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Quel rôle pourrait jouer le captage et stockage du carbone dans la transition ?

  • Réf. : 2022_12_a01
  • Publié le: 21 décembre 2022
  • Date de mise à jour: 20 décembre 2022
  • International

Alors qu’il s’agit encore d’une technologie en développement, de nombreux Etats et entreprises misent sur les technologies pour générer des émissions négatives (élimination du CO2 ou carbon dioxide removals, CDR) en particulier le captage et stockage du CO2 (CSC) et le captage, stockage et usage du carbone (CCUS) afin de parvenir à zéro émission nette en 2050. Au Royaume-Uni, la quantité de CO2 à capturer par ce moyen dans les années 2030 est estimée entre 20 et 30 MtCO2/an. Dans l’actuelle Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France (SNBC-2), à horizon 2050, le recours au CSC est aussi estimé autour de 20 Mt CO2/an (SNBC-2, p.21). Alors que plus d’une centaine de projets de développement de CSC et CCUS sont en cours, le Citepa vous propose un tour d’horizon des sources d’informations récentes pour mieux en comprendre les potentiels et limites.

 

La place des techniques de captage et stockage du carbone dans les solutions d’atténuation présentées par le Giec (AR6, vol. 3)

Le Giec, dans le volume dédié à l’atténuation de son dernier rapport d’évaluation (AR6, vol. 3, lire notre dossier de fond) publié en avril 2022, constate un développement important des travaux sur le sujet : « entre l’AR5 (2013) et l’AR6 (2022), des efforts accrus ont été déployés pour mettre au point des approches pour réduire les enjeux énergétiques liées au captage du CO2, pour développer des utilisations du CO2 en alternative au stockage géologique, et pour établir des politiques mondiales en faveur du CSC [captage et stockage du carbone] » (rapport intégral, par. 6.4.2.5). Il cite les méthodes d’élimination du CO2 (CDR) et en particulier le CSC comme faisant partie des stratégies d’atténuation compatibles avec les scénarios +1,5°C et +2°C (rapport intégral, par. C.3).

Le Giec précise que « le CSC est une option pour réduire les émissions provenant des énergies fossiles et des sources industrielles, à condition qu’un stockage géologique soit possible (…). Contrairement au secteur du pétrole et du gaz, le CSC est moins mature dans le secteur de l’électricité, du ciment et de la chimie (…). La capacité technique de stockage géologique du CO2 estimée est d’environ 1 000 Gt de CO2, ce qui est supérieur aux besoins de stockage du CO2 jusqu’en 2100 pour limiter le réchauffement à +1,5°C, bien que la disponibilité régionale du stockage géologique puisse être un facteur limitant (…). La mise en œuvre du CSC se heurte actuellement à des barrières technologiques, économiques, institutionnelles, écologiques, environnementales et socioculturelles. Les taux mondiaux actuels de déploiement du CSC sont bien inférieurs à ceux nécessaires pour atteindre les objectifs +1,5°C ou +2°C. » (rapport intégral, paragraphe n° C.4.6).

Malgré ces travaux de plus en plus nombreux, le Giec met en avant l’absence de consensus sur le rôle du CSC dans les scénarios de transition bas-carbone : « il n’y a pas de consensus pour savoir comment le CSC pourrait affecter la transition pour se passer des combustibles fossiles et limiter le réchauffement à +2°C ou moins. Des travaux montrent que le déploiement des CSC peut faciliter la transition économique vers un système énergétique à faibles émissions, et que le CSC jouera un rôle important pour l’usage des combustibles fossiles jusqu’en 2050 ; d’autres travaux montrent que l’arrêt progressif du charbon sans techniques de réduction est un processus bien plus rapide que le déploiement de charbon avec CSC et que par ailleurs , compte tenu de la disponibilité des technologies de captage du CO2, la BECCS [bioénergie avec capture et stockage de CO2] pourrait devenir nettement plus intéressant que le CSC fossile, même avant 2050 » (rapport intégral, par. 6.7.4).

 

Rapport spécial de l’AIE sur le rôle du CCUS dans la transition (2020)

Le 24 septembre 2020, l’AIE a publié un rapport spécial dédié au CCUS, intitulé CCUS in Clean Energy Transitions. Selon ce rapport :

  • dans un scénario où le secteur de l’énergie atteint zéro émission nette en 2050, le CCUS représente près de 15% de la réduction cumulée des émissions par rapport au scénario basé sur les politiques en place. En 2070, le CO2 capté dans le secteur de l’énergie devrait atteindre 10,4 Gt de CO2. A cette échéance, le secteur de l’électricité représenterait environ 40% du CO2 capturé, la production d’hydrogène 30%, l’industrie lourde moins de 25%, et le reste proviendrait du captage direct du CO2 dans l’air (DAC) ;
  • si l’objectif initial du CCUS était de moderniser les centrales fossiles, et de développer la production d’hydrogène bas-carbone, l’accent est désormais de plus en plus mis sur la BECCS et le DAC pour l’élimination du carbone et l’usage de CO2, en particulier pour les carburants de synthèse ;
  • ces techniques d’élimination du carbone restent nécessaires pour compenser les émissions du secteur de l’énergie techniquement difficiles ou trop coûteuses à réduire. Elles peuvent également compenser les émissions hors du secteur de l’énergie ;
  • un défi futur consiste à réduire le coût du DAC, actuellement très élevé en raison principalement des grandes quantités d’énergie nécessaires à sa mise en œuvre.

 

Analyse de l’AIE sur l’état des lieux du CCUS en 2021

L’AIE a publié le 24 novembre 2021 une analyse sur l’état des lieux du développement du CCUS, un an après son rapport spécial sur le sujet (voir ci-dessus). En 2021, l’AIE recensait au total plus de 100 annonces de projets d’installations de CCUS. Alors que ces 10 dernières années ont vu des annulations de projets médiatisées et des programmes de financement gouvernementaux qui n’ont pas abouti, la question reste de savoir si 2021 marque le début d’une décennie où cette technologie prendra réellement son essor.

L’AIE rappelle qu’en moyenne, une capacité de captage inférieure à 3 Mt CO2 a été ajoutée chaque année dans le monde depuis 2010, la capacité de capture annuelle atteignant désormais plus de 40 MtCO2. Or ce chiffre doit passer à 1,6 milliards de tonnes de CO2 en 2030 pour s’aligner sur une trajectoire vers la neutralité carbone en 2050.

L’échec des projets précédents s’explique en grande partie par le fait qu’ils n’ont pas pu progresser assez rapidement pour atteindre les jalons de dépenses à court terme requis par les programmes de financement gouvernementaux, en partie dans le cadre de la relance post-crise financière de 2008-2009, lorsque plus de 8,5 Md $ de soutien public ont été mis à la disposition de 27 projets dans le monde, mais que moins de 30% du financement a été dépensé.

Néanmoins, des progrès importants ont été accomplis depuis 2010 : la capacité de captage a triplé et les domaines d’application se sont étendus à la production d’acier, d’électricité et d’hydrogène. Le déploiement commercial du CCUS est passé d’une approche focalisée sur des grandes installations autonomes au développement de centres industriels avec une infrastructure partagée de transport et de stockage du CO2. Ces configurations permettent des économies d’échelle et réduisent les risques commerciaux, avec de nouveaux modèles axés sur les services de transport et de stockage. Par ailleurs, Les politiques d’investissement se sont aussi améliorées, avec des politiques publiques ciblées mais aussi l’effet indirect de la hausse des prix du carbone en Europe et le renforcement des objectifs climat, rendant le CCUS de plus en plus intéressant dans les solutions d’atténuation du secteur de l’énergie et de l’industrie.

 

Un état des lieux des besoins futurs en émissions négatives (carbon dioxide removals – CDR) (2022)

Dans un rapport intitulé Mind the Gap: How Carbon Dioxide Removals Must Complement Deep Decarbonisation to Keep 1.5°C Alive, publié le 9 mars 2022, l’ETC (Energy Transitions Commission, coalition mondiale de dirigeants engagés vers l’objectif de l’Accord de Paris) propose une analyse du développement des émissions négatives (carbon dioxide removals ou CDR) au regard des besoins pour limiter le réchauffement à +1,5°C.

Le rapport conclut que tous les secteurs de l’économie peuvent et doivent se décarboner d’ici le milieu du siècle avec d’importantes réductions d’émissions dans les années 2020, avec en priorité la réduction de moitié de l’utilisation du charbon et la réduction de 70% de la déforestation d’ici 2030. Malgré ces efforts, le monde aura besoin d’au moins 70 à 220 Gt d’absorptions de carbone d’ici 2050 pour limiter les émissions nettes cumulées de GES à un niveau compatible avec l’objectif de +1,5°C. Ces absorptions pourraient être réalisées grâce à une combinaison de solutions climatiques naturelles (telles que le reboisement et l’amélioration de la gestion des sols), de solutions techniques (par exemple en utilisant le captage direct du CO2 dans l’air) et de solutions hybrides (telles que la bioénergie plus le captage et le stockage du carbone). Même si les solutions naturelles domineront dans les premières années, elles comporteront des risques de mesure et de non-permanence. Les solutions techniques sont actuellement beaucoup plus coûteuses, mais ces coûts pourraient être réduits au fil du temps. Un scénario envisagé par ETC suggère que de près de zéro aujourd’hui, ces absorptions additionnelles pourraient atteindre 3,5 Gt par an d’ici 2030.

 

Un état des lieux du rôle du captage, utilisation et stockage du carbone (CCUS) (2022)

Le 15 juillet 2022, l’ETC a publié un nouveau rapport dressant cette fois un état des lieux de la situation actuelle et des potentiels de développement du captage, utilisation et stockage du carbone (CCUS) et non de toutes les techniques de CDR en général. Intitulé « Carbon capture, utilisation and storage in the energy transition: Vital but limited » (le captage, l’utilisation et le stockage du carbone : un rôle vital mais limité dans la transition énergétique), ce rapport évalue le rôle du CCUS parmi les différentes pistes majeures d’atténuation.

Le rapport part du constat que les émissions cumulées jusqu’en 2050 vont très certainement dépasser le budget compatible avec l’objectif de +1,5°C, et qu’il sera nécessaire, en complément d’une réduction massive et rapide des émissions de gaz à effet de serre, de recourir à des solutions d’absorption du CO2, via par exemple les projets de captage direct de carbone dans l’air et stockage (DACCS) ou les projets de bioénergie, captage et stockage de carbone (BECCS).

Dans ce contexte, selon ce rapport, le CCUS pourrait jouer un rôle essentiel, mais limité, pour :

  • décarboner les secteurs pour lesquels les alternatives bas-carbone sont limitées (comme les procédés industriels émettant du CO2, par exemple les cimenteries) ;
  • permettre de compléter les réductions d’émissions par des émissions négatives et ainsi atteindre les objectifs de décarbonation ;
  • proposer une solution de décarbonation à bas-coût dans ses secteurs ou des zones où le CCUS serait économiquement plus avantageux que d’autres solutions.

 

Le rapport estime que d’ici 2050, le besoin de captage puis d’usage ou stockage de CO2 se situera entre 7 et 10 Gt CO2/an (contre un niveau actuel d’environ 40 Mt CO2/an). Le niveau de développement actuel est très insuffisant au regard de ces projections : ETC en appelle à un développement des investissements privés et publics.

 

GCCS 2022

Le 17 octobre 2022, le think tank international Global CCS Institute a publié un rapport sur l’état du CSC en 2022. Selon ce rapport, en date de septembre 2022, on recensait 196 projets de CSC dans le monde, en hausse de 44% par rapport à 2021.

Evolution de capacités de stockage de CO2 par an

Source : Global CCS Institute, rapport 2022 p. 7

 

Le rapport propose une analyse de ces projets, du cadre politique et législatif associé, une analyse régionale du déploiement des projets et des sites potentiels, et une série d’analyses sur les sujets liés : marchés carbone, techniques d’élimination du CO2, hydrogène, finance, industrie, techniques de stockage…

Parmi les projets listés en Europe, citons, pour la France :

  • Le projet français K6, visant à capter 8,1 Mt CO2 de cimenteries, à stocker dans la mer du Nord ;
  • Le projet français CalCC visant à capter du CO2 émis par la production de chaux ;
  • Le projet multinational Northern Lights, mis en place par Equinor, Shell, TotalEnergies et Yara, visant à capter du CO2 sur un site de production de fertilisants aux Pays-Bas (800 ktCO2/an dès 2025) et à la stocker au large de la Norvège. Ce projet mondial sur le captage, le transport et le stockage du CO2 représente un exemple de nouveau projet de grande envergure, et un exemple du nouveau modèle développement commercial présenté par l’AIE.

 

 

Une évaluation des limites du CCUS

Le 1er septembre 2022, l’IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis, centre de recherche britannique) a publié un rapport évaluant 13 projets de CCUS représentant près de 55% de la capacité opérationnelle mondiale actuelle. Les chercheurs concluent que la plupart des projets sont peu concluants : sur les 13 projets pris en compte, 7 sont moins efficaces que prévu, 2 ont échoué et 1 a été mis en pause.

Le rapport de l’IEEFA met en avant que la plupart des projets de CSC ont, depuis, réutilisé le CO2 capté dans le cadre de projets de récupération assistée du pétrole (enhanced oil recovery ou EOR), technique consistant à augmenter la quantité de pétrole brut extraite d’un gisement, notamment via l’injection de gaz tel que le CO2. Le rapport rappelle ainsi que près de 73% du CO2 capturé ces dernières années a servi, en fin de compte, à extraire du pétrole.

Par ailleurs, le rapport souligne aussi que lorsque le CO2 capté est effectivement stocké dans des réservoirs géologiques, la nécessité de vérification, sur le long terme, d’absence de fuites, s’oppose à la logique de plus court-terme des entreprises impliquées, la gestion de ce risque pouvant in fine reposer sur les pouvoirs publics.

Enfin, le rapport pointe le risque que les techniques de CSC soient utilisées afin d’étendre la durée de vie des infrastructures fossiles bien au-delà de la limite à ne pas dépasser pour limiter le réchauffement à un niveau critique.

 

En savoir plus

Rapport de l’AIE 2020 – rapport intégral, synthèse

Rapport de l’ETC sur les CDR en général : rapport

Rapport de l’ETC sur les CCUS : communiqué, rapport, Résumé

Rapport du Global CCS Institute : résumé, rapport

Rapport de l’IEEFA : communiqué, rapport

 

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