Accord de coopération UE-UK post-Brexit : quelles conséquences pour les politiques air et climat ?
Après d’intenses et âpres négociations, l’UE et le Royaume-Uni sont enfin parvenus à un accord sur le commerce et la coopération pour la période post-Brexit, à savoir à partir du 1er janvier 2021, date à laquelle la période de transition a pris fin. Le Citepa revient sur cet accord (long de 1 449 pages y compris les nombreuses annexes), en se focalisant sur les aspects concernant les sujets climat et air.
Contexte
L’UE et le Royaume-Uni avaient d’abord passé plus de deux ans à négocier les conditions du retrait du Royaume-Uni de l’UE (de juin 2017 à octobre 2019) et ce, conformément à l’article 50 du Traité sur l’UE. Pendant cette période, les deux parties ont également négocié les conditions générales de leurs futures relations et ont adopté à cette fin une déclaration politique commune, conclue en marge de l’accord de retrait le 17 octobre 2019.
Ensuite, les négociations sur l’accord de commerce et de coopération ont officiellement débuté le 2 mars 2020. Neuf cycles officiels de négociation se sont tenus à Bruxelles, à Londres et par vidéoconférence (en raison de la pandémie de Covid-19) entre mars 2020 et octobre 2020. Après cela, les négociations ont été intensifiées, des contacts ayant eu lieu tous les jours.
Introduction générale
L’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le Royaume-Uni couvre de nombreux domaines, dont l’environnement et le climat, le commerce et le climat, l’énergie, le transport aérien et le transport routier, ainsi que la participation aux programmes de l’UE. Les dispositions sur lesquelles il repose visent à garantir des conditions de concurrence équitable (concept du level playing field) et le respect des droits fondamentaux.
L’accord confère des droits et impose des obligations à la fois à l’UE et au Royaume-Uni, dans le plein respect de leur souveraineté et de leur autonomie réglementaire. Il est régi par un cadre institutionnel relatif à l’exécution et au contrôle de l’application de l’accord, ainsi qu’aux mécanismes contraignants en matière de règlement des différends et de contrôle de l’application.
Depuis le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni est devenu un pays tiers : il a perdu tous les droits dont il jouissait et ne sera plus soumis aux obligations qui lui étaient imposées en tant qu’État membre de l’UE et pendant la période de transition instaurée au titre de l’accord de retrait. Il ne bénéficie plus d’un accès fluide au marché unique et à l’union douanière de l’UE, ni des politiques et accords internationaux de l’Union.
Dispositions sur l’environnement et le climat
La Commission européenne souligne que pour la première fois, la lutte contre le changement climatique est assimilée à d’autres éléments essentiels, tels que la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et la non-prolifération des armes de destruction massive.
En tête du titre XI (« Conditions équitables pour une concurrence ouverte et loyale et un développement durable », pp.207-208) de la 2e partie de l’accord, parmi les principes et objectifs énoncés (cf. article 1.1), l’UE et le Royaume-Uni réaffirment leur ambition de parvenir à la neutralité climatique pour l’ensemble de leurs économies respectives d’ici à 2050.
Titre XI, Chapitre 7
Le chapitre 7 du titre XI (pp.331-334) porte sur l’environnement et le climat.
L’UE et le Royaume-Uni sont convenus de maintenir les niveaux de protection dans les domaines liés à l’environnement et au climat en vigueur à la fin de la période de transition.
Les domaines couverts (article 7.1)
Les niveaux de protection de l’environnement, que doivent assurer les deux parties, concernent huit domaines, dont :
- les émissions industrielles,
- les émissions dans l’atmosphère et la qualité de l’air.
Le niveau de protection du climat concerne l’élimination progressive des substances appauvrissant la couche d’ozone et les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre (GES). Pour ce volet sur les GES, il s’agit :
- pour l’UE, de l’objectif de réduction globale de 40% pour l’ensemble des secteurs de l’économie à l’horizon 2030 (couvrant le SEQE [système d’échange de quotas d’émission de l’UE ou ETS en anglais] et les secteurs hors SEQE) [cette clause sera à mettre à jour car l’objectif a depuis été renforcé, étant désormais d’au moins -55%],
- pour le Royaume-Uni, de la part du Royaume-Uni dans cet objectif pour l’ensemble des secteurs de son économie à l’horizon 2030. A noter toutefois que cette part n’est pas quantifiée par l’accord.
Principe de non-régression des niveaux de protection (article 7.2)
Les Parties affirment leur droit de définir leurs politiques et priorités, modifier leur législation en matière air & climat (domaines couverts par le chapitre 7), mais selon trois conditions :
- d’une manière compatible avec les engagements internationaux de chaque Partie ;
- d’une manière compatible avec les niveaux de protection en vigueur dans l’UE à la fin de la période de transition ; y compris en veillant à l’application effective de ces niveaux de protection. Autrement dit, les objectifs air & climat en vigueur au 31 décembre 2020 continueront de s’appliquer au Royaume-Uni, lequel peut uniquement les renforcer mais ne peut les affaiblir ;
- d’une manière à s’efforcer d’augmenter les niveaux de protection de l’environnement, ce qui va aussi dans le sens du principe de non-régression du droit de l’environnement.
Tarification du carbone : obligation de tenir un système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) (article 7.3)
Chaque Partie met en place un système efficace de tarification du carbone (c’est-à-dire un système d’échange de quotas d’émission de GES) à compter du 1er janvier 2021. Pour l’UE, il s’agit du SEQE, déjà en place. Pour le Royaume-Uni, un système national (UK-ETS) a été mis en place le 1er janvier 2021.
Le Royaume-Uni pionnier dans la conception et la mise en place d’un système d’échange de quotas
A noter que c’est le Royaume-Uni qui a lancé, en avril 2002, le premier système national d’échange de quotas d’émission de CO2 sur la base d’une participation volontaire, afin de tester ce concept. Ce prototype préfigurait le SEQE de l’UE lancé en 2005. Ainsi, l’UE s’est largement appuyée sur le système britannique pour concevoir son SEQE. Par ailleurs, le Royaume-Uni était un Etat membre clé de la majorité au sein du Conseil Environnement qui a permis l’adoption de la directive Quotas (2003/87/CE) en 2003.).
Le Royaume-Uni ne participera donc plus au SEQE de l’UE à une exception près : à partir du 1er janvier 2021, les seules installations britanniques qui continueront d’être assujetties au SEQE sont les installations de production d’électricité du territoire d’Irlande du Nord et ce, conformément à l’accord de retrait entre l’UE et le Royaume-Uni conclu le 17 octobre 2019.
Cependant, l’accord UE-Royaume-Uni prévoit que ces deux Parties coopèrent en matière de tarification du carbone. A l’instar de l’accord UE-Suisse du 10 novembre 2017 visant à relier leurs SEQE respectifs (lire notre article), l’UE et le Royaume-Uni examinent sérieusement la possibilité de relier leurs SEQE respectifs d’une manière qui préserve l’intégrité de ces systèmes et prévoit la possibilité d’accroître leur efficacité, par exemple en ajoutant des secteurs supplémentaires, tels que les bâtiments (option d’ores et déjà envisagée par l’UE). Ce point fera l’objet d’un accord qui sera négocié de manière distincte à l’avenir.
Autres principes environnementaux et climatiques (article 7.4)
Chaque Partie s’engage à respecter les principes environnementaux reconnus au niveau international auxquels elle s’est engagée, tels que dans la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, adoptée à Rio de Janeiro le 14 juin 1992 et dans les accords multilatéraux en matière d’environnement, y compris dans le cadre de la Convention Climat (et du Protocole de Kyoto et de l’Accord de Paris adoptés en application de celle-ci) et de la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone (et de son Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone). Ainsi, dans le cadre de l’accord sur le commerce et la coopération, l’UE et le Royaume-Uni conviennent que l’action climat, et, en particulier, l’Accord de Paris de 2015, constituent un élément essentiel de leur partenariat. Toute violation de cet élément essentiel par l’une des parties donne à l’autre partie le droit de résilier ou de suspendre intégralement ou partiellement l’accord et donc de mettre fins à des dispositions commerciales.
Les principes environnementaux
Les principes environnementaux reconnus au niveau international sont énoncés :
- le principe d’intégration de l’environnement dans l’élaboration des politiques,
- le principe d’action préventive pour éviter des dommages causés à l’environnement,
- le principe de précaution,
- le principe de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement,
- le principe du pollueur-payeur.
Ces principes sont ancrés dans le Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) : article 11 pour le principe d’intégration et article 191 pour les autres.
Application (article 7.5)
Pour garantir la non-régression des niveaux de protection de l’environnement et du climat, chaque Partie fait en sorte que :
- les autorités nationales compétentes pour l’application de la législation relative à l’environnement et au climat prennent dûment en considération toute allégation de violation de cette législation qui leur est signalée. Ces autorités disposent de voies de recours adéquates et efficaces (injonctions, sanctions proportionnées et dissuasives), le cas échéant ;
- des procédures administratives ou judiciaires nationales soient ouvertes aux personnes physiques et morales ayant un intérêt suffisant à agir contre les violations de cette législation et à former des recours efficaces à un coût non prohibitif et de manière juste, équitable et transparente.
Coopération en matière de suivi et de contrôle de l’application (article 7.6)
Les Parties veillent à ce que la Commission européenne et les organes de surveillance du Royaume-Uni se rencontrent régulièrement et coopèrent au sujet du suivi et de la mise en œuvre effectifs de la législation relative à l’environnement et au climat et de la non-régression des niveaux de protection.
Règlement des différends (article 7.7)
Les Parties mettent tout en œuvre, au moyen de dialogues, de consultations, d’échanges d’informations et de coopération, pour résoudre tout désaccord concernant l’application du chapitre 7 de l’accord sur le commerce et la coopération.
Dispositions sur les accords multilatéraux sur l’environnement et sur le commerce et le climat
Titre XI, Chapitre 8
Le chapitre 8 du titre XI (pp.234-243) porte sur les autres instruments pour le commerce et le développement durable.
Les accords multilatéraux sur l’environnement (article 8.4)
Les deux Parties reconnaissent l’importance de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ainsi que la valeur de la gouvernance et des accords multilatéraux en matière d’environnement (par exemple, la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, la CCNUCC, le Protocole de Montréal,…) en tant que réponse de la communauté internationale aux problèmes environnementaux mondiaux ou régionaux.
Chaque Partie s’engage à mettre en œuvre de manière effective les accords multilatéraux en matière d’environnement, les protocoles et les modifications qu’elle a ratifiés dans sa législation et ses pratiques.
Les Parties échangent régulièrement et en tant que de besoin des informations concernant :
- leur situation respective en ce qui concerne la ratification et la mise en œuvre des accords multilatéraux en matière d’environnement, y compris leurs protocoles et modifications ;
- la négociation en cours de nouveaux accords multilatéraux sur l’environnement ;
- le point de vue de chaque Partie concernant l’adhésion à d’autres accords multilatéraux sur l’environnement.
Les Parties collaborent ensemble sur les aspects commerciaux des politiques et mesures en matière d’environnement, y compris dans les instances multilatérales, telles que le Forum politique de haut niveau des Nations Unies pour le développement durable, l’Assemblée des Nations unies pour le développement (UNEA), les accords multilatéraux sur l’environnement, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ou l’OMC. Cette coopération peut notamment couvrir :
- les initiatives en matière de production et de consommation durables, y compris celles visant à promouvoir une économie circulaire, une croissance verte et la réduction de la pollution ;
- l’incidence du droit et des normes en matière d’environnement sur le commerce et les investissements, ou l’incidence de la législation relative au commerce et aux investissements sur l’environnement ;
- la mise en œuvre de l’annexe 16 de la Convention relative à l’aviation civile internationale (dite Convention de Chicago [1944]) et d’autres mesures visant à réduire l’incidence environnementale du transport aérien, y compris dans le domaine de la gestion du trafic aérien.
Le commerce et le changement climatique (article 8.5)
L’UE et le Royaume-Uni reconnaissent l’importance de prendre d’urgence des mesures pour lutter contre le changement climatique et ses conséquences, conformément à la CCNUCC, aux objectifs de l’Accord de Paris, ainsi qu’à d’autres accords multilatéraux en matière d’environnement et instruments multilatéraux en matière de climat. Les deux Parties s’engagent à mettre en œuvre la CCNUCC et l’Accord de Paris.
Les Parties travaillent ensemble afin de renforcer leur coopération sur les aspects commerciaux des politiques et mesures « climat », aux niveaux bilatéral et régional ainsi que dans les instances internationales (CCNUCC, OMC, Protocole de Montréal relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone, Organisation maritime internationale (OMI), Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)). Cette coopération peut notamment couvrir :
- le dialogue et la coopération concernant la mise en œuvre de l’Accord de Paris, par exemple sur les moyens de promouvoir la résilience au changement climatique, les énergies renouvelables, les technologies à faibles émissions de carbone, l’efficacité énergétique, le transport durable, le développement des infrastructures durables, la surveillance des émissions de GES et les marchés internationaux du carbone ;
- la promotion de mesures ambitieuses et efficaces de réduction des émissions de GES par l’OMI, qui seront mises en œuvre par les navires participant au commerce international ;
- la promotion de mesures ambitieuses et efficaces de réduction des émissions de GES par l’OACI ;
- la promotion d’un plan ambitieux d’élimination progressive des substances appauvrissant la couche d’ozone et de réduction progressive des HFC au titre du Protocole de Montréal, grâce à des mesures de contrôle de la production, de la consommation et du commerce de ces substances, à l’introduction de solutions de substitution écologiques à ces substances, à la mise à jour des normes de sécurité et autres normes pertinentes ainsi qu’à la lutte contre le commerce illégal des substances réglementées par le Protocole de Montréal.
Mise en place d’un comité spécialisé sur les questions de commerce et d’environnement
Parmi les 19 comités spécialisés institués par l’accord sur le commerce et la coopération, figure le comité spécialisé « commerce » chargé des conditions équitables pour une concurrence ouverte et loyale et un développement durable, qui traite des questions couvertes par le titre XI de la 2e partie (liées donc entre autres à l’environnement et au climat, ainsi qu’au commerce et au climat) (cf. première partie [dispositions communes et institutionnelles], Titre III [cadre institutionnel], article INST.2 Comités, p.26).
Application provisoire et processus de ratification
Les négociations sur l’accord de commerce et de coopération n’ont pu être achevées que sept jours avant l’expiration de la période de transition. L’UE a jugé que l’entrée en vigueur de cet accord était urgente, compte tenu des nombreux liens du Royaume-Uni avec l’UE dans toute une série de domaines économiques et autres. Etant donné ces circonstances exceptionnelles, la Commission a proposé une application provisoire de l’accord, pour une durée limitée, jusqu’au 28 février 2021.
Les ambassadeurs permanents des Vingt-sept (réunis au sein du Coreper) ont approuvé l’accord le 28 décembre 2020 à l’unanimité (en adoptant une décision autorisant la signature de l’accord et son application provisoire à compter du 1er janvier 2021). Par la suite, l’accord a été signé, au nom de l’UE, par le Président du Conseil européen (Charles Michel) et la Présidente de la Commission européenne (Ursula von den Leyen) le 30 décembre 2020. L’accord sera ensuite examiné par le Parlement européen et le Conseil de l’UE (les Ministres) avant de pouvoir être formellement ratifié par l’UE, et ce donc avant le 28 février 2021. Lors de cette étape du côté de l’UE, le Conseil devra adopter une décision formelle sur la conclusion de l’accord.
Du côté du Royaume-Uni, le projet de loi sur la relation future avec l’UE (EU (Future Relationship) Bill) a été adopté en tant que loi (EU (Future Relationship) Act) par le Parlement britannique le 30 décembre 2020, qui a été ensuite promulguée via la sanction royale de la reine.
En savoir plus
- l’accord sur le commerce et la coopération entre l’UE et le Royaume-Uni du 24 décembre 2020
- fiche de questions/réponses sur l’accord publiée par la Commission
- fiche Questions/réponses “Brexit : les impacts sur le système d’échange de quotas”, mise en ligne par le MTE le 30 décembre 2020)
- une note de la DG CLIM aux parties prenantes sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE et son effet sur le SEQE de l’UE, publiée le 7 juillet 2020.
Lire aussi notre article associé
- « Brexit : quelles conséquences pour la politique climat-énergie de l’UE et au-delà ?« , publié le 31 janvier 2020.
Sortie du Royaume-Uni de l’UE : nouveau classement des articles et brèves du Citepa
Depuis le 1er février 2020, date officielle de la sortie du Royaume-Uni de l’UE (toutefois avec la période de transition allant jusqu’au 31 décembre 2020), les articles et brèves du Citepa portant uniquement sur le Royaume-Uni sont classés dans la catégorie « international » (INT) et non plus dans UE (tout comme les autres pays européens non membres de l’UE [Suisse, Norvège, etc.]).