Energies renouvelables : mesures d’urgence et projet de loi pour accélérer leur développement sur fond de crise énergétique
Face au retard, voire à l’arrêt de nombreux projets de production d’énergies renouvelables (EnR) en raison d’une hausse des coûts des matériaux de construction[1], le Gouvernement a annoncé le 28 juillet 2022 des mesures d’urgence pour accélérer le développement des EnR, notamment celles destinées à la production d’électricité (d’origine solaire et éolienne) et de biométhane. Selon le Ministère de la Transition énergétique (MTE), leurs coûts réels ne sont plus couverts par le prix d’achat de l’électricité ou du biométhane garanti par l’Etat et actuellement, 6 à 7 GW de projets solaires et 5 à 6 GW de projets éoliens pourraient être remis en question. Comme le rappelle le MTE, les filières d’EnR assurent près de 20% des besoins en électricité de la France en 2022 et ce, à partir de ressources disponibles en France (source : communiqué du MTE du 28 juillet 2022). Rappelons qu’aujourd’hui, la France est le seul Etat membre de l’UE-27 à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière d’EnR (voir encadré en fin d’article).
De son côté, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a mis en garde le Gouvernement le 22 juin 2022 contre un risque accru de déficit de capacités de production électriques pour l’hiver prochain (fin 2022 – début 2023) et ce, sur la base des derniers bilans prévisionnels de RTE (Réseau de transport d’électricité, gestionnaire du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine) (lire notre article). Ainsi, le SER a souligné dans un communiqué que le contexte actuel de fortes hausses des coûts des matières premières et de remontée des taux d’intérêt fait peser un risque important sur de très nombreux projets d’EnR. Face à cette situation inédite, le SER a appelé à l’adoption de mesures d’urgence avant l’été 2022, afin de parer à un ralentissement du développement des EnR, d’autant plus les importations de gaz russe vers l’UE (dont la France) sont au ralenti. La sécurité d’approvisionnement énergétique risque donc de ne pas être garantie cet hiver 2022.
Les mesures d’urgence annoncées
Dans ce contexte, à la demande du Président de la République et de la Première Ministre, la Ministre de la Transition énergétique, Agnes Pannier-Runacher, a précisé le 28 juillet 2022 un ensemble de mesures réglementaires pour répondre à l’urgence de la situation :
- autoriser les projets d’EnR destinée à la production d’électricité sous le régime des compléments de rémunération à vendre leur électricité aux prix du marché pendant 18 mois avant la prise d’effet de leurs contrats conclus dans le cadre d’appels d’offres, ce qui vise à compenser les surcoûts engendrés,
- prendre en compte la hausse des coûts des matériaux de construction pour tous les futurs projets de production d’EnR électrique comme de production de biométhane,
- geler la baisse des tarifs initialement prévue pour les projets photovoltaïques sur bâtiment pour l’année 2022,
- permettre à l’ensemble des projets d’EnR déjà lauréats d’appels d’offres d’augmenter leur puissance jusqu’à +40% avant leur achèvement,
- allonger le délai de mise en service pour les installations de production de biométhane ayant obtenu leur autorisation environnementale pour leur permettre de faire face aux difficultés liées à la crise sanitaire et aux problèmes d’approvisionnement.
Ces mesures s’inscrivent dans la suite du discours du Président de la République à Belfort le 10 février 2022 sur les grandes orientations de la future politique énergétique de la France (lire notre article). Concrètement, elles visent à débloquer certains projets ou à en accélérer d’autres avant la période hivernale qui risque d’engendrer des tensions sur l’approvisionnement énergétique en raison de la crise énergétique internationale provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine. Elles ont vocation à terme à renforcer la sécurité d’approvisionnement de la France.
En parallèle, la Ministre de la Transition énergétique a indiqué qu’elle allait lancer un nouvel appel d’offres photovoltaïque en Outre-Mer, en Corse, et dans les Îles du Ponant[2] (zones non interconnectées). Elle a également précisé qu’elle mettrait en œuvre un nouveau guichet tarifaire pour les installations photovoltaïques au sol de moins de 1 MW, situées sur terrains dégradés, urbanisés ou à urbaniser.
Note sur les modalités de traitement des projets éoliens par l’aviation civile
Le Directeur général de l’aviation civile (DGAC), au sein du Ministère de la Transition écologique (MTE), a adressé une note en date du 13 juillet 2022 au directeur de la sécurité de l’aviation civile, au directeur du service national d’ingénierie aéroportuaire et au directeur des services de la navigation aérienne. Cette note établit les modalités de traitement des dossiers de projets éoliens par les services de l’aviation civile et vise à permettre à ces derniers d’organiser efficacement le travail d’analyse afin d’évaluer correctement le risque en matière de sécurité pour la navigation aérienne, tout en permettant le développement de l’éolien. Les dispositions de la note s’appliquent aux projets d’implantation d’éoliennes devant faire l’objet d’une analyse par les services de l’aviation civile afin de s’assurer qu’elles ne risquent pas de porter atteinte à la sécurité de la navigation aérienne. Cette analyse doit notamment prendre en compte les dispositifs de circulation aérienne existants ou futurs connus, l’accessibilité des aérodromes, les surfaces de dégagements, les plans de servitudes radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques, , etc.
En particulier, afin d’améliorer l’efficacité du traitement des projets éoliens visés, cette note instaure des guichets uniques pour le traitement des dossiers obstacles par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) au niveau des différents territoires. Ces guichets uniques sont, dans leur zone de compétence, les interlocuteurs au sein de la DGAC pour toute demande d’un tiers concernant un projet éolien visé. En fonction de la localisation et des caractéristiques du projet éolien sur lequel il est sollicité, le guichet unique doit organiser la consultation des services de la DGAC compétents et des entités extérieures concernées pour obtenir les avis techniques nécessaires au traitement de la demande. Le guichet unique doit se fonder sur ces avis pour élaborer la réponse finale de la DGAC faite au requérant. La liste des guichets uniques pour chaque zone géographique de compétence et les modalités pratiques permettant de les contacter doivent être tenues à jour par la Direction du transport aérien et sont accessibles sur le site du Ministère chargé de l’Aviation civile.
Vers une nouvelle loi pour accélérer le déploiement des EnR
Ces mesures d’urgence sont complémentaires de la future loi « relative à l’accélération des énergies renouvelables », en cours d’élaboration. Ce texte vise surtout à simplifier les procédures afin de réduire les délais de réalisation des projets d’EnR. Le texte de l’avant-projet de loi a été transmis au Conseil d’Etat le 8 août 2022, puis au Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) le 15 août 2022. Pour l’instant, le texte de l’avant-projet de loi n’est pas disponible publiquement.
Mi-août 2022, le Gouvernement a ouvert une phase de consultations sur l’avant-projet de loi.
Selon Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, cet avant-projet de loi comporte des mesures de simplification du droit qui sont, dans leur ensemble, utiles et souvent attendues des professionnels. De manière générale, ce texte comporte plusieurs dispositions importantes comme son article 18 qui engage le chantier de création d’un cadre juridique relatif aux « PPA » (contrats de vente d’électricité – voir ci-après).
Les dispositions clés de ce texte, qui seront sans doute aussi les plus discutées sont les suivantes :
- article 1: périmètre et caractère temporaire des mesures d’urgence pour accélérer les projets d’EnR et les projets industriels nécessaires à la transition énergétique. Publication d’un décret en Conseil d’Etat pour préciser la liste des activités et opérations concernées par l’application des articles 2 et 3 (voir ci-après),
- article 2: adaptation de la procédure d’autorisation environnementale en prévoyant que les formalités de préparation de la participation du public aient lieu en parallèle de la production de l’avis de l’autorité environnementale (48 mois),
- article 3 : modification des critères et seuils de soumission des projets à étude d’impact et anticipation des demandes d’annulation de ces décrets fondées sur une violation du principe de non régression (48 mois),
- article 6: définition des « conditions techniques » de la « raison impérative d’intérêt public majeur » des projets de production d’EnR,
- article 8: habilitation permettant de simplifier les procédures de raccordement. Il convient cependant d’attendre le texte du projet d’ordonnance – qui sera peut-être présenté au cours des débats parlementaires sur le projet de loi, pour avoir connaissance des mesures de simplification envisagées pour les procédures de raccordement,
- article 9: permettre l’installation de panneaux voltaïques sur les délaissés routiers et autoroutiers et adapter les procédures de mise en concurrence sur le domaine public de l’Etat,
- article 12: obligation d’installation d’ombrières photovoltaïques sur parcs de stationnement extérieurs,
- article 13: possibilité de mutualiser les débats publics pour l’éolien en mer et le document stratégique de façade,
- article 14: statut et régime de l’installation flottante (éolien en mer),
- article 18 : « Power Purchase Agreement » (PPA ou« Contrat d’achat d’électricité ») et primes dans les arrêtés tarifaires,
- article 19: instituer un régime de « partage de la valeur des parcs éoliens » avec les riverains,
- article 20: étendre aux gaz bas-carbone les contrats d’expérimentation biogaz.
A noter que l’avant-projet de loi, dans sa rédaction actuelle, est appelé à évoluer sur la base des consultations en cours avant d’être présenté comme projet de loi en Conseil des Ministres.
Selon Arnaud Gossement, si cet avant-projet de loi témoigne d’une volonté politique d’accélérer prioritairement le solaire photovoltaïque et l’éolien en mer, il comporte, pour l’essentiel des mesures de simplification « par petites touches » : pour certains projets et certaines procédures. Il ne comporte pas de véritable mesure de simplification d’ensemble du droit de l’environnement et de l’énergie.
Prochaines étapes
L’objectif du Gouvernement est de présenter le projet de loi mi-septembre 2022 en Conseil des Ministres en vue d’un débat au Parlement à partir d’octobre 2022.
En savoir plus
Communiqué du MTE du 28 juillet 2022 sur les mesures d’urgence
Note du 23 juillet 2022 du Directeur de l’aviation civile sur les modalités de traitement des projets éoliens par l’aviation civile
Analyse détaillée de l’avant-projet de loi relative à l’accélération des EnR par Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement (analyse article par article), publiée le 15 août 2022
Voir le résumé du projet de loi présenté en Conseil des Ministres le 26 septembre 2022
Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables
Communiqué du MTE du 23 septembre 2022 « Accélération des énergies renouvelables : le Gouvernement prend deux mesures réglementaires pour accroître la capacité de production de biométhane en France ».
Objectifs en matière d’EnR au niveau de l’UE et de chaque Etat membre
Objectifs à atteindre en 2020
L’UE s’est fixé l’objectif global contraignant d’une part de 20% d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie dans l’UE pour 2020 (dans le cadre du paquet climat-énergie 2020 (les 3 x 20) adopté en 2007 mis en œuvre par la directive 2009/28/CE)
La directive 2009/28/CE a également fixé des objectifs nationaux contraignants pour chacun des 28 Etats membres (23% pour la France, cf. annexe I), avec une part d’au moins 10% à atteindre pour le seul secteur des transports, cf. article 3).
Les dernières statistiques d’Eurostat font référence à l’atteinte de des objectifs 2020.
Objectifs à atteindre en 2030
L’UE s’est par ailleurs fixé l’objectif global contraignant d’une part d’au moins 32% pour 2030 (mis en œuvre par la directive (UE) 2018/2001 – lire notre article sur le sujet).
Contrairement à la période précédente, la directive (UE) 2018/2001 n’a pas fixé d’objectifs nationaux contraignants pour la période 2021-2030 mais elle a fixé un objectif sectoriel (cf. article 25) : dans chaque Etat membre :
- au moins 14% de la consommation d’énergie finale doit provenir de sources renouvelables dans tous les modes de transport en 2030 ;
- au sein de cette part d’au moins 14%, les biocarburants avancés, soit de 2e et de 3e génération, produits à partir de matières premières énumérées à l’annexe IX, partie A (algues, paille,…), doivent représenter au moins 0,2% en 2022, 1% en 2025 pour atteindre au moins 3,5% d’ici 2030.
Où en est l’UE et la France dans la réalisation de leurs objectifs ?
Selon les dernières statistiques sur les EnR publiées par Eurostat (l’Office des statistiques de l’UE) 19 janvier 2022 (lire notre article), en 2020, au niveau de l’ensemble de l’UE (27 Etats membres), la part d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie a atteint 22% en 2020, soit deux points de pourcentage au-dessus de son objectif 2020 contraignant (20%).
Quant aux objectifs nationaux 2020 (contraignants) de chaque Etat membre :
- 23 Etats membres ont dépassé leurs objectifs,
- 3 Etats membres ont atteint exactement leur objectif (Belgique, Pays-Bas, Slovénie),
- un Etat membre n’a pas atteint son objectif : la France (part de 19,1% au lieu de 23% : -3,9 points de pourcentage).
Si la France a quasiment doublé la part d’EnR depuis 2005 dans la consommation d’énergie finale, elle reste donc loin, en 2020, de son objectif. Malgré cette progression, la part des EnR reste en dessous de la trajectoire fixée par le plan national d’action en faveur des énergies renouvelables 2009-2020 (adopté en application de l’article 4 de la directive 2009/28/CE et remis à la Commission en 2010) qui avait pour but d’atteindre l’objectif 2020 de 23%. En 2019 déjà, le Service des données et études statistiques (SDES) du MTE indiquait que « les plus gros écarts aux cibles 2020 concernent la filière biomasse solide (incluant les déchets urbains renouvelables) et l’éolien offshore ».
[1] Prix de l’acier : +45% entre avril 2021 et avril 2022, prix du béton et des cellules photovoltaïques : +40% en un an (source : Usine Nouvelle, « Comment sauver les nouveaux projets français de renouvelables et accélérer les suivants », 29 juillet 2022).
[2] Parmi les 15 îles du Ponant, 12 sont bretonnes : Batz, Ouessant, Molène, Sein, l’archipel des Glénan, Groix, Belle-Île-en-mer, Houat, Hoëdic, l’île aux Moines et l’île d’Arz. Les 3 autres îles sont : l’archipel de Chausey, l’île d’Yeu et l’île d’Aix.