Net zéro : l’AIE propose une feuille de route mondiale pour la décarbonisation du secteur de l’énergie
Alors que les promesses d’objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 se sont multipliées ces derniers mois, l’AIE propose une trajectoire globale concrète de décarbonation compatible avec cette ambition.
Le 18 mai 2021, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE, IEA en anglais) a publié un rapport intitulé « Net Zero by 2050 : a roadmap for the global energy sector ». Cette feuille de route a été réalisée suite à la demande de la Présidence britannique de la COP-26.
L’AIE part du constat qu’il y a un consensus politique croissant sur la nécessité de parvenir à la neutralité carbone et que les pays qui se sont fixé un tel objectif ont été de plus en plus nombreux ces dernières années et couvrent désormais 70% des émissions mondiales de CO2. Cependant, les changements requis sont mal compris et la plupart des objectifs ne sont pas encore concrétisés par des politiques et mesures de court-terme. Par ailleurs, même s’ils étaient respectés, ces engagements mèneraient à un réchauffement de +2,1°C d’ici 2100 (voir notre article sur l’analyse de CAT).
Dès lors, l’AIE propose dans ce rapport une trajectoire concrète pour atteindre cet objectif de neutralité 2050 au niveau mondial, en définissant les conditions nécessaires à mettre en œuvre pour le secteur de l’énergie. Cette trajectoire a été calculée en prenant au compte des critères de faisabilité technique, de coût-efficacité, d’acceptabilité sociale, de croissance économique et de sécurisation des sources d’énergie ; et en limitant le recours à la compensation et aux puits de carbone artificiels. Cette trajectoire, « étroite mais atteignable », nécessite que les gouvernements nationaux revoient significativement à la hausse leur ambition et la mettent en œuvre. Trois points d’incertitude sont mis en avant : la bioénergie, le captage du carbone et les changements comportementaux.
Un déploiement des technologies propres sans précédent
Le scénario de neutralité 2050 de l’AIE requiert un déploiement immédiat et massif de toutes les solutions de technologies propres et d’efficacité énergétique déjà existantes de façon à ce que le monde consomme 7% d’énergie en moins en 2030 par rapport à aujourd’hui malgré une forte croissance, soit une amélioration moyenne de l’intensité énergétique de 4% par an. Les émissions de méthane du secteur énergétique dans ce scenario sont réduites de 75% dans les 10 prochaines années.
L’efficacité énergétique est aussi un enjeu crucial : dans le scénario de neutralité 2050, alors que l’économie projetée aurait plus que doublé et la population en hausse (2 milliards d’habitants en plus), la demande globale en énergie serait 8% plus faible qu’actuellement.
La multiplication des énergies renouvelables, préalable à l’électrification
Dans ce scénario, la décennie 2020-2030 est marquée par expansion sans précédent des énergies renouvelables : +630 GW de solaire photovoltaïque supplémentaire en 2030 et +960 GW pour l’éolien (quatre fois plus que le niveau de 2020, déjà record), en s’appuyant toujours sur les centrales hydroélectriques et nucléaires, qui constituent pour l’AIE une fondation essentielle à cette transition. L’AIE projette ainsi qu’en 2050, les deux tiers de l’approvisionnement énergétique mondial provienne des renouvelables (éolien, solaire, bioénergie, géothermie, hydroénergie), le solaire étant la source dominante, avec une capacité multipliée par 20 par rapport au niveau actuel). Les sources fossiles seraient restreintes à quelques usages (installations avec captage de carbone, plastique, secteurs avec technologies bas-carbone limitées).
L’idée est de générer au plus vite une électricité décarbonée pour électrifier des pans entiers de l’économie, comme le transport. En effet, ce scénario voit passer la part des véhicules électriques dans les ventes mondiales de 5% actuellement à plus de 60% en 2030.
L’AIE souligne que cette transformation passe, au niveau politique, par le soutien au développement de ces énergies propres via la relance post-Covid, les normes, le prix du carbone, la fin des investissements dans les centrales aux charbon sans techniques de réduction, les chaudières à gaz et les véhicules thermiques conventionnels.
Le besoin d’innovation
Entre 2030 et 2050, ce scénario repose aussi sur le déploiement rapide des technologies existantes mais aussi de solutions qui ne sont pas encore opérationnelles. En effet, dans les projections de l’AIE pour parvenir à la neutralité, près de la moitié des réductions d’émissions attendues en 2050 sont permises par des technologies encore au stade de démonstration ou de prototype. Cela est particulièrement le cas pour l’industrie lourde et le transport à longue distance. Les plus grandes opportunités d’innovation mises en avant par l’AIE sont les batteries de nouvelle génération, l’hydrogène par électrolyse, et le captage direct et le stockage du carbone (direct air capture and storage).
Le rôle des changements comportementaux dans le scénario de l’AIE
Notons que le scénario de l’AIE ciblant le secteur de l’énergie au sens large (production et consommation d’énergie) ne décrit pas l’ensemble des leviers de réduction des émissions et de hausse des absorptions dans l’ensemble des secteurs de l’économie. Néanmoins, les émissions liées à l’énergie représentent la majorité des émissions de GES aujourd’hui (environ 80%). Sur ce périmètre, l’AIE estime que la grande majorité des réductions d’émissions dans ce secteur (plus de 95%), d’ici 2030 mais aussi d’ici 2050, sera permise par des solutions technologiques, et moins de 5% à des changements de comportements, à technologie équivalente.
Néanmoins, l’AIE souligne que la transition nécessaire pour parvenir à mettre en œuvre le scénario de neutralité 2050 n’est pas réalisable sans la participation active des citoyens, et sans transparence et justice des politiques publiques. Dans les pays développés, il s’agit notamment du choix de mode de transport et de chauffage. Pour les pays en développement, le scénario intègre un accès à l’électricité et à des moyens de cuisson propre pour 2,6 milliards d’individus. Plus généralement, pour l’AIE, si les opportunités en termes d’emplois sont immenses, ces investissements doivent être répartis justement et prendre en compte l’impact social de la transition énergétique.
Les grands jalons de décarbonation
Pour arriver à zéro émission nette liée à l’énergie en 2050, le scénario de l’AIE nécessite des actions de transition rapide, et dès la période 2021-2025. Parmi les jalons importants, on peut citer :
- 2021 : fin des autorisations de lancement de nouvelles centrales à charbon sans techniques de réduction ;
- 2021 : fin des projets de création (ou extension) d’exploitations de gisements de gaz, de pétrole, de charbon ;
- 2025 : fin des ventes de chaudières à énergie fossiles neuves ;
- 2030 : 60% des ventes de véhicules légers sont des modèles électriques ;
- 2030 : fin progressive de l’usage de charbon dans les économies avancées (« advanced economies« *) ;
- 2035 : électricité neutre en carbone dans les économies avancées ;
- 2035 : le captage annuel de CO2 (par des techniques de captage) atteint 4 Gt CO2 ;
- 2035 : 50% des ventes de poids lourds sont des modèles électriques ;
- 2040 : 50% des bâtiments existants sont rénovés pour atteindre des niveaux compatibles avec zéro émission ;
- 2040 : 50% des carburants utilisés en aviation sont bas-carbone ;
- 2045 : 50% de la demande en chaleur est satisfaite par des pompes à chaleur ;
- 2050 : le captage annuel de CO2 (par des techniques de captage) atteint 7,6 Gt CO2 ;
- 2050 : électricité neutre en carbone dans le monde entier.
L’atteinte de ce scénario passe ainsi par une action forte de désinvestissement progressif des énergies fossiles et de la fin dès cette année des projets d’exploration de nouveaux gisements de charbon, de gaz ou de pétrole. Actuellement, d’après le dernier rapport des ONG Global Energy Monitor et Oxpeckers, 432 nouvelles mines de charbon seraient à ce jour prévues.
Une trajectoire de réduction des émissions très rapide dès la décennie 2020
Le scénario zéro émission nette de l’AIE (NZE, courbe en rouge ci-dessous) se traduit ainsi par une réduction massive et rapide des émissions de CO2 liées à l’énergie. A partir des données du rapport, l’agence spécialisée Carbon Brief a proposé un graphique de synthèse comparant la trajectoire de réduction de ces émissions de CO2 par rapport à d’autres scénarios : selon les politiques en place (stated policies scenario ou STEPS, en bleu clair, qui voit un rebond des émissions post-crise puis l’atteinte d’un pic autour de 2040) ; selon les promesses annoncées (announced pledge scenarios ou APC, en bleu foncé) ; selon un scénario de développement durable (sustainable development scenario ou SDS, en jaune).
Source : Carbon brief d’après IEA net-zero roadmap, World Energy Outlook 2020, Dr Glen Peters.
Pour mettre en œuvre cette transition, l’AIE appelle à multiplier les financements internationaux
Dans un autre rapport intitulé « Financing Clean Energy Transitions in Emerging and Developing Economies« , publié le 9 juin 2021, réalisé en collaboration avec la Banque mondiale et le Forum économique mondial (World Economic Forum), l’AIE préconise de multiplier par 7 les investissements annuels fléchés vers les énergies propres dans les pays émergents et en développement (de moins de 150 Md $/an en 2020 à plus de 1 000 Md $/an d’ici à 2030, pour respecter une trajectoire compatible avec l’objectif de neutralité 2050. Sans cet effort additionnel, l’AIE indique que les émissions de CO2 liées à l’énergie pour ces économies en Asie, Afrique et Amérique du Sud augmenteront de près de 5 Mds t CO2 lors des deux prochaines décennies.
Selon ce rapport, éviter une tonne d’émissions de CO2 dans les économies émergentes et en développement coûte en moyenne deux fois moins cher que dans les économies avancées. Cela s’explique en partie par le fait que les économies en développement peuvent souvent passer directement à des technologies plus propres et plus efficaces sans avoir à éliminer progressivement ou à modifier des installations énergétiques émettrices déjà en place.
En savoir plus
Page de l’AIE consacrée au rapport (synthèse interactive) – en anglais
Lire le rapport intégral (224 p.) – en anglais
Lire l’analyse de Christian de Perthuis, économiste spécialiste du climat.
* terme qui englobe l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, la Corée du Sud, Israël, le Japon, la Turquie). Il s’agit plus précisément des pays membres de l’OCDE (Australie, Autriche, Belgique, Canada, Chili, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Israël, Italie, Japon, Corée du Sud, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Turquie, Royaume-Uni, Etats-Unis), ainsi que la Bulgarie, la Croatie, Chypre, Malte et la Roumanie.