La Commission européenne promeut les solutions de captage et stockage du carbone dans l’agriculture et l’industrie
Le 15 décembre 2021, la Commission européenne a adopté une communication (réf. COM(2021) 800 final) sur les cycles du carbone durables visant à accroître les absorptions de carbone dans le cadre de sa stratégie d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La Commission cible en particulier la montée en puissance du stockage du carbone dans les sols agricoles (carbon farming) et le captage et recyclage industriel du carbone, de manière vérifiable.
Carbon farming : vers une rémunération du stockage de carbone par les agriculteurs ?
La Commission avait lancé, le 9 septembre 2021, une consultation sur une feuille de route posant les jalons d’une future stratégie européenne en matière de développement des puits de CO2 ; qui proposait déjà la mise en place d’une initiative dite de « carbon farming» pour promouvoir un nouveau modèle économique basé sur la rémunération de l’absorption et le stockage du CO2 des acteurs du monde agricole et forestier, avec divers options de financement possible pour un tel mécanisme.
La nouvelle communication du 15 décembre 2021 confirme cette ambition et affiche l’objectif de parvenir, en 2030, à ce que les initiatives associées à ce nouveau mécanisme contribuent au puits de carbone de l’UE à hauteur de 42 Mt CO2 – soit près de 14% du puits total proposé à cette échéance par la Commission, 310 Mt CO2e, dans le cadre de la révision du règlement sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie (UTCATF) présenté dans le paquet « fit for 55 » (lire notre brève).
La communication vise ainsi à définir des règles permettant d’assurer que les absorptions estimées par ces projets sont crédibles, vérifiables, n’ont pas d’effet indésirable, et ont un impact positif sur l’emploi. Pour cela, elle propose les mesures suivantes :
- promouvoir les pratiques de stockage de carbone dans les sols via la Politique Agricole Commune (PAC) et via le volet « Soil Deal for Europe” des financements européens de programmes de recherche LIFE et Horizon Europe ;
- standardiser le cadre de suivi, rapportage et vérification (MRV) pour le stockage de carbone dans les sols agricoles, de manière à produire une information crédible et vérifiable, compatible avec le développement de marchés volontaires du carbone
Un système MRV pour le stockage agricole existe déjà en France : le label bas carbone
En France, le label bas carbone constitue déjà un cadre MRV des émissions et absorptions de GES, permettant la valorisation de réductions d’émissions additionnelles, réalisées volontairement par des personnes physiques ou morales dans des secteurs d’activité variés. Le label répond notamment à la demande de compensation locale volontaire d’émissions de GES. Les projets concernent principalement les secteur forestier et le secteur agricole (notamment les projets utilisant la méthode « Carbon Agri » pour la mise en place de bonnes pratiques agricoles pour la limitation des émissions azotées et énergétiques, la hausse du stockage de carbone dans les sols et le maintien de la biodiversité).Trois ans après sa création, le 29 novembre 2021, la Ministre de la Transition écologique a dressé un état des lieux du label : lire notre article.
- apporter de meilleures connaissances et données adaptées aux agriculteurs et gestionnaires du territoire, à la fois pour le carbone terrestre et marin (blue carbon ou carbone bleu – lire notre brève) ;
- développer les initiatives pour le carbone bleu via des solutions basées sur la nature comme les zones humides côtières, l’aquaculture de regénération…
Captage et usage du carbone dans l’industrie
En complément à ce volet agricole, la communication de la Commission met en avant l’objectif de développer des solutions industrielles pour le captage, stockage mais aussi le recyclage du carbone, utilisé par exemple pour la production de carburants de synthèse, plastiques, gommes, produits chimiques… La Commission annonce ainsi qu’elle va entamer un dialogue avec les parties prenantes des secteurs concernés pour viser l’objectif qu’au moins 20% du carbone utilisé dans les produits chimiques et plastiques proviennent de source non fossile d’ici 2030, en cohérence avec les objectifs de l’UE en termes de biodiversité et d’économie circulaire, et en lien avec le futur cadre politique sur les plastiques végétaux, biodégradables et compostables.
Afin de développer ces nouvelles activités, la Commission compte aider à mettre en place un marché interne de captage, utilisation et stockage du carbone, et aider à créer les infrastructures nécessaires, à l’échelle européenne, de transport du CO2. L’instrument principal pour financer ces ambitions, à court terme, est le Fonds pour l’Innovation financé par le Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’UE (SEQE ou EU-ETS).
La Commission annonce l’objectif d’atteindre, d’ici 2030, au captage et stockage technologique de 5 Mt CO2 (le potentiel visé est ainsi bien moindre que celui annoncé pour le stockage dans les sols agricoles, 42 Mt CO2 à la même échéance).
La directive 2009/31/CE sur le captage et stockage du CO2
Dans le cadre du paquet climat-énergie renouvelables de 2009 de l’UE, la directive 2009/31/CE(1) a établi un cadre juridique pour le stockage du CO2. Elle visait à garantir que le captage et le stockage du CO2 (CSC) constitue une option disponible de réduction des émissions de CO2 et que le CSC est mis en œuvre de façon sûre et responsable. La directive fixait notamment les conditions d’autorisation des permis d’exploration, les conditions à remplir pour obtenir un permis de stockage, le contenu des permis de stockage, les modalités d’examen des demandes de permis de stockage, de surveillance, de communication d’informations par l’exploitant des sites de stockage, d’inspection des sites de stockage, ainsi que les mesures correctives en cas de fuite ou d’irrégularité notable et les obligations liées à la fermeture et à la post-fermeture des sites de stockage.
Prochaines étapes
Le 17 janvier 2022, lors d’une session du Conseil « Agriculture et pêche », la Commission a présenté aux Ministres de l’Agriculture des États membres cette communication – et la France a annoncé que ce sujet serait prioritaire lors de sa présidence du Conseil. Les Ministres ont accueilli favorablement l’ambition de rehausser les puits de carbone, mais ont aussi insisté sur la nécessité de garantir la sécurité alimentaire, d’éviter toute contradiction avec d’autres politiques de l’UE (telles que la PAC), et de tenir compte des spécificités de chaque État membre, et de s’assurer que le carbon farming n’interfère pas avec les politiques forestières des pays. La Commission a décidé de mettre en place un groupe d’experts, en particulier pour assurer la qualité de crédits carbone générés par un tel système.
La Commission proposera, d’ici fin 2022, un cadre réglementaire pour la certification des absorptions de carbone basée sur des règles comptables robustes et transparentes, des spécifications pour leur suivi et vérification de manière à garantir leur haute qualité environnementale. Un appel aux connaissances scientifiques (Call for Evidence) sera aussi lancé en janvier 2022, ainsi qu’une conférence dédiée le 31 janvier 2022.
(1)Voir SD’Air n°172 p.97.
En savoir plus
Communication sur les cycles durables du carbone (en français)
Note d’information (factsheet) sur les cycles durables du carbone (en anglais)
Questions-réponses sur les cycles durables du carbone (en français)
Document de travail sur les cycles durables du carbone
Document de travail sur le carbon farming
Note d’analyse du Parlement européen : Carbon farming | Making agriculture fit for 2030