Traité sur la Charte de l’Energie : la France annonce son souhait de retrait
Le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE), accord international qui établit un cadre multilatéral de coopération dans le domaine de l’énergie, et qui permet, concrètement, à des compagnies productrices d’énergies fossiles ou d’investisseurs d’attaquer en justice des Etats adoptant des mesures législatives ou réglementaires contraires à leurs intérêts. Ce traité est de plus en plus critiqué, car jugé incompatible avec l’ambition nécessaire pour décarboner l’économie et notamment sortir des énergies fossiles. Le 24 juin 2022 s’est tenu une session de négociations sur le Traité sur la Charte de l’Energie ayant abouti à des amendements du texte du TCE et au non-retrait de l’UE de la liste des signataires. Le Secrétariat du TCE a publié un communiqué expliquant les changements adoptés (lire notre article).
Le 19 octobre 2022, le Haut-Conseil sur le Climat (HCC), suite à son auto-saisine sur ce sujet, a publié un avis dans lequel il conclut que le TCE, y compris dans une forme modernisée, n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l’énergie & l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur d’ici 2030. Il souligne que les risques de contentieux induits par le mécanisme de règlement des différends du TCE peuvent constituer une entrave pour les États dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques de décarbonation nécessaires à court terme. Le HCC recommandait donc un retrait coordonné du TCE par la France et les États membres de l’UE, couplé à une neutralisation de la « clause de survie » de protection des investissements couverts par le TCE ; et à rejoindre la proposition de la Commission européenne en ce sens.
Le 21 octobre 2022, à l’issue d’un sommet du Conseil européen, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé le retrait de la France du Traité sur la Charte de l’Energie, soulignant qu’il s’agissait d’« un point important demandé par beaucoup ». Reste aux Etats membres de l’UE de voter, au Conseil, une sortie de l’UE du TCE avant la prochaine réunion des parties prenantes du TCE pour adopter les conclusions des négociations sur la modernisation du traité, le 22 novembre 2022. Les Etats-membres restent divisés sur cette question, certains ayant aussi indiqué leur volonté de retrait du TCE (Espagne, Italie, Pologne, Pays-Bas, Belgique [source : Climate Home News, 25/10/2022 ; The Guardian 21/10/2022]) et d’autres souhaitant plutôt s’accorder sur l’ETC « modernisé » tel que voté en juin 2022. Si un accord était trouvé, il faudrait que cette décision soit entérinée au niveau des parlements nationaux et notifiée auprès de la « Conférence » (haute instance) du TCE, pour que le retrait soit effectif un an après réception de cette notification.
Qu’est-ce que le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE) ?
En 1991 est signée la Charte européenne de l’Energie, déclaration politique de principe visant la coopération énergétique internationale dans le contexte de la fin de la Guerre froide et de la guerre du Golfe ; et visant l’élaboration d’un traité juridiquement contraignant.
C’est chose faite en 1994 avec la signature, par une cinquantaine de pays, du Traité sur la Charte de l’Energie (TCE). Entré en vigueur le 16 avril 1998, le TCE compte aujourd’hui 53 parties contractantes et signataires, dont l’UE. Ce traité, qui établit un cadre multilatéral pour la coopération multilatérale en matière d’investissements dans le secteur de l’énergie, est juridiquement contraignant : il comprend ainsi des mécanismes de règlement des différends (Dispute Settlement Mechanisms), entre investisseurs et Parties contractantes : en cas de violation présumée des dispositions du TCE relatives aux investissements et si le différend ne peut être réglé à l’amiable dans un délai de trois mois, l’article 26 du TCE permet aux investisseurs de soumettre le différend pour qu’il soit résolu aux tribunaux ou aux tribunaux administratifs de la partie contractante au différend. Ces différends peuvent notamment être entre investisseurs et Etats (dites Investor-State Dispute Settlement [ISDS] mechanisms), et même entre des investisseurs d’un État membre de l’UE et un autre État membre (arbitrage intra-UE). Une clause du traité précise que si un pays signataire s’en retire, les investissements décidés précédemment continuent de bénéficier de la protection du traité pendant 20 ans.
Le 20 mai 2015 est signée à La Haye par 72 pays (ainsi que l’UE, l’Euratom et la Cedeao) la Charte internationale de l’Energie, deuxième déclaration politique non contraignante (après la Charte européenne de l’Energie de 1991, mais avec un texte cherchant à mieux refléter les évolutions intervenues depuis lors et les défis énergétiques mondiaux actuels. Il définit des principes communs et des domaines de coopération internationale dans le secteur de l’énergie pour le 21e siècle).
Le Traité sur la Charte de l’Energie fait l’objet de vives critiques depuis des années. L’Italie s’en est retirée unilatéralement en 2016.
Lors de la Conférence du TCE en novembre 2017, suite à une proposition du Secrétariat de la Charte de l’Energie, a été votée la décision de lancer la discussion sur la potentielle modernisation du texte. Le 27 novembre 2018, la Conférence a approuvé la liste des thèmes pour la modernisation du TCE.
Le cycle de renégociation pour amender le traité et le rendre plus à jour a débuté en 2020. Au total, 15 cycles de négociation se sont déroulées entre juillet 2020 et juin 2022. Les positions divergentes des Etats membres de l’Union européenne ont rendu les négociations difficiles. Le texte amendé a été voté le 24 juin 2022.