NO2 et PM10 : le Conseil d’Etat ordonne au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air d’ici 6 mois sous peine d’une amende de 10 M€
En 2017, le Conseil d’Etat avait demandé que le Gouvernement mette en place des mesures pour réduire la pollution de l’air dans plusieurs zones du territoire (voir encadré ci-dessous). Il a constaté que les mesures mises en place, comme les Plans de Protection de l’Atmosphère (PPA), étaient insuffisants. Après avoir constaté que le Gouvernement n’a toujours pas pris les mesures permettant de respecter les valeurs limites de concentration applicables au NO2 et aux PM10, le Conseil d’Etat lui enjoint, par une décision du 10 juillet 2020, d’agir dans un nouveau délai de six mois, sous peine d’une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre de retard.
Lire notre article sur la première décision du 12 juillet 2017.
Le Conseil d’Etat et sa décision du 12 juillet 2017
Le Conseil d’Etat est la plus haute juridiction administrative publique française. Il est notamment le juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.
Par décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat a enjoint le Premier Ministre et le Ministre de la Transition Ecologique de l’époque de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre, pour chacune des zones dans lesquelles les valeurs limites de concentration (VLC) étaient encore dépassées en 2015, des plans « qualité de l’air » permettant de ramener les concentrations de NO2 et de PM10 en dessous des VLC fixées par la directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air (2008/50/CE) (annexe XI) et ce, avant le 31 mars 2018.
Dans sa décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’Etat a constaté pour chaque année de 2012 à 2014 :
- que dans 16 zones administratives de surveillance de la qualité de l’air (zone urbaine régionale [ZUR] Rhône-Alpes, Paris, Marseille, Toulon, Nice, Rouen, Saint-Etienne, Grenoble, Lyon, Strasbourg, Montpellier, Rennes, ZUR Champagne-Ardenne, Nancy, Metz et Toulouse), les VLC applicables au NO2 ont été dépassées ;
- que dans trois zones (ZUR Rhône-Alpes, Paris et ZUR Martinique), les VLC pour les PM10 ont été dépassées.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat a souligné dans se décision du 12 juillet 2017 :
- qu’eu égard aux dépassements persistants observés sur 2012-2014, les PPA (Plans de protection de l’atmosphère) établis dans les zones concernées (conformément à la directive 2008/50/CE, 23) et leurs conditions de mise en œuvre doivent être jugés comme insuffisants au regard des objectifs et obligations de la directive 2008/50/CE ;
- que ces PPA n’ont donc pas permis d’assurer, dans un délai raisonnable, le respect des VLC et en déduit que de nouvelles mesures doivent être prises afin que soient respectées les obligations fixées par la directive.
Contexte
Le 2 octobre 2018, un collectif de 70 associations de défense de l’environnement avait demandé au Conseil d’État de constater que le Gouvernement n’avait pas mis en œuvre, à l’échéance du 31 mars 2018, les mesures ordonnées par sa décision du 12 juillet 2017 et de prononcer, en conséquence, une astreinte pour le contraindre à exécuter cette décision.
Le constat de la carence de l’Etat à agir
Le Conseil d’État, réuni en Assemblée du contentieux (sa formation la plus solennelle), constate d’abord que les VLC restent dépassées dans neuf zones administratives de surveillance en 2019 (dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’Etat des chiffres complets) : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le NO2, Fort-de-France pour les PM10, et Paris pour le NO2 et les PM10.
Le Conseil d’État relève que le PPA élaboré en 2019 pour la vallée de l’Arve (Haute-Savoie) comporte des mesures précises, détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l’air et assure un respect des VLC d’ici 2022. En revanche, les « feuilles de route » élaborées par le Gouvernement pour les autres zones (lire notre article sur le sujet) ne comportent ni estimation de l’amélioration de la qualité de l’air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs. Enfin, s’agissant de l’Ile-de-France, le Conseil d’État relève que si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles, la date de 2025 qu’il retient pour assurer le respect des VLC est, eu égard aux justifications apportées par le Gouvernement, trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une exécution correcte de la décision de 2017.
Aux termes de la décision :
[paragraphe 9] « […] pour l’exécution de la décision du 12 juillet 2017, le Gouvernement a notamment adopté 14 « feuilles de route », qui ont été rendues publiques le 13 avril 2018 et transmises à la Commission européenne le 19 avril 2018. Si ces documents précisent, de façon plus ou moins détaillée, pour chaque zone concernée, une liste d’actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, ils ne comportent, à l’instar des autres mesures mises en avant par le Gouvernement ne relevant pas des plans de protection de l’atmosphère, aucune estimation de l’amélioration de la qualité de l’air qui en est escomptée, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs, contrairement aux exigences posées à l’annexe XV de la directive du 21 mai 2008 et transposées à l’article R. 222-15 du code de l’environnement ». [paragraphe 11] « Il résulte […] que, pour chacune des zones administratives de surveillance […] dans lesquelles les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement demeurent dépassées, à l’exception de celle de la Vallée de l’Arve […], les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d’établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible. Il en résulte que pour les ZAS Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne – Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulouse, pour la région Occitanie et Paris, pour la région Ile-de-France, s’agissant des taux de concentration en [NO2], et pour les ZAS Paris et Fort-de-France, s’agissant des taux de concentration en PM10, à la date de la présente décision, l’Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision« .Voir texte intégral de la décision.
Conclusions du Conseil d’Etat : l’octroi d’un nouveau délai de six mois et le prononcé d’une astreinte de 10 M€
Le Conseil d’État en déduit que, hormis pour la vallée de l’Arve, l’État n’a pas pris des mesures suffisantes dans les huit zones encore en dépassement pour que sa décision du 12 juillet 2017 puisse être jugée comme ayant été pleinement exécutée.
En conséquence, le Conseil d’État a décidé d’infliger à l’État une astreinte (amende) de 10 M€ par semestre (soit plus de 54 000 € par jour) tant qu’il n’aura pas pris, dans un délai de six mois suivant la notification de la décision du 10 juillet 2020 (soit d’ici le 10 janvier 2021), les mesures qui lui ont été ordonnées. Selon le Conseil d’État, cette décision est justifiée, compte tenu du délai écoulé depuis sa première décision, de l’importance du respect du droit de l’UE, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l’urgence particulière qui en résulte.
Le Conseil d’État a également ordonné au Premier Ministre de lui communiquer, d’ici le 10 janvier 2021, copie des actes justifiant des mesures mises en œuvre pour exécuter sa première décision du 12 juillet 2017.
Le Conseil d’État juge pour la première fois que, si l’État ne prenait pas les mesures nécessaires dans le délai imparti, cette somme pourrait être versée non seulement aux associations requérantes mais aussi à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine.
Le Conseil d’État précise enfin que ce montant, le plus élevé jamais imposé par une juridiction administrative française pour contraindre l’Etat à exécuter une décision prise, pourra être révisé par la suite, y compris à la hausse, si la décision de 2017 n’a toujours pas été pleinement exécutée.
Analyse
D’après Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, la décision rendue le 10 juillet 2020 par le Conseil d’Etat est d’une particulière importance pour l’application du droit de l’environnement et le fait qu’elle ait été prise en Assemblée du contentieux en témoigne, et ce pour les motifs suivants :
- « le montant de l’astreinte prononcée est particulièrement élevé au regard des décisions généralement prises par le juge administratif en ce domaine ;
- l’objet de l’astreinte est tout aussi important que son montant : le Conseil d’Etat manifeste ainsi son souci de contribuer à l’application du droit européen de l’environnement, ici relatif à la qualité de l’air ;
- cette décision démontre que le contentieux de la légalité est tout aussi efficace, sinon davantage, que celui de la responsabilité de l’Etat pour assurer la protection de l’environnement. Demander au juge d’enjoindre sous astreinte l’Etat à appliquer le droit de l’environnement est sans doute plus efficace qu’une action en recherche de responsabilité ;
- cette décision apporte d’importantes précisions sur les conditions de liquidation de l’astreinte« .
Toutefois, souligne Arnaud Gossement, il faut aussi rappeler :
- « que la durée de ce contentieux est longue : la demande de l’association requérante date de 2015 et la directive 2008/50/CE dont le respect est ici en cause date de 2008, il y a 12 ans donc. En outre, le Conseil d’Etat aura, à deux reprises, mis deux ans à statuer sur la demande qui lui était adressée. Son premier arrêt du 12 juillet 2017 procède d’un recours déposé en 2015 et son deuxième arrêt rendu ce 10 juillet 2020 procède d’un recours déposé en 2018. La durée de ce contentieux aurait peut-être pu être réduite, notamment par le prononcé d’une astreinte dès la décision du 12 juillet 2017. Eu égard à l’ancienneté du droit applicable (2008) et à l’urgence sanitaire qui s’attache à la prévention de la pollution de l’air, le temps d’intervention du juge administratif demeure long ;
- que le montant de l’astreinte peut être révisé à la hausse comme à la baisse. Il est donc prématuré de qualifier d’historique le montant de l’astreinte dès l’instant où ce dernier n’est en réalité pas encore définitivement fixé. Si l’Etat exécute en tout ou en partie son obligation, le montant de l’astreinte pourra être réduit sinon annulé ;
- qu’une partie de cette astreinte, dont le pourcentage reste à fixer, pourrait être versée à une personne – publique ou privée – en charge d’un service public, ce qui revient, directement ou non, à permettre à l’Etat de se verser une partie de l’astreinte à lui-même« .
En définitive, selon Arnaud Gossement, « cette décision est ‘historique’ par le montant de l’astreinte prononcée (à différencier de l’astreinte liquidée) mais ne l’est pas si l’on considère la durée de ce contentieux et le fait qu’il est nécessaire d’attendre encore au moins six mois pour savoir si cette astreinte sera effectivement liquidée et, dans l’affirmative, son montant et ses conditions d’affectation« .
Prochaines étapes
La procédure, commencée en 2015, n’est pas terminée. Passé un délai de six mois, le Premier ministre doit communiquer à la section du rapport et des études du Conseil d’Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la décision du 12 juillet 2017 (concrètement : de nouveaux PPA (ou autres plans) plus ambitieux que les « feuilles de route »). Le juge de l’exécution du Conseil d’Etat devra alors vérifier si ces actes correspondent aux prescriptions de la décision du 12 juillet 2017. Il pourra décider que la décision du 12 juillet 2017 a été : totalement, partiellement ou pas du tout exécutée. En tant que de besoin, le Conseil d’Etat pourra fixer le taux définitif de l’astreinte et ordonner la liquidation de l’astreinte.
La France aussi condamnée par la Cour de Justice de l’UE sur le non-respect de cette même directive
La décision du 10 juillet 2020 du Conseil d’Etat fait suite à l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE (CJUE), rendu le 24 octobre 2019, à l’encontre de la France pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant. Dans son arrêt, la CJUE condamne la France à deux titres :
- dépassement systématique et persistante de la VLC annuelle pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans 12 agglomérations et zones de qualité de l’air françaises*, et en dépassant de manière systématique et persistante la VLC horaire pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans deux agglomérations et zones de qualité de l’air françaises (Paris et Lyon Rhône-Alpes). La CJUE souligne que ce faisant, la France a continué de manquer, depuis cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI, et ce depuis l’entrée en vigueur des valeurs limites le 1er janvier 2010
- manquement, depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.
Lire notre article sur la condamnation de la France par la CJUE.
Une deuxième procédure d’infraction a été engagée contre la France, pour non-respect des valeurs limites de concentration (VLC) des PM10 fixées par la directive 2008/50/CE (cf. avis motivé de la Commission européenne du 28 octobre 2011 et avis motivé complémentaire de la Commission du 29 avril 2015 (lire notre article sur le sujet). Cette procédure est toujours en cours d’instruction.
* Marseille, Toulon, Paris, Auvergne-Clermont-Ferrand, Montpellier, Toulouse Midi-Pyrénées, zone urbaine régionale (ZUR) Reims Champagne-Ardenne, Grenoble Rhône-Alpes, Strasbourg, Lyon Rhône-Alpes, ZUR Vallée de l’Arve Rhône-Alpes et Nice.
En savoir plus :
- communiqué du Conseil d’Etat,
- décision du Conseil d’Etat,
- analyse d’Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement.