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Justice climatique : l’Assemblée générale de l’ONU demande un avis à la Cour Internationale de Justice sur les obligations des Etats en matière d’action climat

  • Réf. : 2023_05_a04
  • Publié le: 16 mai 2023
  • Date de mise à jour: 17 mai 2023
  • International

Le 29 mars 2023, lors d’une séance plénière de sa 77e session, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a adopté une résolution (réf. A/RES/77/276) qui demande à la Cour Internationale de Justice (CIJ) de donner un avis consultatif sur les obligations des Etats à l’égard du changement climatique.

 

Définitions

Les résolutions de l’AGNU expriment formellement son opinion ou sa volonté sur un sujet donné.

La CIJ est le principal organe judiciaire de l’Organisation des Nations Unies, ONU (une sorte de tribunal du monde), non doté de pouvoirs d’exécution contraignants ou de sanction. Sa mission est de résoudre les différends juridiques entre Etats et de fournir aux instances de l’ONU un avis sur des questions juridiques.

 

Cette résolution, qualifiée d’historique par de nombreux observateurs, a été adoptée par consensus (133 voix pour sur 193) sans qu’il y ait besoin de recourir au vote (voir version française). Elle marque peut-être un tournant décisif dans la recherche de la justice climatique. C’est la première fois qu’un projet de résolution déposé vise à demander un avis consultatif à la CIJ sur le sujet du changement climatique et c’est donc la première fois que la CIJ se prononcera sur ce sujet.

 

Concrètement, l’AGNU demande à la CIJ, par rapport notamment à la Convention Climat, à l’Accord de Paris et au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement :

  • quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES ?
  • lorsque les États, par leurs actions ou inaction, ont causé des dommages significatifs au système climatique, quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations à l’égard :
    • des États, notamment des petits États insulaires qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou particulièrement touchés par les effets néfastes des changements climatiques ou qui sont particulièrement vulnérables à ces effets ?
    • des peuples et des individus des générations présentes et futures touchés par les effets néfastes des changements climatiques ?

 

Origine de la résolution

C’est le Vanuatu, petit Etat insulaire du Pacifique sud (composé de 80 îles et comptant 319 000 habitants, soit l’équivalent de la population de la ville de Nantes en France), au nord de la Nouvelle Calédonie, qui est à l’origine de cette initiative inédite : il a mené une campagne avec détermination qui a permis ce qui a été qualifié d’ « un pas de géant pour le climat ».

C’est un pays très actif dans les négociations de la CCNUCC depuis plusieurs années et cette démarche souligne la vulnérabilité de tous les petits Etats insulaires car ils sont en première ligne face aux effets néfastes du changement climatique, et surtout à l’élévation du niveau de la mer.

L’initiative remonte à 2019 avec un exercice réalisé par des étudiants en droit international de l’environnement sur le campus des Iles Fidji de l’université du Pacifique Sud. Avec leurs professeurs, ils ont formé un collectif, Pacific Islands Students Fighting Climate Change ou PISFCC (Etudiants des Îles du Pacifique luttant contre le changement climatique) avant de soumettre l’idée au Gouvernement de Vanuatu. Ce dernier l’a reprise, puis l’a présentée au Forum des Îles du Pacifique et a ainsi obtenu le soutien d’autres petits Etats insulaires de la région. Après, grâce à d’importants efforts diplomatiques de Vanuatu à travers le monde, aux efforts des ONG et de la société civile, l’initiative s’est transformée en coalition internationale.

Ainsi, un groupe noyau (« core group ») de 18 Etats de tous les continents a porté l’initiative avec le Vanuatu afin de galvaniser un soutien plus large à travers le monde. Parmi ces 18 Etats, figurent 13 pays en développement (Angola, Antigua et Barbuda, Bangladesh, Costa Rica, Maroc, Etats fédérés de Micronésie, Mozambique, Ouganda, Samoa, Sierra Leone, Singapour, Vanuatu et Viêtnam) et cinq pays industrialisés (Allemagne, Liechtenstein, Nouvelle-Zélande, Portugal et Roumanie).

En septembre 2021, le Gouvernement de Vanuatu a annoncé son intention de soumettre la question à la CIJ en lui demandant un avis consultatif via une résolution de l’AGNU. La campagne internationale a porté ses fruits car 105 Etats (dont la France) se sont engagés à soutenir l’adoption d’une résolution de l’AGNU. A noter que parmi les pays qui n’ont pas soutenu la campagne figurent les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et le Brésil mais ces quatre pays grands émetteurs de GES ont quand-même fini par adopter la résolution (voir carte interactive montrant les pays membres du groupe noyau, les pays qui ont soutenu la campagne et les pays qui ne l’ont pas soutenue mais qui l’ont adoptée).

Le 30 novembre 2022, au nom du groupe noyau, Vanuatu a publié le projet de résolution « demande d’avis consultatif de la CIJ sur les obligations des Etats à l’égard du changement climatique ». Le 9 décembre 2022, le projet de résolution a été présenté par le groupe noyau devant l’AGNU et en février 2023, après des consultations, la version finale du projet de résolution a été déposée par ce groupe auprès de l’AGNU.

 

Quel sera l’impact du futur avis de la CIJ ?

Même si la CIJ est dépourvue de pouvoirs juridiques contraignants et même si le futur avis sera donc non contraignant, en cas de vote positif, il aurait une importante valeur juridique, politique et morale selon plusieurs observateurs :

  • il interprétera le droit international de l’environnement plutôt que de créer de nouvelles obligations : il s’agira de faire appliquer les règles existantes du droit international de l’environnement (et notamment la CCNUCC et l’Accord de Paris) ;
  • pour la première fois, il devrait fournir une clarification et des recommandations (guidelines) sur les obligations juridiques qui incombent aux Etats en vertu du droit international sur le climat (tant du point de vue de la prévention que de la réparation) et les conséquences juridiques du non-respect de ces obligations ;
  • il pourrait éclairer les contentieux climat à travers le monde qui sont en hausse constante : leur nombre a plus que doublé entre 2015 et 2022, portant le total mondial à plus de 2 000 en 2022 (source : LSE/Grantham Research Institute, 30 juin 2022). Les tribunaux pourraient s’appuyer sur le futur avis pour statuer dans des affaires nationales par exemple. Par ailleurs, dans le 3e volume de son 6e rapport d’évaluation, le Giec a souligné que dans certains cas, les contentieux climat ont eu une influence sur le résultat et l’ambition de la gouvernance climat (cf. résumé pour décideurs [Summary for Policymakers], publié le 4 avril 2022, paragraphe E.3.3 – voir aussi notre dossier de fond) ;
  • il pourrait renforcer la position des pays vulnérables dans le cadre des négociations internationales ;
  • il serait plus facile de demander des comptes aux Etats qui ne respectent pas leurs engagements et objectifs climat (via notamment la pratique du « Name and Shame», c’est-à-dire montrer du doigt un pays retardataire) ;
  • il devrait inciter les Gouvernements à accélérer et à renforcer leur action climat ;
  • l’avis pourrait mettre en avant la question des pertes et préjudices. A noter que la résolution ne demande pas explicitement à la CIJ si les Etats ont un devoir de fournir un soutien au titre des pertes et préjudices, mais laisse la CIJ décider ou non de la prendre en compte. Elle souligne l’urgence d’éviter les pertes et préjudices, de les réduire au minimum et d’y remédier.

 

Délai

La CIJ devrait se prononcer d’ici 12 à 18 mois, soit courant 2024.

 

En savoir plus

Site de l’initiative de Vanuatu

Note d’information sur le processus de la CIJ pour un avis consultatif sur les obligations en matière de changement climatique

Déclaration du Premier Ministre de Vanuatu en amont du vote à l’Assemblée générale de l’ONU, le 29 mars 2023

Iddri : « Justice internationale et environnement : analyse de la demande d’un avis consultatif à la Cour internationale de justice », billet de blog, 11 mai 2023.

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