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Affaire Grande-Synthe : le Conseil d’Etat réaffirme l’insuffisance des mesures de réduction des émissions de GES et ordonne au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour accélérer le rythme de réduction

  • Réf. : 2023_05_a02
  • Publié le: 11 mai 2023
  • Date de mise à jour: 11 mai 2023
  • France

Contexte

Dans le cadre de l’affaire dite « Grande Synthe », c’est-à-dire les suites judiciaires données à la requête déposée fin 2018 par la commune de Grande-Synthe (Nord) contre le Gouvernement au motif de l’insuffisance des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mises en œuvre pour respecter les objectifs nationaux de la France à l’horizon 2030, une décision inédite avait été rendue le 1er juillet 2021 par le Conseil d’Etat (lire notre article).

 

Le Conseil d’Etat

Le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative publique française. Il est notamment le juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.

 

Dans sa décision du 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat enjoignait au Gouvernement de prendre toutes mesures utiles avant le 31 mars 2022 pour infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec l’objectif national 2030 de la France de -40% et l’objectif national assigné à la France de -37% (base 2005) pour les secteurs hors SEQE fixé par le règlement dit ESR (2018/842) et la réduction de 12% sur la période 2024-2028 fixée par le 3e budget carbone dans le décret n°2020-457 du 21 avril 2020 (lire notre article). Au terme de ce délai, le Conseil d’Etat avait la possibilité de décider de prononcer une astreinte (amende) à l’encontre de l’Etat. Le 4 mai 2022, le Gouvernement avait publié une synthèse de sa réponse au Conseil d’État dans le cadre de cette procédure, où il indique avoir transmis un mémoire au Conseil d’État détaillant l’ensemble des mesures prises depuis juillet 2021 (date de la décision du Conseil d’Etat) (lire notre article).

Soutenant que les mesures prises par le Gouvernement ne permettent pas d’assurer l’exécution complète de la décision du 1er juillet 2021, la commune de Grande-Synthe, la ville de Paris, ainsi que les associations Notre Affaire à Tous, Oxfam France, la Fondation pour la nature et l’Homme et Greenpeace France, avaient de nouveau saisi le Conseil d’Etat, en lui demandant :

  • de constater que sa décision du 1er juillet 2021 n’avait pas été exécuté à la date du 31 mars 2022,
  • de prononcer une astreinte à l’encontre de l’Etat français s’il ne justifie pas avoir pris les mesures de nature à assurer l’exécution de la décision du 1er juillet 2021.

(Demande de la commune de Grande-Synthe et de la ville de Paris enregistrée au Conseil d’Etat le 1er avril 2022, demande des quatre associations enregistrée le 17 juin 2022).

Suite à cette saisine, le Conseil d’Etat avait ouvert une procédure juridictionnelle d’exécution le 4 octobre 2022. Il avait ensuite procédé à l’étude des observations de la commune de Grande-Synthe, de la ville de Paris et des associations requérantes, puis tenu le 10 mars 2023 une séance orale d’instruction, au cours de laquelle il avait entendu le Gouvernement et les parties requérantes, et interrogé le Haut Conseil pour le Climat (HCC). Enfin, le Conseil d’Etat a tenu une audience le 12 avril 2023 au terme de laquelle le rapporteur public, Stéphane Hoynck, a formulé ses conclusions. Celui-ci a notamment souligné que les conclusions auxquelles le Conseil d’Etat était arrivé dans sa décision du 1er juillet 2021, selon lesquelles les mesures de réduction prises par le Gouvernement jusque-là étaient insuffisantes, sont toujours valables. Il a donc recommandé au Conseil d’Etat d’ordonner au Gouvernement d’adopter de mesures de réduction supplémentaires et d’accélérer les réductions, d’autant plus que les baissées constatées ces dernières années sont plus liées à des facteurs conjoncturels qu’à des facteurs structurels.

 

Une nouvelle décision ordonne au Gouvernement d’accélérer son action climat

Le Conseil d’Etat a ainsi rendu une nouvelle décision, le 10 mai 2023, après avoir vérifié si les actions mises en œuvre par la France traduisent une correcte exécution de sa décision du 1er juillet 2021.

Le Conseil d’Etat estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises et traduisent la volonté du Gouvernement d’exécuter la décision, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) puisse être effectivement respectée.

Dans cette nouvelle décision, le Conseil d’Etat examine par ailleurs si les mesures prises par le Gouvernement, ou qui peuvent encore être adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, rend la trajectoire d’évolution des émissions de GES compatible avec l’atteinte des objectifs de réduction fixés à l’échéance 2030. Il examine si les objectifs intermédiaires ont été atteints, si les mesures adoptées ou annoncées sont de nature à réduire les émissions de GES, ou au contraire risquent d’augmenter ces émissions. Enfin, il prend en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l’efficacité des politiques publiques mises en place, notamment les avis émis par les experts, dont le Haut Conseil pour le Climat (HCC).

Le Conseil d’Etat souligne ainsi que sous réserve de la confirmation des données d’émission 2021 et 2022, estimées et publiées par le Citepa, les objectifs 2019-2023 du 2e budget carbone, correspondant à une diminution moyenne des émissions de 1,9% par an, pourraient être respectés. Cependant, relève le Conseil d’Etat, au-delà de cette moyenne, les baisses des émissions annuelles de GES sont très contrastées : -1,9 % en 2019, puis -9,6 % en 2020. Par ailleurs, les données provisoires disponibles montrent que les émissions sont reparties à la hausse en 2021 (+6,4 %) avant de redescendre à nouveau en 2022 (-2,5 %).

Le Conseil d’État relève surtout qu’il existe des incertitudes sur la question de savoir si ces résultats sont liés à des actions du Gouvernement ou plutôt au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l’activité (2020 avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements), puis au rebond post-Covid-19 (2021) et enfin à la crise de l’énergie (2022 avec la guerre en Ukraine).

Sur la base des éléments que lui a transmis le Gouvernement, le Conseil d’Etat, constate que le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent qui concerne plusieurs activités ou secteurs émetteurs de GES, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique. Le Conseil d’Etat ajoute que cet ensemble des mesures montre la volonté du Gouvernement d’atteindre les objectifs de 2030. Néanmoins, il souligne que le HCC dans son rapport annuel 2022 (publié le 29 juin 2022 – lire notre brève), estime qu’il existe un risque avéré que l’objectif de réduction pour 2030 ne soit pas tenu. Comme le note le HCC, sur les 25 orientations de la stratégie de baisse des émissions établie par le Gouvernement (stratégie nationale bas carbone, SNBC), seules six ont bénéficié de mesures en adéquation avec la trajectoire de réduction fixée et quatre auraient même fait l’objet de mesures aux effets contraires, en particulier dans le secteur des transports, du bâtiment, l’agriculture et l’énergie. Par ailleurs, le HCC constate que malgré la création d’un Secrétariat général à la planification écologique (lire notre brève), un véritable pilotage reposant sur des indicateurs pertinents et sur une évaluation systématique de l’incidence des politiques publiques sur le climat n’est toujours pas mis en œuvre. Le HCC estime que le risque de ne pas atteindre les objectifs de 2030 est d’autant plus grand que la trajectoire de baisse des émissions prévoit une accélération des baisses d’émissions qui doivent atteindre -3,2 % par an à partir de 2024. Le fait que le Conseil d’Etat reprenne ces arguments dans sa décision montre que les risques du non-respect des objectifs sont toujours d’actualité.

Compte tenu de cette nécessité d’accélérer la réduction des émissions dès 2024 et sachant que l’UE a renforcé son objectif de réduction global pour 2030, en le faisant passer de -40% à -55% par rapport à 1990 (cf. règlement (UE) 2021/1119 ou loi européenne sur le climatlire notre article), le Conseil d’État estime que les mesures prises à ce jour ne permettent pas de garantir, de façon suffisamment crédible, que la trajectoire de réduction des émissions adoptée par le Gouvernement pourra être atteinte. Etant donné que l’UE a rehaussé son objectif 2030, la France devra, à son tour, réajuster son objectif 2030 fixé par l’article L.100-4 du Code de l’Energie (en application de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 [loi sur la transition énergétique], modifié par la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 [loi énergie et climat], puis par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 [loi climat et résilience]).

 

Conclusions du Conseil d’Etat : deux nouvelles échéances mais aucune astreinte

Sur la base de l’ensemble de ces arguments, le Conseil d’Etat conclut que sa précédente décision du 1er juillet 2021 ne peut être considérée comme ayant été exécutée. Il adresse une nouvelle injonction au Gouvernement, en enjoignant à la Première Ministre de prendre toutes les mesures supplémentaires utiles pour rendre compatible le rythme de diminution réelle des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions fixée par les budgets carbone (via le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020) en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés pour 2030 et ce, avant le 30 juin 2024.

Le Conseil d’Etat demande ainsi à la Première Ministre également de produire, pour le 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, un bilan d’étape détaillant ces mesures et leur efficacité, c’est-à-dire qu’elles soient de nature à permettre le respect des objectifs de réduction des émissions de GES fixés pour 2030.

Par contre, à la différence de la décision qu’il a rendue le 17 octobre 2022 concernant le non-respect par la France des normes de qualité de l’air pour les PM10 et le NO2 dans laquelle il a condamné l’Etat à verser deux astreintes de 10 M€, soit plus de 54 000 € par jour (lire notre article), le Conseil d’Etat n’a pas prononcé d’astreinte à l’encontre du Gouvernement dans l’affaire Grande-Synthe, comme l’avaient réclamé les parties requérantes.

Enfin, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à verser à la commune de Grande-Synthe et à la ville de Paris la somme globale de 4 000 € (soit 2000 € chacune).

Avec cette nouvelle décision, le Conseil d’Etat réaffirme que les mesures mises en œuvre par le Gouvernement sont insuffisantes pour permettre le respect des objectifs de réduction de la France et implique qu’elles sont plutôt conjoncturelles que structurelles. Le Gouvernement se trouve donc devant un nouvel ultimatum, l’obligeant à rendre des comptes au Conseil d’Etat. Ainsi, le Gouvernement devra soumettre au Conseil d’Etat d’ici fin 2023, d’une part, un bilan des mesures supplémentaires qu’il aura pris (et non simplement détailler les objectifs), et d’autre part, les éléments d’évaluation de leur efficacité, ce qui constitue une avancée non négligeable aux yeux de certains observateurs.

Cependant, selon l’avocat spécialisé en droit de l’environnement, Arnaud Gossement, le Conseil d’Etat « […] valide les promesses et l’argumentaire du Gouvernement, rejette la demande d’astreinte et se borne à donner rendez-vous à la Première Ministre en juin 2024…quatre ans après le début de cette affaire. » (source : tweet d’Arnaud Gossement, 10 mai 2023).

 

 

En savoir plus

Décision et communiqué du Conseil d’Etat du 10 mai 2023

 

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