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Dépassement des valeurs limites pour le NO2 : le Conseil d’État condamne l’Etat à verser deux astreintes de 10 M€

  • Réf. : 2022_10_a03
  • Publié le: 18 octobre 2022
  • Date de mise à jour: 20 juin 2023
  • France
  • UE

Dans une décision rendue le 17 octobre 2022, le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à payer deux astreintes (amendes) de 10 M€ chacune pour la période du juillet 2021 à juillet 2022 (soit plus de 54 000 € par jour) au motif que les mesures prises par le Gouvernement à ce jour pour améliorer la qualité de l’air dans les zones en dépassement des valeurs limites de concentration du NO2 ne sont pas suffisantes pour considérer que les décisions du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 et du 20 juillet 2020 sont intégralement exécutées (voir encadré « contexte » ci-dessous).

Le Conseil d’Etat avait demandé à l’ancienne Ministre de la Transition écologique de porter à sa connaissance les mesures prises par les services de l’Etat pour assurer l’exécution des deux décisions précitées. Ces éléments ont été fournis le 22 mars 2022. Le 19 septembre 2022, le rapporteur public du Conseil d’Etat, Stéphane Hoynck a présenté ses conclusions lors d’une séance publique. A cette occasion, il avait demandé aux juges du Conseil d’Etat de statuer en ce sens.

Après analyse des nouveaux éléments fournis par le Ministère de la Transition écologique, et suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’État a condamné l’Etat, le 17 octobre 2022, à payer l’astreinte décidée par la décision du 10 juillet 2020 (10 M€ par semestre jusqu’à la date de l’exécution de cette décision), l’une pour le second semestre 2021 et l’autre pour le premier semestre 2022 (la période du 12 juillet 2021 au 12 juillet 2022), soit un montant total de 20 M€.

Cette nouvelle décision intervient après plus de 10 ans d’avertissements de la Commission européenne et la condamnation de la France, en 2019, par la Cour de Justice de l’UE (voir encadré en fin d’article).

 

Le Conseil d’Etat et ses décisions du 12 juillet 2017, du 10 juillet 2020 et du 4 août 2021 : étapes clés du contentieux

Le Conseil d’État est la plus haute juridiction administrative publique française. Il est notamment le juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.

Première décision du Conseil d’Etat : 2017

Saisi en 2015 initialement par l’association Les Amis de la Terre-France (rejointe par plus de cinquante autres requérants, dont France Nature Environnement, Greenpeace et Notre Affaire à tous), le Conseil d’État avait enjoint le Premier Ministre et le Ministre de la Transition Ecologique de l’époque, par décision du 12 juillet 2017, de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre, pour chacune des 12 zones dans lesquelles les valeurs limites de concentration (VLC) étaient encore dépassées en 2015, des plans « qualité de l’air » permettant de ramener, dans le délai le plus court possible, les concentrations de NO2 et de PM10 en dessous des VLC fixées par la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air [2008/50/CE] (annexe XI) et ce, avant le 31 mars 2018 (lire notre article sur cette première décision).

Deuxième décision du Conseil d’Etat : 2020

Après avoir constaté que le Gouvernement n’avait toujours pas pris les mesures permettant de respecter les VLC applicables au NO2 et aux PM10, le Conseil d’État lui avait enjoint, par une nouvelle décision du 10 juillet 2020, d’agir dans un délai de six mois, sous peine d’une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre de retard (lire notre article sur cette deuxième décision). Le Conseil d’État avait en effet constaté que les VLC restaient toujours dépassées dans neuf zones administratives de surveillance en 2019 : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le NO2, Fort-de-France pour les PM10, et Paris pour le NO2 et les PM10. Le Conseil d’État pointait par ailleurs le fait que les feuilles de route élaborées par le Gouvernement pour ces zones (lire notre article) ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs (sauf pour la Vallée de l’Arve).

Le Conseil d’État avait conclu que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’avait pas pris des mesures suffisantes dans les zones encore en dépassement (huit en tout donc) pour que sa décision du 12 juillet 2017 puisse être jugée comme ayant été pleinement exécutée. En conséquence, le Conseil d’État avait décidé d’infliger à l’État une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre (soit plus de 54 000 € par jour) tant qu’il n’aura pas pris, avant le 10 janvier 2021, les mesures qui lui ont été ordonnées. Enfin, le Conseil d’État avait ordonné au Premier Ministre de lui communiquer, avant le 10 janvier 2021, copie des actes justifiant des mesures mises en œuvre pour exécuter sa première décision du 12 juillet 2017.

Demandes quant à l’exécution de cette deuxième décision : 2021

Le 11 janvier 2021, soit le lendemain de l’échéance imposée par sa décision du 10 juillet 2020 au Gouvernement, le Conseil d’Etat avait demandé à la Ministre de la Transition écologique de porter à sa connaissance les mesures prise par les services de l’Etat pour assurer l’exécution de cette décision.

Après avoir reçu, le 26 janvier 2021, du Ministère de la Transition écologique (MTE) un mémoire précisant les mesures prises depuis juillet 2020 pour améliorer la qualité de l’air dans les zones visées et sur le territoire national en général (mémoire suivi d’observations supplémentaires du MTE le 19 février 2021), le Conseil d’État avait indiqué dans un communiqué, publié le 22 février 2021, les suites qu’il comptait donner à ce contentieux et a précisé le calendrier en ce sens (lire notre article). Le lendemain, le Conseil d’Etat avait également transmis le mémoire et les observations du MTE aux associations requérantes (les Amis de la Terre-France et d’autres ONG), afin qu’elles puissent formuler leurs commentaires.

Par mémoire remis le 25 mars 2021, l’association Les amis de la terre France et les autres ONG requérantes avaient notamment demandé au Conseil d’Etat de constater que les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 du Conseil d’Etat n’avaient pas été pleinement exécutées au terme du délai fixé par la décision du 10 juillet 2020.

Troisième décision : 2021

Dans une décision rendue le 4 août 2021, le Conseil d’Etat avait condamné l’Etat à payer une astreinte (amende) de 10 M€ pour le premier semestre 2021 au motif que les mesures prises par le Gouvernement pour améliorer la qualité de l’air dans les zones en dépassement des valeurs limites de concentration du NO2 et des PM10 n’étaient pas suffisantes pour considérer que la décision du Conseil d’Etat du 12 juillet 2017 a été intégralement exécutée.

Comme le soulignait le Conseil d’Etat lui-même, le montant de 10 M€ est « le montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l’Etat à exécuter une décision prise par le juge administratif ». Par ailleurs, le Conseil d’Etat justifiait cette astreinte, « compte tenu du délai écoulé depuis sa première décision, de l’importance du respect du droit de l’UE, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l’urgence particulière qui en résulte » (source : Conseil d’Etat, communiqué du 10 juillet 2020).

 

 

Que retenir de la nouvelle décision ?

Selon le Conseil d’Etat, les derniers chiffres en termes de concentrations de NO2 et des PM10 montrent que la situation s’est globalement améliorée mais qu’elle reste fragile ou mauvaise dans quatre zones (Toulouse, Paris, Lyon, Aix-Marseille). A noter que la zone de Grenoble ne présente plus de dépassement en matière de concentration en NO2, ni la zone de Paris, en matière de concentration en particules fines PM10.

En effet, la situation de la zone de Toulouse reste fragile en 2021 avec une concentration moyenne annuelle de NO2 38 µg/m3 relevée dans une station de mesure, soit un niveau légèrement en dessous de la valeur limite (40 µg/m3 en moyenne annuelle [cf. annexe XI de la directive 2008/50/CE] – lire notre article) mais en augmentation par rapport à 2020. Pour les zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille, si la moyenne annuelle de concentration en NO2 a globalement diminué en 2021 par rapport à 2019, la valeur limite de concentration de 40 μg/m3 a été dépassée pendant la période considérée dans sept stations de mesure de la zone de Paris et dans une station de mesure des zones de Lyon et de Marseille. Par conséquent, souligne le Conseil d’Etat, à ce jour, les mesures prises par l’État ne garantissent pas que la qualité de l’air s’améliore de telle sorte que les valeurs limites de concentration soient respectées dans les délais les plus courts possibles.

Quant aux concentrations en PM10, Paris, seule zone pour laquelle les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 n’ont pas été jugées comme ayant été exécutées par la décision du 4 août 2021, aucun dépassement des valeurs limites de concentration (40 µg/m3 en moyenne annuelle et 50 µg/m3 en moyenne journalière, à ne pas dépasser plus de 35 fois par année civile [cf. annexe XI de la directive 2008/50/CE] – lire notre article) n’a été constaté en 2021, confirmant la situation déjà constatée en 2020.

Puisque des dépassements des valeurs limites persistent pour le NO2, le Conseil d’Etat s’est ensuite attaché à apprécier si des mesures adoptées depuis l’adoption de la décision du 4 août 2021 sont de nature à ramener, dans le délai le plus court possible, les concentrations de ce polluant en deçà de la valeur limite dans les zones présentant encore un dépassement de cette valeur limite ou dont la situation de non-dépassement ne peut être jugée comme consolidée.

 

Les mesures ciblant les transports devraient faire baisser les concentrations en NO2

Le Conseil d’État note que les mesures prises par le Gouvernement dans le secteur des transports (aides à l’acquisition de véhicules moins polluants, développement des mobilités dites douces, déploiement de bornes de recharge,…) et du bâtiment (interdiction des chaudières à fioul ou à charbon) devraient avoir des effets positifs sur les niveaux de concentration en NO2 dans l’air ambiant pour l’ensemble du territoire national. Pour autant, pointe le Conseil d’Etat, les conséquences concrètes de ces mesures générales ne sont pas précisées pour les trois zones de Paris, Lyon et Aix-Marseille qui dépassent encore les valeurs limites.

Le Conseil d’État observe également que le développement des nouvelles « zones à faibles émission mobilité » (ZFE-m – lire notre brève) prévues par l’article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités ou LOM (lire notre article) et renforcées par l’article 119 de la loi Climat et résilience (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets), avec la possibilité de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants, peut permettre une baisse significative des niveaux de concentration. Il constate que des ZFE-m avaient déjà été instaurés à Paris et à Lyon en vertu des textes antérieurs et qu’aucune mesure nouvelle n’a été mise en œuvre depuis la précédente décision du Conseil d’Etat (du 10 juillet 2020). Le calendrier de mise en œuvre de restriction des véhicules les plus polluants a même été repoussé à Paris et ce, malgré la situation avérée de dépassement des valeurs limites. En parallèle, la ZFE-m de Toulouse n’est effective que depuis le 1er février 2022 et celle d’Aix-Marseille que depuis le 1er septembre 2022, et ce, alors même que l’obligation d’y instaurer des ZFE y était antérieure à la loi Climat et résilience.

 

La révision des Plans de protection de l’atmosphère

Le Conseil d’État constate enfin que si des procédures de révision de plusieurs plans de protection de l’atmosphère (PPA) ont été récemment engagées ou sont en voie de l’être (pour les zones de Paris, Lyon et Toulouse) ou ont été adoptés (pour la zone d’Aix-Marseille [le PPA des Bouches-du-Rhône]), l’objectif de respect des valeurs limites de concentration demeure très éloigné (fixé à 2025 dans les zones de Paris et de Lyon et « dans les meilleurs délais » dans la zone d’Aix-Marseille) et n’est accompagné d’aucun élément permettant de considérer ces délais comme étant les plus courts possibles. Or la date butoir pour respecter les valeurs maximales de concentration en NO2 dans l’air ambiant était le 1er janvier 2010 (conformément à l’annexe XI de la directive européenne 2008/50/CE).

 

Conclusion

Sur la base de ces observations, le Conseil d’Etat conclut que si l’ensemble des mesures mises en avant par le Ministre devraient avoir pour effet de poursuivre l’amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2019, les éléments produits par le MTE à ce jour ne permettent pas d’établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en NO2 en deçà des valeurs limites fixées par la directive 2008/50/CE (et transposées en droit français à l’article R. 221-1 du Code de l’Environnement) pour les zones Aix-Marseille, Lyon, Paris et Toulouse. Il résulte donc que l’Etat ne peut être jugé comme ayant pris des mesures suffisantes pour assurer l’exécution complète des décisions du Conseil d’Etat des 12 juillet 2017 et 10 juillet 2020 dans ces zones.

 

La condamnation

Conformément à sa décision du 10 juillet 2020, le Conseil d’État condamne ainsi l’État au paiement de l’astreinte pour le deuxième semestre 2021 (juillet – décembre 2021) et pour le premier semestre 2022 (janvier – juillet 2022). Compte tenu, à la fois, de la durée du dépassement (qui ne cesse de s’accroître) des valeurs limites (qui auraient dû être respectées depuis 2005 pour le PM10 et 2010 pour le NO2) mais aussi des mesures d’amélioration de la qualité de l’air prises depuis juillet 2020, le montant de l’astreinte n’est ni majoré ni minoré et est fixé à 10 M€ par semestre, comme prévu par la décision du 10 juillet 2020.

L’astreinte sera répartie entre l’association Les Amis de la Terre-France (qui avait initialement saisi le Conseil d’État) et plusieurs organismes et associations œuvrant dans le domaine de la qualité de l’air pour le solde, de la façon suivante :

 

Prochaines étapes

Le Conseil d’Etat réexaminera en 2023 les mesures mises en œuvre par l’Etat à partir du deuxième semestre 2022 (juillet 2022-janvier 2023).

 

 

En savoir plus :

 

 

La France aussi condamnée par la Cour de Justice de l’UE sur le non-respect de la directive 2008/50/CE

A noter enfin que la France fait l’objet de deux contentieux avec l’UE sur le non-respect de la même directive 2008/50/CE pour dépassement des valeurs limites de concentration de NO2 et de PM10.

En savoir plus sur la procédure d’infraction de l’UE et ses quatre étapes (voir premier encadré de notre article).

 

Le cas d’infraction sur le NO2

Le 24 octobre 2019, la France a été condamnée par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant, et plus spécifiquement pour :

  • dépassement de manière systématique et persistante la VLC annuelle pour le NO2 depuis le 1erjanvier 2010 dans 12 agglomérations et zones de qualité de l’air françaises, et en dépassant de manière systématique et persistante la VLC horaire pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans deux agglomérations et zones de qualité de l’air françaises. La CJUE souligne que ce faisant, la France a continué de manquer, depuis cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI (voir encadré plus loin), et ce depuis l’entrée en vigueur des valeurs limites le 1erjanvier 2010 ;
  • manquement, depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.

La Commission européenne a formellement demandé au Gouvernement français, le 3 décembre 2020, d’exécuter l’arrêt rendu par la CJUE le 24 octobre 2019. Par ailleurs, elle lui a donné un délai de deux mois pour répondre aux préoccupations qu’elle a soulevées (soit jusqu’au 3 février 2021). À défaut, cette dernière pourrait renvoyer l’affaire devant la CJUE et proposer que des sanctions financières soient infligées à la France. Ce délai étant désormais passé, cette possibilité pourrait se réaliser dans les semaines qui viennent.

Lire notre article sur la condamnation de la France par la CJUE le 24 oct. 2019.

Lire notre article sur la demande formelle de la Commission à la France d’exécuter l’arrêt de la CJUE du 24 oct. 2019

 

Le cas d’infraction sur les PM10

Le 28 avril 2022, la France a été condamnée par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant, et plus spécifiquement pour :

  • dépassement de manière systématique et persistante la VLC journalière pour les PM10 depuis le 1erjanvier 2005 dans l’agglomération et la zone de qualité Paris et, depuis le 1erjanvier 2005 jusqu’à l’année 2016 incluse, dans l’agglomération et la zone de qualité Martinique/Fort-de-France. La France a ainsi manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI « dépassement de manière systématique et persistante» de la valeur limite de concentration (VLC) journalière pour les PM10 ;
  • manquement, dans ces deux zones depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.

Cet arrêt est la conséquence de la procédure d’infraction lancée en 2009 par la Commission européenne contre la France (lire notre premier article sur le sujet publié le 1er mars 2013 et notre deuxième article sur le sujet publié le 1er juillet 2015).

Lire notre article « Après le NO2, les PM10 : la France condamnée par la Cour de Justice de l’UE pour non-respect de la directive sur la qualité de l’air »

 

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