Analyse comparative de l’empreinte carbone en France, Allemagne, Etats-Unis et Chine
Le 20 juillet 2022, l’Insee a publié une analyse sur l’empreinte carbone de l’UE, comparant les composantes de l’empreinte carbone des différents Etats membres entre eux et avec d’autres pays du monde, en se basant sur des données issues principalement de l’OCDE et du projet Exiobase (voir encadré méthodologie en fin d’article). L’analyse se penche en particulier sur la France, l’Allemagne, l’Italie, l’UE à 27, les États-Unis, la Chine, et le monde dans son ensemble.
L’éclairage du Citepa
L’approche empreinte et l’inventaire national : quelles différences ?
On distingue deux approches pour comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) imputables à un pays. L’empreinte carbone est différente de l’approche utilisée pour élaborer les inventaires nationaux d’émission de gaz à effet de serre (GES) réalisés par le Citepa pour le MTE. Alors que l’approche inventaire se focalise sur les émissions dites territoriales (approche production : émissions ayant lieu sur le territorial national), l’empreinte carbone, elle, intègre toutes les émissions (rejetées en France et à l’étranger) induites par la consommation en France, de produits fabriqués en France et à l’étranger.
Lire notre analyse sur la comparaison entre les deux approches, leur méthodologie, leur contexte et leur complémentarité. Extrait du Rapport Secten édition 2020.
Par ailleurs, en octobre 2021, le SDES a mis à jour sa méthodologie d’estimation de l’empreinte carbone de la France. Ce recalcul implique une empreinte significativement plus faible qu’auparavant et peut donner lieu à de nouvelles interprétations sur la conduite des politiques publiques de décarbonation. Lire notre analyse.
Voir aussi, en fin de cet article, une nouvelle analyse de Jérôme Boutang, Directeur-Général du Citepa.
Emissions de GES ramenées à la population et au PIB
Ramenées par habitant, les émissions de GES des pays étudiés sont supérieures à la moyenne mondiale. L’Insee observe d’abord que contrairement aux pays développés, en Chine, les émissions de GES par habitant, d’après l’approche inventaire (8,5 tCO2e/hab en 2018), sont légèrement supérieures à celles calculées selon l’approche empreinte (8,3 tCO2e/hab en 2018). Pour les économies de l’UE ou des Etats-Unis, qui sont « importatrices nettes de GES », l’inventaire est inférieur à l’empreinte (pour 2018, dans l’UE-27, l’inventaire donne 9,2 tCO2e/hab contre une empreinte de 11,0 tCO2e/hab – soit une empreinte supérieure à l’inventaire d’environ environ 20% avec un écart de 1,8 tCO2e/hab. Cet écart est encore plus grand aux Etats-Unis (3,8 tCO2e/hab).
Comparaison des émissions de GES par habitant en 2018 de plusieurs pays, selon l’approche inventaire et empreinte
Source : Insee, OCDE, Exiobase-3 (voir encadré en fin d’article)
L’intensité en GES des productions par pays
Ramenées à la Production Intérieure Brute (PIB), en revanche, l’Insee note que les émissions de GES de l’UE sont inférieures à la moyenne mondiale. C’est particulièrement le cas pour la France, où le mix énergétique peu carboné entraîne une production brute moins émettrice de GES qu’en Allemagne. Ainsi, en 2018, produire un million d’euros de valeur ajoutée génère, en moyenne au niveau mondial, 600 tCO2e. Cette valeur d’intensité carbone varie néanmoins entre pays, allant de 155 tCO2e en France, 247 tCO2e en Allemagne, 272 tCO2e aux Etats-Unis, et jusqu’à 1 023 tCO2e en Chine. La production de l’Allemagne a l’intensité la plus élevée des trois premières économies de l’UE, suivie de l’Italie et la France.
Intensité en émissions de GES de la production, des exportations et importations et de la demande finale plusieurs pays en 2018
Source : Insee
Part des importations dans l’empreinte carbone des pays
L’Insee constate qu’un tiers (33%) de l’empreinte carbone de l’UE est dû à ses importations (dont 5% provenant de Chine et 1,8% des États-Unis), contre un quart (26%) pour les États-Unis et 14% pour la Chine. A la fois pour l’UE-27 dans son ensemble, les États-Unis et la Chine, la demande finale est satisfaite par des biens et services produits à 85% à l’intérieur de chacune de ces zones. Ainsi, la majorité des émissions de GES associées à leur demande finale est produite en leur sein.
En 2018, la part d’empreinte importée en provenance des pays situés hors de l’UE est de 33% en Allemagne, très proche de la moyenne européenne, contre 39% en France. Cette part, en ajoutant les importations en provenance des pays de l’UE, passe à 46% en Allemagne et à 52% en France. L’Insee explique que cet écart reflète d’une part les soldes commerciaux (la France important plus qu’elle n’exporte, à l’inverse de l’Allemagne) et d’autre part la différence d’intensité en GES des deux économies (la production étant sensiblement moins carbonée en France qu’en Allemagne, la part des émissions importées dans l’empreinte y est mécaniquement plus élevée). Si l’on regarde cependant les importations des GES non pas en part de l’empreinte mais en niveau absolu, les importations de GES sont plus faibles en France qu’en Allemagne (4,8 contre 6,6 tCO2e/hab).
Les évolutions des émissions de GES et de leurs déterminants entre 2000 et 2018
Entre 2000 et 2018, les émissions mondiales totales de GES ont augmenté de 49% et la population de 24%, soit une hausse des émissions par habitant de 20%. L’Insee se concentre alors sur les émissions indirectes de GES par habitant (émissions issues du processus de production, en opposition aux émissions directes des ménages [déplacements, chauffage…]), liées à l’activité économique du pays. Entre 2000 et 2018, ces émissions indirectes de GES par habitant ont augmenté de 23% dans le monde. En ramenant ces émissions indirectes au PIB, l’Insee observe que l’intensité du PIB en émissions de GES (émissions nécessaires pour produire une unité de PIB), a quant à elle diminué de 18% sur la même période. En revanche, le PIB par habitant a fortement augmenté sur cette période (+50%), expliquant la hausse globale des émissions liées à la production. Pour ce qui est des émissions directes par habitant, celles-ci ont baissé de 5% entre 2000 et 2018.
L’éclairage du Citepa
La délocalisation de certaines productions de biens et services à l’étranger depuis les pays développés, ajoutée à la croissance connexe du commerce international, ont conduit ces pays à faire réaliser une partie du cycle de vie de ces biens dans des conditions de production qui peuvent être davantage intenses en carbone que dans le pays de leur consommation. Cette double tendance est à l’origine, dès la fin des années 90, de l’intérêt pour l’empreinte nationale de consommation, en complément de l’inventaire national. L’approche de consommation permet d’étudier où, dans les phases de production (la chaîne de valeur), les émissions de GES peuvent être réduites. L’intérêt porté à l’empreinte carbone des Français ira grandissant à mesure que les émissions directes domestiques diminuent, puisque la part des émissions importées augmenterait, et aussi en lien avec les projets français de réindustrialisation. L’empreinte est ainsi un indicateur (E-C IR1) de la SNBC.
Cet indicateur doit être fiable et transparent afin de suivre des évolutions dans le temps. En octobre 2021, nous rapportions que le SDES avait mis à jour sa méthodologie d’estimation de l’empreinte carbone de la France. Ce recalcul implique une empreinte significativement plus faible qu’auparavant et peut donner lieu à de nouvelles interprétations sur la conduite des politiques publiques de décarbonation. Ces chiffres du SDES sont très proches de ceux de l’étude Insee, bien que l’OCDE s’appuie sur un modèle d’échanges des biens et services dans chaque pays d’exportation vers la France dit MRIOT, plus complet.
Les deux calculs convergent vers une empreinte française environ 30% supérieure à son inventaire. Cependant, si le formalisme mathématique des matrices de Leontief, utilisé dans les deux cas, communément adopté par les pays européens dans leur calcul statistique d’empreinte, est efficace à éviter tout double-comptage des émissions entre branches, les travaux d’expertise ingénieur doivent porter désormais sur la fiabilité, la précision et la transparence des hypothèses d’intensité carbone des différentes branches économiques. En effet, s’il est relativement robuste d’allouer des tonnes de CO2 par catégorie CRF (inventaire, aux branches économiques en Euros (réallocation que fait le Citepa en France pour le SDES, dans son rapportage au format NAMEA), il est beaucoup moins fiable de transformer des valeurs de branches économiques en euros en tonnes de CO2e (calcul de l’empreinte). Dans le cas précis du calcul Insee, une analyse de la fiabilité de la base Exiobase3 sur les intensités de carbone devrait être effectuée afin d’estimer et de diminuer les incertitudes sur le calcul final des émissions. Selon Arnold Tukker, Hector Pollitt & Maurits Henkemans (2020)*, « les bases de données GMRIO (MRIOT) avec des extensions de carbone permettent une méthode de comptabilisation évidente à utiliser ». Cependant, fait intéressant, à la fois dans la comptabilisation de la production et de la consommation, le facteur qui contribue le plus à l’incertitude (de l’empreinte) est en fait les données d’émission de ces bases de données.
Jérôme BOUTANG, Directeur-Général du Citepa
En savoir plus
- Arnold Tukker, Hector Pollitt & Maurits Henkemans (2020) Consumption based carbon accounting: sense and sensibility, Climate Policy, 20:sup1, S1-S13,
- Insee Analyses n°74, 20/07/2022
- Voir onglet méthodes et sources
Méthodologie
Cette analyse s’appuie d’une part sur les données d’un Tableau international des entrées-sorties (TIES) issu de la base ICIO de l’OCDE (édition de novembre 2021). D’autre part, l’Insee a utilisé, pour les émissions de gaz à effet de serre (GES), la base Exiobase 3 (édition 3.8 de novembre 2020), couvrant les émissions de CO2, CH4 et N2O. Ces deux bases permettent de couvrir la période 1995-2018. Les données d’émissions directes des ménages sont issues des comptes d’émissions dans l’air de l’OCDE. Les données de produits intérieurs bruts (PIB) sont exprimées en parité de pouvoir d’achat en dollars constants de 2017 et sont issues de la Banque mondiale. Les données de population proviennent de l’OCDE. L’UE correspond ici à l’UE-27.