La crédibilité des engagements de neutralité carbone des entreprises mise en cause
Le 7 février 2022, New Climate Institute (membre par ailleurs du consortium Climate Action Tracker (CAT)) a publié l’édition 2022 de son rapport sur la responsabilité climatique des entreprises (Corporate Climate Responsability Monitor). Dans ce rapport, l’institut évalue la crédibilité et la transparence de la stratégie climat de 25 grandes entreprises de dimension mondiale (dont les émissions de gaz à effet de serre qu’elles s’attribuent représentent environ 5% des émissions mondiales de GES), en prenant en compte la manière dont les émissions sont suivies et présentées ; les objectifs de réduction fixés, les déclarations en de contribution climat et de compensation.
Les objectifs de neutralité carbone en question
Alors que la question de la neutralité carbone (nécessaire à atteindre au niveau mondial au cours de la seconde moitié du 21e siècle dans le cadre de la CCNUCC et de l’Accord de Paris) et des objectifs « zéro émission nette » est de plus en plus débattue au niveau international (lire notre dernier article sur le sujet), la question est aussi discutée au niveau national.
Deux guides, parus en 2020, présentent des éclairages et visent à construire des référentiels crédibles en ce sens, l’un produit dans le cadre de l’initiative Science Based Targets, apportant des bases conceptuelles pour comprendre les enjeux scientifiques et pour traduire l’objectif de neutralité en actions concrètes et transparentes pour une entreprise ; le second produit dans le cadre du projet Net Zero Initiative, proposant un référentiel distinguant clairement : la réduction de ses émissions sur l’ensemble de son périmètre, direct et indirect ; la contribution à réduire des émissions hors de son périmètre ; et la contribution à développer des puits de carbone. Lire notre article sur ces deux rapports.
Le 1er avril 2021, l’Ademe a publié à son tour un avis sur la neutralité carbone, en précisant que cette expression doit bien être entendue dans son sens courant comme couvrant toutes les émissions de GES et non uniquement le CO2. L’Ademe y indique notamment que ni un Etat, ni une entreprise ne devrait se déclarer « neutre en carbone », mais devrait contribuer à l’objectif de neutralité mondiale (lire notre article).
Un rapport du centre de réflexion britannique, Energy and Climate intelligence Unit (ECIU), de mars 2021 avait aussi analysé les annonces climat d’Etats et d’entreprises, et avait conclu à une grande hétérogénéité quant à la qualité et la fiabilité de ces promesses.
Le 13 octobre 2021, le cabinet BCG Gamma avait estimé que, dans le monde, bien qu’une entreprise cotée sur cinq ait affichée un engagement vers la neutralité carbone, seules 9% d’entre elles quantifiées précisément et correctement leurs émissions.
L’édition 2022 du rapport conclut notamment que :
- En moyenne, malgré l’utilisation du terme « zéro émission nette », la réduction d’émission promise n’est que de 40% – seules 3 entreprises (Maersk, Vodafone et Deutsche Telekom) affichent un objectif de décarbonation profonde de plus de 90% de leurs émissions ;
- Alors que la promesse affichée de neutralité carbone des 25 entreprises considérées laisse entendre une neutralisation de leurs émissions (2,7 Gt CO2e en 2019, incluant scope 1 à 3), les réductions d’émissions effectivement et clairement annoncées ne concernent que 0,5 Gt CO2e, les compensations concernent 0,1 Gt CO2e ; 1,3 Gt CO2e sont exclues de leur périmètre d’action climat et 0,7 Gt CO2e sont associées à des promesses floues ou à aucun engagement.
- Les objectifs de réduction d’émissions à horizon 2030 ne sont pas alignées avec les trajectoires compatibles avec les objectifs +2°C et +1,5°C ;
- Des initiatives visant à fixer des normes dans le domaine, comme l’initiative « Science-Based Targets» (SBTi), donnent parfois de la crédibilité à des objectifs insuffisants, trompeurs ou non fiables, notamment en raison de failles sur l’année de référence utilisée ou sur le recours à la compensation (dont la réalisation effective et la permanence des tonnes de CO2 compensées n’est pas démontrée) qui sapent la robustesse des promesses ;
- Les promesses de réductions d’émissions ne démontrent pas d’un sentiment d’urgence à agir ;
- L’intégrité environnementale et la robustesse des certifications liées à l’achat d’électricité produite par des sources renouvelables reste faible ;
- La plupart des entreprises recourent massivement à la compensation de leurs émissions, notamment via des solutions basées sur la nature. Or, cette approche ne peut être utilisée à échelle individuelle par les entreprises car elle entraîne une continuation d’émissions (celles-ci étant supposées être compensées à l’avenir) incompatible avec le besoin d’une réduction massive des émissions au niveau mondial ; car la capacité totale de captage supplémentaire de carbone dans les écosystèmes est limitée ; et que les tonnes de carbone captées peuvent être de nouveau réémises (ex : incendies de forêt, mortalité des arbres…). Des crédits carbone de compensation utilisés par les entreprises étudiées s’avèrent par ailleurs être de mauvaise qualité ;
- Il manque des exemples de bonnes pratiques sur des approches de « contribution climat » à répliquer ;
- Le rôle des entreprises dans la mise en place de solutions de décarbonation est central, leurs efforts doivent être encouragés mais la crédibilité de leurs promesses doit être scrutée, et les entreprises doivent en être tenues responsables. A ce titre, le rapport souligne le rôle de la réglementation et des consommateurs.
Le classement de l’intégrité des promesses de neutralité carbone
des 25 entreprises étudiées par le New Climate Institute
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