Révision de la directive IED sur les émissions industrielles de polluants : le Conseil de l’UE adopte sa position de négociation
Le 16 mars 2023, lors du Conseil Environnement de l’UE, les Ministres de l’Environnement des Vingt-sept ont adopté leur position de négociation (appelée désormais une orientation générale ou en anglais general approach) sur le texte de compromis élaboré au préalable par la Présidence suédoise de l’UE sur la proposition de directive révisant la directive dite IED (directive 2010/75/UE) sur les émissions industrielles (voir encadré contexte en fin d’article).
Contexte
Cette proposition avait été proposée le 5 avril 2022 par la Commission européenne (voir encadré en fin d’article).
Le 24 octobre 2022, le Conseil Environnement de l’UE a tenu un débat d’orientation (policy debate) sur deux sujets spécifiques de la proposition :
- des éléments de la proposition portant sur l’agriculture,
- les sanctions et un mécanisme de compensation.
Lors du Conseil Environnement du 20 décembre 2022, la Présidence tchèque a remis aux Ministres de l’Environnement une note d’information du 14 décembre 2023 faisant le point sur les progrès réalisés dans ce dossier législatif. Elle a également publié une annexe présentant les propositions de compromis proposées par la Présidence tchèque sur la proposition de directive.
Les discussions au sein du Conseil Environnement le 20 décembre 2022 ont fait ressortir des divergences d’opinion entre les Etats membres, et notamment sur la révision du champ d’application de la directive IED, et plus particulièrement sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, les exploitations agricoles devraient être visées par la future directive (quel seuil en termes d’unité de gros bétail (UGB, en anglais : livestock units ou LSU) à appliquer aux élevages bovins, porcins, avicoles et mixtes).
Principales modifications apportées par le Conseil Environnement du 16 mars 2023
Dans leur orientation générale, les États membres ont modifié la proposition de la Commission visant à étendre le champ d’application de la directive aux exploitations d’élevage intensif dont le nombre d’UGB est supérieur à 350 UGB pour les bovins et les porcins, à 280 UGB pour les élevages avicoles et à 350 UGB pour les exploitations mixtes. Les exploitations extensives seraient exclues du champ d’application. Les nouvelles règles seraient appliquées progressivement, en commençant par les plus grandes exploitations.
Dans le cadre de cet accord, les États membres acceptent d’inclure les activités minières dans le champ d’application de la directive. Ils ont introduit un seuil de 500 tonnes de capacité de production par jour pour les matières minérales non énergétiques et les minerais produits à l’échelle industrielle. Les États membres ont exclu le gypse du champ d’application de la directive et ont fixé un seuil pour l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau.
Les États membres ont introduit une dérogation aux valeurs limites d’émission associées aux meilleures techniques disponibles dans le cas d’une crise (comme par exemple la crise actuelle suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie) qui entraînerait de graves perturbations ou pénuries d’approvisionnement en énergie ou en ressources, matériaux ou équipements essentiels et ce, dans des conditions strictes.
Enfin, l’orientation générale prévoit une dérogation limitée dans le temps pour les installations de combustion qui font partie de petits réseaux isolés, sans interconnexion avec le réseau continental. L’objectif est de laisser suffisamment de temps pour leur permettre de mettre en place des réseaux d’interconnexion afin d’assurer la sécurité énergétique.
Prochaines étapes
A présent que le Conseil de l’UE est parvenu à une orientation générale, les négociations avec le Parlement européen (PE), l’autre co-législateur dans le cadre de la procédure législative ordinaire prévue par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, pourront commencer dès que le PE aura adopté sa position de négociation. Ainsi, cette orientation générale constitue le mandat formel devant servir de base à la poursuite des négociations avec le PE en vue de parvenir à un accord politique commun sur ce texte.
En savoir plus
Orientation générale (position de négociation) du Conseil Environnement sur le texte de compromis
Communiqué du Conseil de l’UE
Proposition de directive IED (COM(2022) 156 final) (en français). Vol. 1 : exposé des motifs et texte de la proposition. Vol. 2 : annexes
Communiqué de la Commission sur la proposition IED
Page du site de la DG Environnement dédiée aux émissions industrielles (directive IED)
Page du site de la DG Environnement dédiée à l’évaluation et à la révision de la directive IED
Rapport de mise en œuvre de la directive IED, publié par la Commission
Contexte
La directive IED, son évaluation et sa révision
La directive IED
La directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles (directive IED) est le principal instrument mis en place au niveau de l’UE pour maîtriser et atténuer les incidences des émissions industrielles sur l’environnement et la santé humaine. La directive IED réglemente quelque 50 000 grandes installations industrielles dans un large éventail de secteurs agro-industriels : centrales électriques ; raffineries ; production d’acier, de métaux non ferreux, de ciment, de chaux, de verre, de produits chimiques, de pâte à papier et de papier, de produits alimentaires et de boissons ; traitement et l’incinération des déchets ; élevage intensif de porcs et de volailles. La directive IED a pour objectif général de prévenir, de réduire et, dans la mesure du possible, d’éliminer les émissions dans l’air, l’eau et le sol dues aux activités industrielles.
La directive IED s’applique aux activités industrielles émettrices visées aux chapitres II à VI du texte :
- les installations relevant de l’ancienne directive IPPC (2008/1/CE) : cf. annexe 1,
- les grandes installations de combustion (GIC) relevant de l’ancienne directive GIC (2001/80/CE) : cf. annexe V,
- les installations d’incinération et de co-incinération de déchets relevant de l’ancienne directive Incinération (2000/76/CE) : annexe VI,
- les installations et les activités utilisant des solvants organiques relevant de l’ancienne directive COV (1999/13/CE) : annexe VII,
- les installations produisant du dioxyde de titane relevant de trois anciennes directives en la matière (78/176/CEE, 82/833/CEE, 92/112/CEE) : cf. annexe VIII.
La directive IED vise à faire en sorte que les émissions industrielles soient traitées via une approche intégrée et réduites au minimum. Les installations concernées doivent obtenir des autorisations délivrées par les autorités nationales sur la base de conditions fondées sur les meilleures techniques disponibles (MTD). Afin de garantir une approche comparable dans toute l’UE, des documents de référence sur les MTD (les “BREF”) sectoriels sont élaborés dans le cadre d’un processus participatif associant toutes les parties prenantes. Ainsi, une évaluation technico-économique est réalisée au niveau de l’UE par un groupe de travail technique composé de représentants de la Commission, des États membres, de l’industrie et de la société civile. Les chapitres sur les conclusions relatives aux MTD de chaque BREF sont adoptés en tant qu’actes d’exécution de la Commission servant de base pour fixer les conditions d’autorisation.
Evaluation de la directive IED
Dans sa communication relative au pacte vert pour l’Europe (Green Deal), publiée le 11 décembre 2019, la Commission a indiqué qu’elle allait réexaminer les mesures prises par l’UE pour réduire les émissions polluantes des grandes installations industrielles (directive IED). Cette révision constitue un des principaux piliers du plan d’actions « zéro pollution » de la Commission, publié le 12 mai 2021 (lire notre article). Elle comptait examiner notamment le champ d’application sectoriel de la législation et les moyens de rendre cette dernière pleinement compatible avec les politiques en matière de climat, d’énergie et d’économie circulaire.
En 2019-2020, la directive IED a fait l’objet d’une évaluation par la Commission au regard de cinq critères : efficacité, efficience, pertinence, cohérence et valeur ajoutée européenne (lire notre article). En s’appuyant sur plusieurs études, la Commission a publié le 23 septembre 2020 un rapport d’évaluation (sous forme de document de travail [réf. SWD(2020) 181 final] voir rapport intégral en anglais et synthèse en français). Ce rapport comportait une évaluation exhaustive de sa mise en œuvre et de son fonctionnement. Selon ce rapport, la directive IED a permis de réduire efficacement les incidences environnementales ainsi que les distorsions de concurrence au sein de l’UE. Le processus collaboratif de production des BREF et de recensement des MTD a bien fonctionné et il est reconnu comme modèle de gouvernance collaborative. La mise en œuvre de la directive a également conduit à une réduction notable des émissions de polluants dans l’air. Par ailleurs, l’évaluation a recensé un certain nombre de domaines dans lesquels le fonctionnement de la directive semble ne pas être aussi satisfaisant que prévu (par exemple, techniques émergentes, obligations juridiques découlant de la directive [qui a remplacé sept directives précédentes], émissions de gaz à effet de serre/décarbonation, disponibilité des données [mise à disposition non obligatoire des données par les industries], mise en œuvre des conclusions MTD dans les autorisations,…).
À la suite des conclusions de l’évaluation, la Commission a commencé la révision de la directive. La Commission a publié une étude d’impact initiale en mars 2020 et mené une consultation des parties prenantes (du 24 mars au 21 avril 2020) et une consultation publique (du 22 décembre 2020 au 23 mars 2021) (lire notre article).
Le 14 décembre 2021, la Commission européenne a publié un rapport (réf. COM(2021) 793 final), à l’intention du Conseil et du Parlement européen, sur la mise en œuvre de la directive relative aux émissions industrielles, dite IED (directive 2010/75/UE) (lire notre article). Ce rapport synthétise les données recueillies auprès des États membres au cours de la période de mise en œuvre 2013-2018 et tient compte des progrès accomplis depuis l’amélioration du système de déclaration en 2018 et de l’évaluation de la directive IED de 2020. L’évaluation a notamment recensé plusieurs aspects à améliorer. Ainsi, bien que la directive fournisse un cadre solide, elle n’est pas mise en œuvre de manière cohérente dans les États membres, les différents niveaux d’ambition empêchant l’instrument d’atteindre pleinement ses objectifs. Ces difficultés compromettent la capacité de la directive à contribuer à la réduction des pressions environnementales exercées par les installations agricoles et industrielles et à établir des conditions de concurrence équitables permettant de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Comme l’a conclu la Cour des comptes européenne dans un rapport publié le 5 juillet 2021 (lire notre article), ces difficultés nuisent également à la capacité de la directive IED à mettre en œuvre le principe du pollueur-payeur de manière appropriée.
La proposition de révision de la directive IED
L’objectif général de la proposition de révision, présentée par la Commission le 5 avril 2022 (lire notre article), est de renforcer le cadre actuellement en place pour contribuer, de manière plus efficace, à protéger les écosystèmes et la santé humaine des effets préjudiciables de la pollution induite par les grandes installations agricoles et industrielles. La révision de la directive IED vise à encourager une profonde transformation des installations agricoles et industrielles vers une pollution zéro (lire notre article sur le plan d’actions zéro pollution présenté par la Commission le 12 mai 2021) grâce à l’utilisation de technologies de pointe, ce qui contribuera à la réalisation des objectifs du pacte vert pour l’Europe (parvenir à la neutralité carbone, à une amélioration de l’efficacité énergétique, à la création d’un environnement exempt de substances toxiques et à la réalisation d’une économie circulaire).
Plus précisément, la révision de la directive IED poursuit les objectifs suivants :
- améliorer l’efficacité de la directive en matière de prévention ou, lorsque cela n’est pas possible, de réduction à la source des émissions de polluants produites par les installations agricoles et industrielles ;
- rendre les autorisations plus efficaces pour les installations. Au lieu de fixer les limites les moins exigeantes des meilleures techniques disponibles (MTD), comme le font actuellement quelque 80% des installations, la procédure d’autorisation devra évaluer les possibilités d’atteindre les meilleures performances. Elle renforcera également les règles relatives à l’octroi de dérogations en harmonisant les évaluations requises et en assurant un réexamen régulier des dérogations accordées ;
- clarifier, moderniser et simplifier la législation en vigueur (par exemple par la numérisation et l’amélioration des connaissances sur les sources de pollution) et réduire la charge administrative, tout en favorisant une mise en œuvre cohérente par les États membres ;
- promouvoir l’adoption de technologies et de techniques innovantes dans le cadre des transformations actuellement à l’œuvre dans l’industrie, en révisant sans tarder les documents de référence sur les meilleures techniques disponibles (documents de référence MTD), lorsqu’il est prouvé que des techniques innovantes plus performantes deviennent disponibles ;
- fournir une aide plus importante pour les « pionniers de l’innovation de l’UE ». Au lieu des autorisations fondées sur les MTD bien établies, ces « pionniers » pourront tester des techniques émergentes, en bénéficiant d’autorisations plus souples. La création d’un centre d’innovation pour la transformation industrielle et les émissions (Innovation Centre for Industrial Transformation and Emissions ou INCIT) est prévue pour aider l’industrie à trouver des solutions afin de réduire les émissions polluantes du secteur ;
- soutenir la mise en œuvre des objectifs fixés par l’UE pour l’ambition « zéro pollution » d’ici 2050, l’économie circulaire et la décarbonation : d’ici 2030 ou 2034, les exploitants devront élaborer des plans de transformation pour leurs sites à cette fin ;
- garantir l’accès des particuliers et de la société civile à l’information, la participation au processus décisionnel et l’accès à la justice (y compris à des mécanismes de recours effectifs) en ce qui concerne l’autorisation, l’exploitation et le contrôle des installations réglementées, ce qui se traduira par une action renforcée de la société civile. En outre, le registre européen des rejets et des transferts de polluants (dit E-PRTR) sera transformé en un portail des émissions industrielles de l’UE grâce auquel les citoyens pourront accéder aux données sur les autorisations délivrées dans toute l’Europe et avoir facilement un aperçu des activités polluantes dans leur environnement immédiat ;
- soutenir la transition vers l’utilisation de produits chimiques plus sûrs et moins toxiques, une utilisation plus efficace des ressources (énergie, eau et prévention des déchets) et une plus grande circularité ;
- soutenir la décarbonation en favorisant les synergies en matière d’utilisation de techniques qui préviennent ou réduisent la pollution et les émissions de CO2, ainsi que d’investissements dans ces techniques ;
- élargir le champ d’application de la directive IED à certaines activités non réglementées jusque-là : par exemple, la proposition de directive prévoit d’ajouter l’élevage intensif de bovins aux installations d’élevage intensif de porcs et de volailles déjà visées (20 000 exploitations) et d’intégrer davantage d’élevages porcins et avicoles. Ainsi, toutes les exploitations bovines, porcines et avicoles comportant plus de 150 unités de gros bétail seront visées. Selon les nouvelles règles proposées, les plus grandes exploitations d’élevage de bovins, porcins et de volaille seraient progressivement couvertes (165 000 exploitations supplémentaires seront intégrées, portant donc le nombre total d’installations d’élevage visées à 185 000) : environ 13% des exploitations agricoles commerciales européennes sont responsables de 60% des émissions d’élevage de NH3 et de 43% de celles de CH4 dans l’UE. Selon la Commission, les bénéfices pour la santé de cette couverture élargie sont estimés à plus de 5,5 milliards d’euros par an (source : communiqué de la Commission du 5 avril 2022). Étant donné que les exploitations agricoles ont des activités plus simples que les installations industrielles, toutes les exploitations couvertes bénéficieront d’un régime d’autorisation allégé. Les obligations découlant de la proposition tiendront compte de la taille des exploitations et de la densité du cheptel grâce à des exigences adaptées.