Après le NO2, les PM10 : la France de nouveau saisie devant la CJUE pour non-respect de la directive sur la qualité de l’air
Le 30 octobre 2020, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre la France relatif à la mauvaise qualité de l’air due à des niveaux élevés de particules (PM10). La saisine de la CJUE constitue la troisième étape de la procédure d’infraction formelle de l’UE (voir encadré ci-dessous). Cette décision est la conséquence de la procédure d’infraction lancée en 2009 par la Commission européenne contre la France (lire notre premier article sur le sujet publié le 1er mars 2013 et notre deuxième article sur le sujet publié le 1er juillet 2015).
Qu’est-ce que la procédure d’infraction de l’UE ?
En tant que « gardienne » des Traités de l’UE, la Commission est chargée de veiller, avec la Cour de Justice de l’UE (CJUE), à ce que le droit européen soit appliqué correctement dans les Etats membres (EM).
En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE, article 258), la Commission peut poursuivre en justice un EM qui manque aux obligations qui lui incombent au titre de la législation de l’UE. Elle engage ainsi une procédure juridique dite procédure d’infraction qui se déroule en quatre étapes :
1) la Commission envoie une lettre de mise en demeure [demande d’informations] à l’EM,
2) si elle n’est pas satisfaite des informations reçues et conclut que l’EM ne s’acquitte pas de ses obligations juridiques, elle peut ensuite lui envoyer un avis motivé [demande formelle de s’y conformer],
3) si l’EM ne s’y conforme toujours pas, la Commission peut alors décider de l’assigner devant la CJUE qui, si elle le juge nécessaire, rend un arrêt contraignant,
4) si malgré ce 1er arrêt, l’EM ne remédie toujours pas au problème, la Commission peut saisir une 2e fois la CJUE, en lui demandant d’imposer des sanctions financières sur la base d’un montant que la Commission propose. Ces sanctions financières peuvent prendre la forme, via un 2e arrêt de la CJUE, d’une somme forfaitaire et/ou une indemnité journalière (astreinte), à dater du 2e arrêt de la CJUE jusqu’à ce qu’il soit mis un terme à l’infraction. Ces sanctions financières sont calculées en tenant compte de l’importance des règles violées et de l’incidence de l’infraction sur les intérêts généraux et particuliers ; de la période pendant laquelle le droit de l’UE n’a pas été appliqué et de la capacité de paiement de l’Etat membre, garantissant l’effet dissuasif de l’amende. Dans son 2e arrêt, la CJUE peut modifier le montant proposé par la Commission.
Dans son communiqué publié le 30 octobre 2020, la Commission explique qu’elle allait saisir la CJUE contre la France pour :
- dépassement des valeurs limites de concentration (VLC) journalières fixées pour les PM10 par la directive sur la qualité de l’air (directive 2008/50/CE)(1) (voir encadré ci-dessous). En effet, les niveaux de PM10 observés en région parisienne et en Martinique dépassent ces valeurs limites journalières contraignantes ;
- manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour réduire au maximum les périodes de dépassement. La Commission souligne que ces dépassements sont observés systématiquement, depuis 12 ans à Paris et depuis 14 ans en Martinique.
Quelles sont les valeurs limites de concentrations et autres obligations à respecter ?
Les VLC fixées pour les PM10 par la directive 2008/50/CE sont :
- 40 µg/m3 en moyenne annuelle,
- 50 µg/m3 en moyenne journalière, à ne pas dépasser plus de 35 fois par année civile [ annexe XI].
Les Etats membres (EM) ne doivent pas dépasser ces VLC [de même que celles pour les autres polluants visés par cette directive (SO2, NO2, CO, plomb, benzène)] dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations (article 13.1 de la directive). Les VLC pour les PM10 sont juridiquement contraignantes depuis le 1er janvier 2005 et devaient donc être respectées à cette échéance (cf. article 13 et annexe XI de la directive). Cependant, la directive autorisait les Etats membres à reporter ce délai jusqu’au 11 juin 2011 à condition qu’un plan relatif à la qualité de l’air soit établi pour la zone de dépassement des VLC à laquelle le report de délai s’appliquerait et à condition que cet État membre fasse la preuve qu’il a pris toutes les mesures appropriées aux niveaux national, régional et local pour respecter les délais (article 22.2).
La directive 2008/50/CE (article 23) prévoit que, lorsque dans une zone ou agglomération donnée, les concentrations de polluants dépassent la valeur limite ou la valeur cible fixée aux annexes XI [SO2, NO2, PM10, CO, plomb, benzène] et XIV [PM2,5], majorée de toute marge de dépassement autorisée, les EM sont tenus d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air pour cette zone ou agglomération afin d’atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante.
Ces plans doivent prévoir des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible (article 23.1). Le contenu minimal de ces plans est fixé en annexe (annexe XV, section A et article 24). Les EM concernés devaient soumettre ces plans à la Commission le plus rapidement possible, et au plus tard deux ans après la fin de l’année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté.
Il s’agit de la deuxième fois que la CJUE est saisie relativement au non-respect par la France de la directive sur la qualité de l’air. En effet, le 24 octobre 2019, un arrêt de la CJUE portait alors non sur les PM10 mais sur le dioxyde d’azote (NO2), dont les concentrations dépassaient les valeurs limites dans douze zones. Lire notre article sur le sujet.
Cette nouvelle saisine s’inscrit également dans le contexte d’une procédure en cours, au niveau national cette fois, par le Conseil d’Etat. En 2017, le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative publique française, avait demandé par décision du 12 juillet 2017 que le Gouvernement mette en place des mesures pour réduire la pollution de l’air dans plusieurs zones du territoire français. Il constatait que les mesures mises en place, comme les Plans de Protection de l’Atmosphère (PPA), étaient insuffisants. Après avoir constaté que dans les huit zones encore en dépassement, le Gouvernement n’avait toujours pas pris les mesures permettant de respecter les valeurs limites de concentration applicables au NO2 et aux PM10, le Conseil d’Etat lui a enjoint, par une décision du 10 juillet 2020, d’agir dans un nouveau délai de six mois, sous peine d’une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre de retard (lire notre article sur le sujet).
A noter que la France n’est pas le seul Etat-membre visé par une telle procédure. En effet, le 5 avril 2017, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre de la Bulgarie, puis un 2e arrêt, à l’encontre de la Pologne, le 22 février 2018, pour non-respect des VLC des PM10 dans les deux cas. Plus récemment, le 10 novembre 2020, la CJUE a un rendu un 3e arrêt à l’encontre de l’Italie pour dépassement systématique et persistant des VLC quotidiennes et annuelles de PM10.
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