Installations de production d’électricité : le Gouvernement relève pour la deuxième fois le plafond d’émission de GES des deux dernières centrales à charbon
Par le décret n°2022-1233 du 14 septembre 2022 (JO du 15), le Gouvernement a relevé pour la deuxième fois le plafond d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles (en l’occurrence les centrales thermiques au charbon). Cette mesure concerne, d’une part, la dernière centrale à charbon encore en fonctionnement en France aujourd’hui : les deux tranches de 600 MW de Cordemais (Loire-Atlantique). Elle concerne d’autre part la dernière tranche (n°6) de 600 MW de Saint-Avold (Moselle), qui a initialement été fermée le 31 mars 2022 mais qui peut techniquement redémarrer, et dont le redémarrage temporaire est envisagé par le Gouvernement cet hiver (2022-2023), comme il l’a annoncé le 26 juin 2022, compte tenu de la crise énergétique engendrée par la guerre en Ukraine. Ces deux centrales sont soumises au système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de GES de l’UE : elles doivent restituer des quotas pour chaque tonne de CO2 qu’elles émettent.
Contexte
Dans le cadre de la sortie du charbon prévue par le Plan climat du 6 juillet 2017 (lire notre article sur ce sujet), l’article 12 de la loi énergie-climat (loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019) a établi l’obligation pour l’autorité administrative de définir un plafond d’émissions de GES applicable à compter du 1er janvier 2022 aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles situées sur le territoire métropolitain continental et émettant plus de 0,55 tonnes de CO2e/MWh. Les modalités de calcul des émissions pour l’atteinte du seuil de 0,55 t CO2e/MWh, notamment la nature des combustibles comptabilisés, ainsi que le plafond d’émissions lui-même, devaient être fixés par décret.
En application de l’article 12 précité, le décret n°2019-1467 du 26 décembre 2019 a fixé un plafond d’émissions de GES. Pour les installations situées en métropole continentale, produisant de l’électricité à partir de combustibles fossiles et émettant plus de 0,55 t CO2e/MWh d’électricité produite, le plafond annuel d’émissions de GES a été fixé à 0,7 kilotonne (soit 700 t) CO2e/MW de puissance électrique installée et ce, depuis le 1er janvier 2022. Ce seuil correspond à environ 700 heures de fonctionnement annuel pour une centrale à charbon (source : MTE, 30 décembre 2021). Le décret a également établi les modalités de calcul des émissions pour l’atteinte du seuil de 0,55 t CO2e/MWh et du plafond d’émissions. Ces dispositions réglementaires ont ensuite été codifiées dans le Code de l’Energie (cf. article D.311-7-2).
En limitant fortement leurs perspectives de rentabilité, la mise en place du décret n°2019-1467 a déjà permis la mise à l’arrêt de deux des quatre dernières centrales thermiques utilisant du charbon en France métropolitaine (Gardanne [Bouches-du-Rhône] et le Havre [Seine-Maritime]) (voir détails sur le site du MTE). Toutefois, RTE [Réseau de transport d’électricité, gestionnaire du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine] a placé sous vigilance renforcée l’hiver 2021-2022 du fait d’une faible disponibilité du parc nucléaire suite à des problèmes techniques de corrosion sous contrainte et du retard enregistré dans la mise en œuvre du programme de contrôle de maintenance en raison de la crise sanitaire du Covid-19.
Pour pallier cette situation exceptionnelle, et afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement prévue à l’article L100-1 du Code de l’Energie (alinéa 2), le décret n°2022-123 du 5 février 2022 a prévu une dérogation exceptionnelle du respect du plafond d’émissions annuel de 0,7 kt CO2e/MW de puissance électrique installée. Il a ainsi fixé de nouveaux plafonds dégressifs, rehaussant le plafond dans un premier temps pour le baisser ensuite selon le calendrier suivant :
- du 1er janvier au 28 février 2022: un nouveau plafond de 1 kt CO2e/MW de puissance électrique installée applicable pendant ces deux mois caractérisant la pointe de consommation hivernale. Cela correspond à environ 1 000 heures de fonctionnement durant cette période,
- du 1er mars au 31 décembre 2022 : ce plafond a été abaissé à 0,6 kt CO2e/MW de puissance électrique installée,
- à compter du 1er janvier 2023, le plafond revient à son niveau, fixé par le décret n°2019-1467, de 0,7 kt CO2e/MW de puissance électrique installée de puissance électrique installée.
L’article D.311-7-2 du Code de l’Energie a été modifié par les dispositions du décret n°2022-123.
Justification des nouvelles mesures
Pris pour l’application de l’article 36 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, le nouveau décret n°2022-1233 relève, une deuxième fois, le plafond d’émissions de GES des centrales à charbon afin d’assurer les objectifs de sécurité d’approvisionnement et de réduction de la dépendance aux importations fixés à l’article L. 100-1 du Code de l’Energie (alinéa 2) pendant la période d’automne-hiver 2022-2023. Il répond à un besoin exceptionnel lié à un contexte non prévisible (la crise énergétique engendrée par la guerre menée par la Russie en Ukraine) et vise à faire face à des difficultés d’approvisionnement en énergie résultant de cette guerre et susceptibles d’affecter la vie socio-économique de la France.
Dans ces conditions, souligne le MTE, faire fonctionner les centrales à charbon au-dessus du plafond actuellement en vigueur (0,6 kt CO2e/MW de puissance électrique installée) permettrait ainsi de limiter le risque sur la sécurité d’approvisionnement en électricité cet hiver.
Les nouvelles mesures établies par le décret n°2022-1233
Le nouveau plafond d’émissions dégressif (article 1er du décret n°2022-1233)
Le nouveau décret prolonge la dérogation au plafond initial (0,7 kt CO2e/MW de puissance électrique installée) applicable aux centrales à charbon qui émettent plus de 0,55 tCO2e/MWh, établie par le décret-n°2022-123 du 5 février 2022 (voir encadré ci-dessus). Ainsi, il modifie de façon temporaire et dégressive ce plafond d’émissions, dans un premier temps en le rehaussant une deuxième fois, puis en le rebaissant jusqu’à son niveau initial, selon le calendrier suivant :
- du 1er mars 2022 au 31 mars 2023: un nouveau plafond de 3,1 kt CO2e/MW de puissance électrique installée, soit une hausse d’un facteur 3 du plafond précédent de 1 kt CO2e/MW. Cela correspond à environ 3 100 heures de fonctionnement durant cette période. Ce rehaussement du plafond d’émissions conduira donc à l’émission de 2,5 kt CO2e/MW de plus que le plafond en vigueur jusque-là de 0,6 kt CO2e/MW sur la période entre le 1er octobre 2022 et le 31 mars 2023, ce qui permettrait, selon le MTE, de disposer des 1,8 GW correspondant aux centrales thermiques au charbon de Cordemais et St Avold pendant environ 2 500 h supplémentaires sur cette période qui risque d’être tendue du point de vue de l’approvisionnement en électricité (source : MTE, 30 juin 2022). Ce rehaussement correspondrait à l’émission de 4,5 Mt CO2 supplémentaires ;
- du 1er avril au 31 décembre 2023 : durant cette période, ce plafond sera abaissé à 0,6 kt CO2e/MW de puissance électrique installée (soit le même plafond que celui initialement fixé pour la période du 1er mars au 31 décembre 2022 par le décret n°2022-123 du 5 février 2022) ;
- à compter du 1er janvier 2024, le plafond reviendra de nouveau à son niveau, fixé par le décret n°2019-1467, de 0,7 kt CO2e/MW de puissance électrique installée.
L’obligation de compensation (article 2)
Afin de limiter l’impact climatique, le décret prévoit une obligation de compensation (prévue par l’article 36 de la loi 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat) portant sur les émissions de GES résultant de l’activité des deux centrales thermiques au charbon visées, au-delà des plafonds en vigueur jusque-là, soit 0,6 kt CO2e/MW de puissance électrique installée entre le 1er mars 2022 et le 31 décembre 2022 et 0,7 kt CO2e/MW entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2023. Ces projets de compensation peuvent être des projets de réduction des émissions de GES ou d’accroissement de l’absorption de CO2 situés sur le territoire français et favorisant notamment le renouvellement forestier, le boisement, l’agroforesterie, l’agro-sylvo-pastoralisme ou l’adoption de toute pratique agricole réduisant les émissions de gaz à effet de serre ou de toute pratique favorisant le stockage naturel de carbone.
Les projets financés par le fonds doivent être conformes aux dispositions de l’article R. 229-102-1 du Code de l’Environnement et ne doivent pas avoir d’impact négatif net sur la biodiversité. Les réductions d’émissions reconnues en application du décret n° 2018-1043 du 28 novembre 2018 créant un label « Bas Carbone » (lire notre brève) sont réputées satisfaire ces conditions.
Déclaration d’émissions, montants à verser, fonds de compensation et certificats de paiement (article 2)
Les exploitants des deux centrales sont tenus de transmettre au Ministre chargé de l’Energie :
- avant le 31 mai 2023, une déclaration portant sur les émissions résultant de l’activité de leurs installations entre le 1er mars 2022 et le 31 mars 2023,
- avant le 30 mars 2024, une déclaration portant sur les émissions résultant de l’activité de leurs installations entre le 1er avril 2023 et le 31 décembre 2023.
Pour remplir cette obligation de compensation, les exploitants sont tenus de verser dans un fonds visant à financer des projets de réduction ou de séquestration de gaz à effet de serre sur le territoire français :
- avant le 30 juin 2023, un montant libératoire de 40 euros/t CO2e émise et déclarée entre le 1er mars 2022 et le 31 mars 2023, en décomptant le seuil de 0,7 kt CO2e des émissions à compenser sur la période du 1er janvier 2023 au 31 mars 2023,
- avant le 31 mai 2024, un montant libératoire de 40 euros/t CO2e émise et déclarée entre le 1er avril 2023 et le 31 décembre 2023.
Les exploitants doivent transmettre au Ministre chargé de l’Energie les certificats de paiement correspondant aux montants dus au titre de la déclaration de leurs émissions de GES.
Cette obligation de compensation vient en plus des obligations de restitution de quotas au titre du marché carbone européen.
Modalités de contrôle et amendes (article 2)
Au 1er juillet 2023, si l’exploitant n’a pas justifié du respect de ses obligations de compensation des émissions produites entre le 1er mars 2022 et le 31 mars 2023, le Ministre chargé de l’Energie le met en demeure d’y satisfaire dans un délai d’un mois. Une telle justification sera aussi demandée au 1er juillet 2024.
A l’issue de ce délai, qui peut être prolongé d’un mois, le Ministre chargé de l’Energie peut :
- soit notifier à l’exploitant de l’installation qu’il a rempli son obligation de compensation,
- soit prononcer une amende relative aux émissions non compensées de 100 €/t de GES émise pour laquelle l’exploitant n’a pas satisfait à son obligation de compensation. Le paiement de l’amende ne dispense pas l’exploitant de l’obligation de compenser ses émissions.
En savoir plus
MTE, Dossier d’information « Fermeture des centrales à charbon d’ici 2022 – Enjeux et projets de territoire », janvier 2020