Transition(s) 2050 : que retenir de l’étude de l’Ademe sur les moyens d’atteindre la neutralité carbone en France ?
Le 30 novembre 2021, l’Ademe a dévoilé les premiers résultats de son étude prospective intitulée « Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat », fruit de plus de deux ans de travail de l’Ademe et de plusieurs partenaires. En proposant quatre scenarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050, avec des options différentes sur les plans technique, économique, sociétal et territorial, ce travail de l’Ademe contribue aux réflexions sur la mise à jour des objectifs nationaux de la future SNBC-3, au même titre que l’étude prospective de RTE sur le mix électrique (lire notre article) ou les travaux d’associations comme Negawatt (et son scénario 2022) ou encore le Shift Project (et son Plan de Transformation de l’Economie Française). L’Ademe souligne que ce travail ne se limite pas qu’aux questions énergétiques et met en avant des points de débats structurants pour le débat public : la sobriété, les puits de carbone, l’alimentation, les bâtiments et le modèle industriel.
Approche méthodologique
L’Ademe a travaillé pendant deux ans en se basant notamment sur le rapport du Giec spécial 1,5°C de 2018 (lire notre dossier de fond) pour les grands scénarios de hausse de la température mondiale (RCP 4.5 pour les scenarios S1 à S4 et RCP 8.5 pour le tendanciel) ; et sur les objectifs nationaux de réduction des émissions de GES de la loi énergie-climat (lire notre article) et de la SNBC-2 (lire notre article). L’Ademe a ainsi défini quatre grands scénarios (S1 à S4) d’évolution des émissions, de la société et de l’économie française d’ici 2050 ; comparativement à un scénario tendanciel. Ces quatre scénarios présentent quatre « récits » possibles pour réduire fortement les émissions (d’un facteur 6 ou 7 par rapport à 2015 dans les trois premiers scénarios, et d’un facteur quatre par rapport à 2015 dans le scénario S4). La consommation d’énergie diminue dans tous les scénarios, plus ou moins fortement (de -25% à -55%). La part d’énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique augmente dans tous les scénarios (pour atteindre, en 2050, 70% à 88% selon les scénarios), se traduisant notamment par une hausse de la production de bois énergie (+30% à +40% par rapport à 2015) et une hausse du gaz décarboné (+80%).
Seuls les scénarios S1 et S2 sont compatibles avec l’atteinte, par la France, du nouvel objectif de réduction des émissions de GES fixé au niveau de l’UE d’au moins -55% d’ici 2030, base 1990 (lire notre article).
A ce stade, ce travail de prospective ne couvre que la France métropolitaine.
Quatre scénarios d’évolution des émissions, quatre choix de société différents
- S1: le scénario 1 « génération frugale » envisage une forte sobriété dans les comportements, avec une rénovation massive des bâtiments (80% du parc en bâtiments basse consommation), une réduction forte de la mobilité (-70% de la consommation énergétique dans les transports, la moitié des trajets étant effectués à pied ou à vélo), et une réduction de l’alimentation carnée (division par 3). Au total, la réduction de la consommation d’énergie finale entre 2015 et 2050 est de -55% (soit 790 (TWh/an) contre près de 1 600 TWh/an en 2015). La France serait un puits net en 2050, avec un bilan de -42 Mt CO2e (objectif zéro émission nette atteint). Pour ce scénario, l’Ademe souligne qu’« il faut trouver un consensus social et modifier les imaginaires ».
- S2: le scénario 2 « coopérations territoriales » se base sur la notion de soutenabilité : division par 2 et non par 3 de la consommation de viande ; rénovation des bâtiments moins massives mais fondée sur des actions individuelles ; priorité aux villes moyennes et aux transports en commun ; priorité aux circuits courts, ce qui entraîne une baisse des émissions de GES liées aux transports de marchandises ; réindustrialisation dans les territoires ; recyclage à 80% des matières premières (acier, aluminium, plastique, carton, etc.), mobilisation raisonnée des ressources forestières, équipement d’industries fortement émettrice (par exemple : cimenteries) en dispositif de captage de CO2. La consommation d’énergie finale atteindrait 833 TWh/an. La France serait un puits net en 2050, avec un bilan de -28 Mt CO2e (objectif zéro émission nette atteint).
- S3 : dans le scénario 3, « technologies vertes», la réduction d’émissions de GES est permise non plus par la sobriété des comportements mais par l’efficacité ; la notion de croissance verte et les solutions technologiques : plan de grande échelle de déconstruction et reconstruction de logements ; forte consommation de biomasse ; cultures de biocarburants et méthanisation ; mise en œuvre de technologies de captage et stockage du carbone généralisée dans l’industrie ; usage de l’hydrogène décarboné ; électrification du parc automobile ; numérisation des usages. La consommation d’énergie finale atteindrait 1074 TWh/an. La France serait un faible puits net en 2050, avec un bilan de -9 Mt CO2e (objectif zéro émission nette atteint).
- S4 : dans le scénario S4, « pari réparateur», le plus proche d’un scénario tendanciel, le mode de consommation de masse actuel est maintenu, ainsi que l’artificialisation, avec une priorité donnée à la réparation des impacts écologiques, aux technologies de captage du carbone et notamment la BECCS (bioénergie avec captage et stockage du carbone) et le DACCS (captage du carbone directement dans l’atmosphère), à la domotique plutôt que la rénovation ; à l’optimisation numérique du parc automobile et au recyclage des matériaux dans l’industrie. La France n’atteindrait pas l’objectif de zéro émission nette en 2050 (mais cinq ans plus tard), avec un bilan émetteur en 2050 de 130 Mt CO2 L’Ademe nomme ce scénario « pari » car le déploiement de telles technologies à grande échelle n’est pas encore une réalité : leur déploiement n’intervient, dans le scénario, qu’en 2040.
Comparatif des quatre scénarios par rapport à la situation de référence
Le résumé exécutif propose plusieurs graphiques permettant de visualiser les grandes différences et les points communs des scénarios sur plusieurs aspects clés.
Consommation d’énergie et part des EnR
dans la consommation finale brute d’énergie
en 2015 et en 2050 (S1 à S4)
*valeurs dépendant des choix de politiques industrielles
de développement de l’éolien flottant ou du nucléaire
Emissions et absorptions de GES selon les scénarios
en 2050 et comparaison à 2015
Enseignements
L’Ademe tire neuf grands enseignements de cet exercice de prospective :
- Si les quatre scénarios permettent d’atteindre la neutralité carbone à terme, ils sont tous difficiles à atteindre et nécessite une planification associant État, territoires, acteurs économiques et citoyens ;
- Atteindre la neutralité repose sur des paris forts, sur les comportements et sur la technologie ;
- Dans tous les scénarios, il faut agir rapidement au vu de l’ampleur des transformations nécessaires ;
- La réduction de la demande en énergie, elle-même liée à la demande de biens et de services, est le facteur clé pour atteindre la neutralité carbone ;
- L’industrie doit se transformer pour décarboner sa production et s’adapter à une demande en mutation ;
- Le vivant est l’un des atouts principaux de cette transition, via les puits de carbone naturels, l’usage énergétique et matériau de la biomasse, et l’équilibre avec l’usage alimentaire ;
- L’adaptation des forêts et de l’agriculture aux changements climatiques est donc prioritaire ;
- La pression sur les ressources naturelles (eau d’irrigation, matériaux de construction) varie considérablement d’un scénario à l’autre ;
- Dans tous les scénarios, en 2050 l’approvisionnement énergétique repose à plus de 70% sur les énergies renouvelables et l’électricité est le principal vecteur énergétique.
Evaluation complémentaire des impacts : mix électrique et matériaux
A partir de cette première publication sur les grands scénarios de la transition, l’Ademe a commencé, le 24 février 2022, à publier des rapports additionnels (« feuilletons »). Les prochains seront publiés jusqu’à l’été 2022.
Le premier feuilleton concerne le mix électrique, qui conforte et enrichit les analyses présentées par RTE fin 2021 et début 2022 (lire notre article), tout en s’appuyant sur des hypothèses différentes. L’analyse de l’Ademe intègre l’impact des niveaux de demande d’électricité assez variés d’un scénario à l’autre ; l’impact des mix de production possibles pour faire face à ces niveaux de demande ; une évaluation économique du coût des différentes trajectoires. Elle permet notamment de préciser que dans le scénario S3 (où la demande en électricité est comparable à celle de la SNBC utilisée par RTE dans son scénario central), le recours au nucléaire ou à l’éolien en mer permet de limiter la pression sur les sols et les paysages – l’option nucléaire étant légèrement moins coûteuse. L’analyse complémentaire permet aussi d’indiquer que le niveau de demande d’électricité en 2050 influe peu sur le coût complet de production de l’électricité en €/MWh, qui reste relativement proche des coûts 2020.
Le deuxième feuilleton concerne matériaux et métaux nécessaires à la transition. Il s’agit d’une analyse spécifique des besoins en métaux et matériaux pour les technologies de la transition (véhicules, EnR, nucléaire) qui pourraient présenter des enjeux de disponibilité. Ainsi, sans prendre en compte les capacités du recyclage, cela pourrait être le cas pour l’aluminium, le cuivre, le lithium, le cobalt, et le graphite consommés en particulier pour les véhicules et leurs batteries ; mais aussi les éoliennes en mer, et dans une moindre mesure par le photovoltaïque, ou encore le nucléaire.
Prochaines étapes
De nouvelles publications complémentaires sont attendues en 2022, la prochaine traitera des aspects macro-économiques des scénarios.
En savoir plus
Vidéo de la présentation officielle
Communiqué sur les deux premiers feuilletons complémentaires
Feuilleton sur le mix électrique