Une nouvelle base de données publique quantifie les émissions de GES qu’induirait l’exploitation des réserves de combustibles fossiles
Le 19 septembre 2022, le Registre Mondial des Combustibles Fossiles (Global Registry of Fossil Fuels) a été mis en ligne par l’Initiative Carbon Tracker. Il s’agit de la première base de données publique sur les quantités de combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon) en réserve et exploitées convertissant ces volumes en quantité d’émissions de CO2e potentielles.
Alors que la nécessité de ne pas exploiter l’ensemble des réserves de fossiles connues a été établie (voir encadré ci-dessous), cette nouvelle base de données vise à combler le manque d’une information claire, transparente et centralisée répertoriant l’ensemble de ces réserves et quantifiant les émissions de gaz à effet de serre qu’elles induiraient avec une seule méthodologie. Le projet vise ainsi à contribuer au pilotage mondial d’une fin progressive du développement des fossiles et mieux anticiper les futurs « actifs échoués » (stranded assets).
La nécessité de garder dans le sous-sol une partie des réserves de gaz et pétrole
Une étude de 2015 (McGlade, C., & Ekins, P. (2015). The geographical distribution of fossil fuels unused when limiting global warming to 2 C. Nature, 517(7533), 187-190) estimait déjà que pour respecter l’objectif de 2°C, la moitié des réserves connues de pétrole, un tiers de celles de gaz et 80% de celles de charbon ne devaient pas être extraites, et rester dans le sous-sol (concept connu sous le terme anglais de « keep it in the ground »). En mai 2021, le rapport de l’AIE “net zero by 2050” (lire notre article) concluait que pour atteindre zéro émission nette en 2050, il ne devait y avoir aucun nouveau projet de création (ou d’extension) d’exploitations de gisements de gaz, de pétrole, de charbon. Une nouvelle étude publiée en 2021 (Welsby, D., Price, J., Pye, S., & Ekins, P. (2021). Unextractable fossil fuels in a 1.5 C world. Nature, 597(7875), 230-234) réestimait la proportion de fossiles à ne pas extraire : 60% pour le pétrole et le gaz, 90% pour le charbon. En 2021, dans son « Production Gap Report » (lire notre article), le PNUE constatait que la production planifiée de combustibles fossiles « dépassait largement » la limite nécessaire pour respecter l’objectif de +1,5°C.
Deux travaux plus récents permettent d’apporter un éclairage sur l’écart entre les projets actuels de nouvelles infrastructures de production de combustibles fossiles et la réduction de ces investissements pour respecter l’objectif de limitation du réchauffement global à +1,5°C :
- une enquête menée par des journalistes du quotidien britannique The Guardian et publiée le 11 mai 2022, reposant notamment sur des calculs de l’ONG Urgewald, qui a construit une base de données (Gogel database), montre que, d’ici les sept prochaines années, ces différents projets (avec en tête, ceux portés par Qatar Energy, Gazprom [Russie] et Saudi Aramco [Arabie Saoudite]) pourraient in fine fournir 192 milliards de barils, et générer l’équivalent d’une décennie des émissions actuelles de gaz à effet de serre de la Chine. Ces projets incluent 195 « bombes climatiques », des projets de grande ampleur (dont 60% sont déjà en cours) générant à eux seuls 1 Gt CO2 pendant leur durée de vie ;
- un article scientifique publié le 17 mai 2022 a estimé que près de la moitié des sites de production actuels de combustibles fossiles devraient être fermés par anticipation pour respecter l’objectif +1,5°C. L’article a analysé une base de données de plus de 25 000 gisements pétroliers et gaziers, ainsi qu’une base de données complémentaire sur les mines de charbon. Les auteurs estiment que la combustion totale du gaz, pétrole et charbon contenus dans ces gisements et mines, déjà à l’étude, conduirait, en cumulé, à l’émission de 936 Gt CO2, (soit l’équivalent de 25 années d’émission au rythme actuel). Ils estiment que 40% des combustibles fossiles ne doivent pas être extraits pour avoir une chance sur deux de respecter l’objectif de +1,5°C. Ils notent que près de 90% des réserves identifiées ne se trouvent que dans 20 pays, et en particulier en Chine, Russie, Arabie Saoudite, Etats-Unis, Iran, Inde, Indonésie, Australie et Canada.
- le 14 septembre 2022, un appel à l’action, sous forme de lettre ouverte, a été publié par plus de 200 organismes sanitaires dans le monde, incluant l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Il demande aux gouvernements la mise en place d’un « traité de non-prolifération » des combustibles fossiles, pouvant servir de plan légalement contraignant pour une sortie progressive de leur exploration et de leur production.).
Messages clés
D’après cette base de données, il est possible que la production mondiale de combustible fossile augmente d’ici 2030 au point de représenter plus de deux fois le niveau à ne pas dépasser pour respecter une trajectoire compatible avec l’objectif de +1,5°C. L’émission associée à l’extraction et l’utilisation de ces réserves identifiées pourrait s’élever à 3,5 milliers de milliards de tonnes de CO2e. A eux seuls, les Etats-Unis et la Russie possèdent des réserves suffisantes pour que l’objectif des +1,5°C soit dépassé. Les réserves aux Etats-Unis en particulier (surtout du charbon), ont le potentiel d’émettre 577 milliards de tonnes de CO2e. Ce chiffre s’élève à 490 millards de tonnes CO2e pour la Russie.
Méthodologie
Ce registre agrège des données provenant de sources publiques (notamment les bases de données Global Energy Monitor, Global Coal Mine Tracker et Global Oil and Gas Extraction Tracker) et privées, et convertit les quantités de combustibles fossiles en quantités de CO2e qu’elles pourraient générer sur la base d’un modèle de calcul revu par les pairs et publié librement, qui prend en compte les caractéristiques de chaque pays. Il inclut des émissions de CO2 et de méthane (CH4) liées au cycle de vie des projets d’exploitation de combustibles fossiles. La base de données couvre plus de 50 000 sites de production dans 89 pays, soit près de 75% de la production mondiale.
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