Emissions industrielles : la Pologne fait annuler par la CJUE des règles de la directive IED limitant les émissions de NOx dans les grandes installations de combustion
Le 27 janvier 2021, le Tribunal de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) a rendu un arrêt annulant la décision d’exécution (UE) 2017/1442 de la Commission européenne établissant les conclusions sur les meilleures techniques disponibles pour les grandes installations de combustion. Cette décision d’exécution de 2017, adoptée au titre de la directive IED (voir encadré ci-dessous), impose notamment les niveaux d’émissions associés aux meilleures techniques disponibles (dits NEA-MTD), en ce qui concerne les émissions de très nombreux polluants, dont par exemple d’oxydes d’azote (NOx), de mercure (Hg) et de chlorure d’hydrogène (HCl) pour les grandes installations de combustion (GIC), c’est-à-dire des installations d’une puissance thermique nominale d’au moins 50 mégawatts (MW) indépendamment du type de combustible utilisé.
La directive IED
La directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles (directive IED)(1) est le principal instrument mis en place au niveau de l’UE pour réduire les émissions dans l’air, l’eau et le sol dues aux activités industrielles. Elle réglemente quelque 50 000 grandes installations industrielles (centrales électriques ; raffineries ; production d’acier, de métaux non ferreux, ciment, de chaux, verre, produits chimiques, papier produits alimentaires, déchets, élevage intensif de porcs et de volailles). Les installations concernées doivent obtenir des autorisations délivrées par les autorités nationales, conditionnées à l’application des meilleures techniques disponibles (MTD ou BAT en anglais).
Afin de garantir une approche comparable dans toute l’UE, des documents de référence sur les MTD (les “BREF” [BAT reference documents]) sectoriels sont élaborés dans le cadre d’un processus participatif associant toutes les parties prenantes :
- une évaluation technico-économique est réalisée au niveau de l’UE par un groupe de travail technique composé de représentants de la Commission, des États membres, de l’industrie et de la société civile ;
- dans une seconde étape, conformément à l’article 13.5 et à l’art. 75.2, de la directive IED, la Commission présente un projet de décision d’exécution concernant les conclusions sur les MTD au comité établi par l’article 75 de la directive IED, présidé par la Commission et composé des représentants des États membres ;
- ce comité émet son avis sur le projet de décision d’exécution de la Commission à la majorité qualifiée [et ce en application de la procédure d’examen visée par l’article 5 du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, établissant les règles et les principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (procédure dite « comitologie »)] ;
- lorsque cet avis est favorable, la Commission adopte la décision d’exécution fixant les conclusions sur les MTD. Cette décision sert de base pour fixer les conditions d’autorisation.
Retour sur les étapes ayant mené à cette décision
11 octobre 2017 : la Pologne, soutenue par la Bulgarie et la Hongrie, a introduit auprès du Tribunal de la CJUE un recours en annulation de la décision (UE) 2017/1442 (affaire T-699/17), demande fondée sur l’article 263 du Traite sur le fonctionnement de l’UE (TFUE).
9 mars 2017 : la Commission a présenté au comité établi par l’article 75 de la directive IED (voir encadré ci-dessus) un projet de décision d’exécution établissant les conclusions sur les MTD pour les grandes installations de combustion (GIC).
23 mars 2017 : par courrier, la Commission a invité les membres du comité à une réunion prévue le 28 avril 2017. L’objet de cette réunion était de procéder au vote sur l’avis relatif à ce projet de décision d’exécution.
30 mars 2017 : la Pologne a demandé que le comité vote sur l’avis relatif au projet de décision d’exécution précité selon l’ancienne règle de majorité qualifiée de 74% et non selon la nouvelle règle de majorité à 55% du Traité de Lisbonne (article 3.3 du Protocole n°36 au TUE, voir détails dans l’encadré en fin d’article), ce qui lui aurait donné davantage de poids dans les discussions et le vote définitif.
4 avril 2017 : le service juridique du Conseil de l’UE a adressé au comité des représentants permanents des États membres (Coreper) un avis selon lequel, en substance, pour qu’un vote sur un projet d’acte soit émis selon les règles en place avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (soit le 1er déc. 2009), il fallait que l’État membre présente une demande en ce sens au plus tard le 31 mars 2017 et que le vote, objet de la demande, intervienne également avant cette date.
10 avril 2017 : la Direction Générale de l’Environnement de la Commission a refusé la demande de la Pologne du 30 mars 2017, au motif que le vote sur l’avis était prévu pour le 28 avril 2017, soit après le 31 mars 2017, la date limite prévue par le TUE.
28 avril 2017 : s’est tenue une réunion du comité où les membres ont voté afin d’adopter un avis sur un projet modifié de décision d’exécution. Le vote a eu lieu en application des règles de vote établies par l’article 16.4, TUE (majorité qualifiée de 55%) et non par majorité qualifiée de 74%. Le vote a abouti à un avis favorable du comité à l’égard du projet : vote positif de 20 États membres représentant 65,14% de la population et 71,43% des membres du comité. Huit États membres, dont la Pologne, ont émis un vote négatif.
31 juillet 2017 : à la suite de ce vote, la Commission a adopté la décision d’exécution (UE) 2017/1442, établissant les conclusions sur les meilleures techniques disponibles (MTD) pour les GIC (lire notre article), décision qui a fait l’objet du recours en annulation de la part de la Pologne.
4 et 15 janvier 2018 : par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement par la Hongrie et la Bulgarie, ces deux Etats membres ont demandé à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions de la Pologne. Par décision du 19 février 2018, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis ces interventions.
16 et 25 janvier 2018 : par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement par la Belgique, la France et la Suède, ces trois Etats membres ont demandé à intervenir dans la procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décisions, respectivement du 19 et du 21 février 2018, le président de la troisième chambre du Tribunal a admis ces interventions.
17 septembre 2020 : lors d’une audience, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal
Le contenu de la requête de la Pologne
La Pologne a attaqué la décision d’exécution (UE) 2017/1442 en invoquant cinq griefs (dont le terme juridique précis est « moyens ») :
- violation des dispositions applicables en matière de majorité qualifiée. La Pologne estime qu’à la suite de sa demande en ce sens et en application des articles 3.2 et 3.3 du Protocole n°36, la décision d’exécution (UE) 2017/1442 aurait dû être adoptée selon les règles de majorité qualifiée prévues par le Traité de Nice et non selon celles prévues par le Traité de Lisbonne ;
- dans le cadre des deuxième et troisième moyens, la Pologne estime que les niveaux d’émissions associés aux meilleures techniques disponibles (dits NEA-MTD) imposés par la décision d’exécution (UE) 2017/1442 pour les émissions de NOx, de Hg et de HCl des GIC, ainsi que certains NEA-MTD applicables aux GIC dont la durée d’exploitation annuelle est inférieure à 1 500 heures, ont été fixés sur la base de données erronées et non représentatives et qu’ils violent le principe de proportionnalité ;
- par les quatrième et cinquième moyens, la Pologne conteste la légalité de la dérogation octroyée par la décision d’exécution (UE) 2017/1442 à certaines régions insulaires pour l’application des NEA-MTD aux moteurs alimentés au fioul lourd ou au gazole.
Contenu de l’arrêt du Tribunal de la CJUE
Après délibération, le Tribunal de la CJUE a accueilli le premier moyen invoqué par la Pologne et a annulé, avec effet immédiat, la décision d’exécution (UE) 2017/1442 par son arrêt du 27 janvier 2021. Puisqu’il a accueilli le premier moyen, le Tribunal n’a pas jugé nécessaire d’examiner les quatre autres moyens invoqués par la Pologne.
Mesures transitoires
Afin d’éviter une insécurité juridique, ainsi qu’une discontinuité ou une régression dans la mise en œuvre de politiques de l’environnement (cf. article 264 du TFUE) ou de la santé conduites par l’UE, le Tribunal décide de maintenir les effets de la décision attaquée jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai de 12 mois à compter du 27 janvier 2021 (soit le 27 janvier 2022), d’un nouvel acte visant à la remplacer et adopté selon les règles de la majorité qualifiée prévues à l’article 3.3, du Protocole n°36 (majorité qualifiée de 74%).
(1) Voir SD’Air n°178 p.15.
En savoir plus :
L’article 263 du TFUE et les mesures transitoires sur la définition de la majorité qualifiée
Article 263 du TFUE
La CJUE contrôle la légalité des actes législatifs (du Conseil, de la Commission, du Parlement européen et du Conseil européen). Toute personne physique ou morale peut former auprès de la CJUE, un recours contre les actes qui la concernent directement pour incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission.
Mesures transitoires sur la définition de la majorité qualifiée
Conformément au Traité de Lisbonne de 2007 (entré en vigueur le 1er décembre 2009), depuis le 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55% des membres du Conseil, comprenant au moins 15 d’entre eux et représentant au moins 65% de la population totale de l’UE (articles 16.4 et 16.5 du Traité sur l’UE (TUE). Cependant, l’article 3 du Protocole n°36 (au Traité de Lisbonne, devenu le TUE) sur les dispositions transitoires prévoit qu’entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, lorsqu’une délibération doit être prise à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander que cette délibération soit prise à la majorité qualifiée définie comme étant au moins 74% des membres du Conseil, et si besoin, représentant au moins 62% de la population totale de l’UE.
– l’arrêt du Tribunal de la CJUE,
– les différents Traités européens et leurs versions consolidées (base de données EUR-lex),
– la page du site de la DG Environnement dédiée aux émissions industrielles (directive IED),
– la page du site de la DG Environnement dédiée à l’évaluation et à la révision de la directive IED,
– le bureau européen de l’IPPC (qui centralise et publie les BREF).