L’AIE met à jour ses données d’émissions de CH4 du secteur pétrolier et gazier et propose une feuille de route et une boîte à outils aux Gouvernements pour les réduire
Le 18 janvier 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié une mise à jour de ses estimations d’émissions de méthane (CH4, puissant gaz à effet de serre voir encadré en fin d’article) provenant de l’extraction, de la production et du transport de pétrole et de gaz et ce, au niveau mondial.
Etat des lieux des émissions en 2020 et les réductions préconisées
Selon les estimations de l’AIE, le secteur pétrolier et gazier a émis environ 70 Mt de CH4 (soit environ 2,1 Gt CO2e) en 2020, soit un niveau légèrement supérieur au total des émissions de GES liées à l’énergie de l’UE. Ce total de 70 Mt pour 2020 est inférieur d’environ 10% (soit -7,5 Mt) au niveau de 2019 (environ 77,5 Mt). La production de pétrole est responsable d’environ 40% des émissions de CH4 de ce secteur (via le torchage), les 60% restants provenant de fuites du secteur gazier, c’est-à-dire les émissions fugitives (production, transport et distribution). Les données provisoires issues de l’observation satellitaire montrent que des fuites de CH4 à grande échelle de ce secteur auraient diminué en 2020 mais, souligne l’AIE, il est probable qu’une part de cette diminution résulte de la forte baisse de production suite à la pandémie du Covid-19 et aux mesures de confinement mises en place à travers le monde pour endiguer sa propagation.
Dans le cadre du scénario « développement durable » (dit SDS) élaboré par l’AIE, les émissions de CH4 du secteur pétrolier et gazier devront être ramenées à environ 20 Mt par an d’ici 2030, soit une baisse de 71% par rapport au niveau de 2020.
Les émissions de CH4 du secteur pétrolier et gazier : émissions historiques 2000-2020
et projections 2025 et 2030 selon le scénario SDS
Source : AIE, 18/01/2021.
Le rapportage des émissions de CH4, les campagnes de mesure et l’observation satellitaire
En complément de l’amélioration continue des inventaires nationaux d’émissions de GES, qui couvrent bien ces émissions du secteur pétrolier et gazier, la transparence et les connaissances en matière d’émissions de CH4 devraient continuer de s’améliorer grâce à un des systèmes de rapportage complémentaire des émissions via :
- le nouveau cadre de référence international en matière de suivi et de rapportage, dit OGMP 2.0, mis en place par le Partenariat Méthane Pétrole et Gaz du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE),
- davantage de campagnes de mesure terrestres et aériennes,
- davantage de données issues d’observation satellitaires.
La mise à jour 2021 des données d’émissions de CH4 par l’AIE couvre pour la première fois par des satellites les émissions fugitives provenant de fuites à grande échelle détectées. Au niveau mondial, environ 5,5 Mt d’émissions de CH4 ont été détectées par satellite en 2020, contre 6,7 Mt en 2019 (soit une baisse de 18%). Selon l’AIE, les observations satellitaires ont montré des réductions dans plusieurs régions du globe en 2020 mais des niveaux élevés d’émissions de CH4 ont encore été relevés dans les zones de gisements de schiste aux Etats-Unis, au Turkménistan et issus des gazoducs en Russie. Par contre, relativement peu de fuites ont été relevées dans les pays des grands producteurs de pétrole du Moyen Orient (dont l’Iraq et le Koweït).
L’AIE souligne toutefois que si les satellites permettent d’identifier les fuites importantes de CH4, ils ne vont pas fournir une vision complète de la situation : notamment, les satellites existants ne fournissent pas de mesures au-dessus des régions équatoriales, des zones septentrionales ou les exploitations de pétrole off-shore.
Actions de réduction et l’incitation économique
Cette baisse de 71% projetée par l’AIE dans son scénario SDS correspond à la quantité de CH4 qu’il serait techniquement faisable de réduire selon l’outil de suivi des émissions de CH4 (Methane Tracker) mis en place et géré par l’AIE. Par ailleurs, environ 10% des fuites en 2020 (soit 7 Mt) pourraient être réduits à un coût net nul puisque la valeur économique du CH4 capté serait suffisante pour couvrir le coût des mesures de réduction, c’est-à-dire qu’il devrait déjà y avoir une incitation économique à éviter le rejet du CH4 dans l’atmosphère, variable d’une année à l’autre et d’une région à l’autre en fonction du prix du gaz en vigueur. Par exemple, en 2020, le prix du gaz naturel était beaucoup plus faible dans le monde que les années précédentes, de sorte que la part de la réduction possible à coût nul (environ 10% donc) est plus faible que les années précédentes. Mais elle reprendra à mesure que les prix du gaz naturel augmenteront.
L’AIE souligne qu’aujourd’hui, l’industrie pétrolière et gazière est confrontée à des contraintes de capitaux, et la baisse des prix du gaz naturel pourrait rendre la réduction du CH4 moins prioritaire. Il est donc plus important que jamais d’adopter des mesures réglementaires pour réduire les émissions de CH4. S’appuyant sur l’expérience acquise au Canada, au Mexique et dans l’UE, qui a publié sa nouvelle stratégie de l’UE sur le CH4, ainsi que dans ces pays et dans d’autres pays, l’AIE a publié une nouvelle feuille de route et une nouvelle boite à outils sur la réglementation du CH4 visant à fournir un guide, étape par étape, aux décideurs politiques et aux régulateurs qui cherchent à élaborer de nouvelles politiques et réglementations sur le CH4.
Malgré des initiatives volontaires pour réduire les émissions de CH4 dans le secteur pétrolier et gazier, l’AIE avertit qu’un changement d’ambition immédiat et significatif est nécessaire pour atteindre l’ampleur de réductions compatible avec l’Accord de Paris.
Obstacles à l’action volontaire
Les courbes de coût des technologies de réduction des émissions de CH4 élaborées par l’AIE par pays suggèrent qu’en théorie, un nombre important de mesures de réduction seraient rentables, à condition que le gaz capté puisse être livré au marché et vendu au prix du marché en vigueur. L’AIE s’est donc attelée à comprendre ce qui empêche, en pratique, les entreprises de différents pays et contextes de marché d’entreprendre ces actions rentables.
L’AIE a identifié trois catégories d’obstacles qui expliquent pourquoi les entreprises n’exploitent pas pleinement ces possibilités : l’information, l’infrastructure et les incitations à l’investissement. Les Gouvernements nationaux peuvent éliminer beaucoup de ces obstacles via des instruments politiques et réglementaires, qui peuvent modifier fondamentalement l’analyse coûts-bénéfices pour les entreprises et les inciter à internaliser le coût sociétal de cette pollution.
La réponse de l’AIE : une feuille de route réglementaire et une boîte à outils réglementaire
La mise à jour des données d’émissions de CH4 par l’AIE s’accompagne d’un rapport qui vise à fournir un guide de démarrage complet pour les décideurs politiques qui cherchent à élaborer de nouvelles réglementations pour réduire les émissions de CH4 issues du secteur pétrolier et gazier. Ce guide est composé de deux documents complémentaires : une feuille de route réglementaire et une boîte à outils réglementaire.
La feuille de route (regulatory roadmap) se concentre sur le processus de mise en place d’une nouvelle réglementation. Elle détaille 10 étapes clés et fournit un guide étape par étape pour aider les régulateurs à rassembler les informations dont ils ont besoin pour concevoir, rédiger et mettre en œuvre un système réglementaire efficace.
La boîte à outils (regulatory toolkit) est axée sur le contenu des réglementations relatives au CH4. Il caractérise les différentes approches réglementaires actuellement utilisées pour cibler le CH4, avec des liens appropriés vers la base de données des politiques, mise en place par l’AIE, pour des exemples spécifiques. L’objectif de la boîte à outils est de fournir aux régulateurs une encyclopédie des différents outils réglementaires qui sont à leur disposition lorsqu’ils élaborent de nouvelles politiques.
S’appuyant sur sa base de données d’actions de réduction précoces mises en œuvre par différents pays, l’AIE a élaboré une typologie des approches réglementaires appliquées aux émissions de CH4 du secteur pétrolier et gazier. L’AIE a regroupé ces approches réglementaires en quatre grandes catégories :
- obligations basées sur des prescriptions et des contraintes réglementaires,
- obligations basées sur la performance ou quant aux résultats à atteindre,
- instruments économiques (fiscalité, incitations économiques, système d’échange de quotas,…),
- obligations en termes d’information (formation, sensibilisation, rapportage des données d’émission, échange des meilleures pratiques et des meilleures techniques, etc.).
Lire nos articles associés publiés ces dernières années
- « La Commission publie la stratégie de l’UE pour réduire les émissions de méthane« , publié le 15 oct. 2020,
- « Hausse des éditions mondiales de méthane : édition 2020 du Global Methane Budget« , publié le 21 juillet 2020,
- « Méthane : vers une stratégie européenne de réduction des émissions ?« , publié le 20 mai 2020,
- « Méthane : tendances mondiales d’émissions et impacts sur les concentrations d’ozone« , publié le 30 oct. 2018.
En savoir plus
- analyse de l’AIE,
- base de données 2021 du dispositif de suivi du CH4 mondial (Methane Tracker 2021 : base de données interactive des estimations par pays et par région des émissions de CH4 du secteur pétrolier et gazier. Elle comporte également les options de réduction de ces émissions).
Le méthane et l’effet de serre
Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, un forceur climatique à courte durée de vie ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique. Il est ainsi concerné à la fois par les problématiques de changement climatique et de pollution atmosphérique. Selon l’édition 2020 du Bulletin annuel sur les GES publié par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM), le CH4 est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 16% en 2019, après le CO2 (66%) et avant le N2O (7%). En 2019, les concentrations moyennes mondiales de CH4 dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque préindustrielle (1750) : 1 877 parties par milliard (ppb), soit +160% depuis 1750 (722 ppb).
Par rapport aux autres principaux gaz à effet de serre (CO2, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3), le CH4 a une durée de vie dans l’atmosphère courte. Ainsi, dans son 5e rapport d’évaluation (2013), le Giec l’estime à 12,4 ans (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732), soit une légère réévaluation de son estimation de 12 ans indiquée dans son 4e rapport (2007) (voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212). C’est pour cette raison que le CH4 fait partie de la catégorie des forceurs climatiques à courte durée de vie.
Quant à la valeur PRG du CH4, elle diffère sensiblement selon que le PRG soit considéré sur 20 ans ou sur 100 ans. Sur 100 ans, le 5e rapport d’évaluation l’estime à 28 ans (contre 25 ans dans le 4e rapport). Cependant, sur 20 ans, le PRG du CH4 est beaucoup plus important : 84 dans le 5e rapport (contre 72 dans le 4e rapport) (sources : AR4, voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212 ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). Autrement dit, le CH4 a un effet sur le climat beaucoup plus fort à court terme (20 ans) qu’à long terme (100 ans).
Enfin, d’après un rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) publié en 2011, mettre en œuvre 16 mesures ciblant le CH4 et le carbone suie réduiraient les émissions mondiales de CH4 de 38% entre 2010 et 2030, et réduirait le réchauffement climatique de 0,4°C d’ici 2050.