Le programme pour le climat du nouveau Président élu des Etats-Unis
Suite à l’élection présidentielle des Etats-Unis du 3 novembre 2020, le démocrate Joe Biden deviendra le 20 janvier 2021 le 46e Président de la première puissance économique mondiale et du deuxième pays émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Le Citepa revient sur le volet « climat » de son Programme électoral, dont la devise était « la promesse Biden : science et pas fiction ».
Le programme climat de Joe Biden
La vice-Présidente élue Kamala Harris et le climat
Le 11 août 2020, Joe Biden a choisi Kamala Harris comme colistière et candidate à la vice-Présidence des Etats-Unis. Sénatrice de la Californie, elle a été co-auteure du « US Green New Deal » (2018) et co-architecte du projet de loi sur l’équité climatique (adoptée en 2019). Elle a également été très active dans la lutte pour la justice climatique aux USA.
Joe Biden, avec son Plan climat et justice environnementale, s’engage :
Au niveau de la politique nationale
- à atteindre une économie 100% énergies propres et un objectif de zéro émission nette (ZEN) en 2050,
- à exiger du Congrès [le Parlement américain] qu’il adopte une législation la 1ère année de sa Présidence qui :
- mette en place un mécanisme pour faire respecter l’objectif ZEN 2050,
- fixe un objectif intermédiaire de réduction à atteindre en 2025,
- prévoie d’importants investissements dans la R&D sur le climat et l’énergie
Enfin, Joe Biden s’engage à créer l’ARPA-C, une nouvelle agence de projets de recherche avancée transversale axée sur le climat. Cette initiative ciblera des technologies transformatrices pour aider les Etats-Unis à atteindre son futur objectif de 100% d’énergie propre d’ici 2050.
Au niveau de la politique internationale
- à ramener les USA dans l’Accord de Paris le premier jour de son mandat (le 20 janvier 2021) [le Président sortant, Donald Trump, ayant annoncé le retrait du pays en 2017] ;
- à renouveler la contribution des USA au Fonds vert pour le climat (GCF) (l’ancien Président Obama s’était engagé à verser 3 milliards (Mds) de $ au GCF, mais il n’a pu verser que 1 Md $, le Président sortant, Donald Trump ayant bloqué le versement des 2 Md $ restants – voir tableau des annonces et versements au GCF par pays, au 31 juillet 2020),
- à engager une dynamique internationale pour inciter tous les pays à rehausser l’ambition de leurs objectifs climat nationaux, notamment en convoquant, dans les 100 premiers jours de son mandat, un sommet climat mondial pour rallier les dirigeants des grands pays émetteurs,
- à ratifier l’amendement de Kigali au Protocole de Montréal sur les HFC et renforcer la dynamique pour réduire leur production et consommation,
- à conclure des accords bilatéraux USA-Chine sur la réduction des émissions de GES (à l’instar de celui du 12 novembre 2014 qui a ouvert la voie à l’adoption de l’Accord de Paris),
- à exiger l’interdiction mondiale des subventions aux combustibles fossiles,
- à intégrer le changement climatique dans la politique étrangère des USA.
Pour financer la mise en œuvre de son Plan Climat et Justice environnementale, le Président élu prévoit un budget de 1 700 milliards de $ sur la décennie 2021-2030, soit 170 milliards de $ par an sur la période.
Prochaines étapes
La bataille pour sauver le climat
Le 5 novembre 2020, deux jours avant de remporter l’élection présidentielle, Joe Biden a renouvelé son engagement de ramener les Etats-Unis dans l’Accord de Paris le premier jour de son mandat (le 20 janvier 2020), en cas de victoire. Le 7 novembre 2020, dans son discours de victoire, le nouveau Président élu a déclaré entre autres : « Quel est notre mandat ? Je crois que c’est le suivant : Les Américains nous ont demandé de mobiliser les forces de la décence et les forces de l’équité. De rassembler les forces de la science et les forces de l’espoir dans les grandes batailles de notre temps. La bataille pour contrôler le virus. La bataille pour construire la prospérité. […] La bataille pour sauver le climat« .
L’éventuel obstacle du Sénat
Au-delà de ses ambitions politiques, Joe Biden aura besoin du soutien de la chambre supérieure (Senate) du Parlement américain (Congress) pour faire passer des lois. Or, en l’état actuel des choses, il n’est pas acquis que Joe Biden obtienne une majorité démocrate au Sénat. Une majorité républicaine au Sénat limiterait sa marge de manœuvre au niveau national, et constituerait surtout un frein important aux ambitions climat de Joe Biden, notamment, à un renforcement de l’action climat nationale via un nouveau plan climat fixant de nouveaux objectifs de réduction de GES (au-delà de ceux inscrits dans la première contribution nationale (NDC) des Etats-Unis à l’Accord de Paris, remise le 3 septembre 2016 (-26 à -28% d’ici 2025 par rapport à 2005). Selon le site foreignpolicy.com : « Si le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell poursuit sa démarche qu’il a suivie pendant une grande partie de l’administration Obama, cela signifiera très probablement un blocage du programme législatif des démocrates sous Joe Biden. » Même avec une majorité démocrate serrée au Sénat, Joe Biden aurait besoin d’un soutien d’un minimum de Républicains pour faire adopter une législation sur le climat. Le contrôle du Sénat aura ainsi un impact très important sur la politique climat fédérale.
Par conséquent, il pourrait éventuellement recourir à la voie réglementaire (décrets présidentiels [executive orders]), comme l’avait fait Barack Obama, en signant un décret présidentiel, le 29 août 2016, afin de faire adhérer les Etats-Unis à l’Accord de Paris et un autre le 3 août 2015 pour adopter son Plan pour la production d’électricité propre (Clean Power Plan). Cependant, pour adopter un plan climat national efficace, ambitieux et robuste, le Président élu Joe Biden aura besoin de l’approbation du Sénat, selon l’ONG américaine 350.org (source : ClimateHomeNews, 06/11/2020).
Le scénario d’une majorité républicaine au Sénat pourrait donc compromettre le niveau d’ambition d’un nouvel objectif de réduction des Etats-Unis. Dans le cadre de sa démarche de faire réadhérer son pays à l’Accord de Paris, Joe Biden devrait soumettre une nouvelle NDC en amont de la COP-26, qui démarrera le 1er novembre 2021, soit neuf mois environ après sa prise de fonctions, au 20 janvier 2021. La fenêtre d’opportunité qui s’ouvre au nouveau Président élu est donc relativement courte.
Vers un nouveau leadership climat des Etats-Unis ?
Suite à l’élection d’un Président qui reconnaît la science du changement climatique et qui soutient l’action climat mondiale et nationale, les Etats-Unis pourraient jouer de nouveau un rôle moteur pour renforcer l’action climat mondiale. Selon plusieurs observateurs, ce sera une grande avancée pour la diplomatie climat internationale (source : ClimateHomeNews, 12/08/2020). Cela permettrait aux Etats-Unis de donner une forte impulsion aux efforts internationaux. En plus, puisque la COP-26 est reportée, cela leur donnerait plus de temps que prévu pour le faire. Vu le report de la COP-26, le sommet climat proposé par Biden prend une nouvelle importance et pourrait poser les fondements d’un rehaussement du niveau d’ambition, notamment des grands émetteurs. Ainsi, si les Etats-Unis adoptent des objectifs 2025 plus ambitieux que ceux de la NDC actuelle, cela pourrait inciter d’autres grands émetteurs à leur emboîter le pas (Chine, Australie, Japon, Inde,…) – donc il pourrait y avoir un effet d’entraînement. Un retour des Etats-Unis sur la scène de l’action climat internationale pourrait saper les efforts des pays retardataires (Australie, Arabie saoudite, Brésil, Russie,…) pour entraver le progrès – le climato-scepticisme de l’ancien Président Trump les a encouragés à exprimer leur désaccord et opposition. Quoi qu’il en soit, si Biden souhaite réellement être moteur d’une nouvelle impulsion diplomatique pour rehausser le niveau d’ambition collective, il devra coopérer étroitement avec l’UE, la Chine et la Présidence britannique de la COP-26.
Si le nouveau Président élu annonce effectivement un objectif national de zéro émission nette pour 2050, il rejoindra plusieurs autres grands émetteurs de GES (Corée du Sud, Japon, Chine, UE,…).
Une question primordiale : quel impact sur la Chine ?
La relation sino-américaine aujourd’hui est très différente de celle qui précédait la COP-21. Sur fond de conflits USA-Chine autres que le climat (commerce, droits de propriété intellectuelle, droits de l’homme à Hong Kong,…). La tâche de redynamiser l’axe Pékin-Washington sera sans doute ardue. Cependant, l’administration Biden-Harris pourrait permettre de cibler les domaines politiques de coopération qui bénéficieront aux deux Parties tels l’action climat, plutôt que d’enfoncer les USA dans une confrontation économique et géopolitique acharnée.
En savoir plus :
- le Plan climat et justice environnementale de Joe Biden
- Nature : Scientists relieved as Joe Biden wins tight US presidential election, 7 novembre 2020
- ClimateHomeNews : Climate watchers celebrate Biden victory over Trump in US election, 7 novembre 2020. Commentaires notamment par Laurence Tubiana (co-architecte de l’Accord de Paris), Todd Stern (ancien envoyé spécial pour le climat sous Barack Obama), Fatih Birol (directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie), Lord Nicolas Stern (économiste britannique), Alok Sharma (Président de la COP-26), etc.
- World Resources Institute (WRI) : « Top 10 priorities for President Biden to tackle the climate crisis », 7 novembre 2020.