts déjà accomplis ;
- évaluer l’efficacité des politiques publiques ;
- inciter les entreprises de plus de 500 salariés à se conformer à leur obligation de déclaration de leurs émissions de GES ;
- être moteur en matière de reporting au sein de la gouvernance climatique internationale.
Mettre en place un dialogue environnemental
L’objectif mis en avant est de « renforcer la participation citoyenne et la coopération entre les parties prenantes » pour favoriser « l’acceptabilité sociale des mesures environnementales ». A cet effet, la mission recommande notamment de réunir les acteurs concernés ou encore de favoriser la diffusion d’avis scientifiques et indépendants.
Renforcer la coordination entre les échelles nationale et territoriale
La mission souligne finalement le fait que le respect des engagements ne pourra pas se faire sans intégrer l’échelle territoriale à leur mise en œuvre et à leur suivi. Elle propose notamment de développer des indicateurs spécifiques aux collectivités, leur permettant de suivre, à leur niveau, les objectifs fixés. Elle recommande également d’articuler d’avantage les plans de développement territoriaux aux objectifs nationaux car actuellement, les trajectoires régionales issues des Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) et les trajectoires SNBC ne sont pas cohérentes et faussent, selon la mission parlementaire, le suivi de la réduction des émissions de GES françaises.
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