Nouveaux appels pour allier plans de relance économiques et réduction des émissions de GES
Le Citepa avait précédemment réalisé des synthèses sur les différentes publications, scientifiques et politiques, portant sur les liens entre la crise du COVID-19, en France et dans le monde, et les enjeux climat (lire notre article de mars 2020 et notre article d’avril 2020). Depuis, d’autres travaux ont été publiés, et l’urgence climatique est restée un sujet au cœur des débats alors que les premiers plans de relance économiques sont annoncés.
Des appels pour une relance verte
Si la baisse des émissions de GES est sans précédente (lire notre article), celle-ci n’est, pour le moment, que temporaire. En effet, elle n’est pas due à des transformations structurelles durables de l’économie mais surtout à un arrêt massif des transports et la mise en pause de certaines activités. Comme le suggèrent plusieurs publications et appels récents, les mesures de relance de l’économie pourraient être l’occasion de mettre en place ces transformations structurelles. Selon ONU Environnement, pour respecter les 1,5°C, les émissions mondiales devraient baisser de 7,6% par an, soit un niveau comparable à la réduction obtenue via les mesures exceptionnelles, mais non durables, prises pendant cette crise.
I4CE (Institut de l’économie pour le climat) a publié le 1er avril 2020 une proposition de plan de relance de l’économie française, via des investissements publics et privés (19 milliards d’euros par an jusqu’à 2023) avec des mesures ciblant notamment les secteurs déjà visés par la SNBC-2 (rénovation des bâtiments, transports en commun, infrastructures ferroviaires, aménagements cyclables, véhicules bas-carbone, électricité d’origine renouvelable, etc. mais aussi émissions importées).
Le rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) du 22 avril, (lire notre article), en plus de quantifier l’impact possible des mesures de confinement sur les émissions de la France, propose aussi des pistes d’actions pour allier sortie de crise sanitaire et atteinte des objectifs vers la neutralité carbone. Il formule 18 recommandations en ce sens, dont l’intégration de l’urgence climatique dans les plans de relance ; dans les politiques de chaque ministère, le conditionnement des aides et incitations fiscales à des investissements bas-carbone, etc. (lire notre synthèse des 18 recommandations).
Le Shift Project, centre de réflexion français œuvrant pour une transition bas-carbone, a annoncé le 6 mai 2020 travailler sur un plan de transformation de l’économie française (voir programme de présentation) qui vise à proposer des axes de transition secteur par secteur, avec une cohérence d’ensemble, afin de se concentrer sur les actions concrètes à mener.
L’ONG Climate Action Network a aussi publié, le 6 mai 2020, une proposition de de plan d’urgence économique et écologique, reprenant son plan d’urgence climatique publié en septembre 2019.
Climate Action Tracker, consortium de deux instituts de recherche indépendants (Climate Analytics et New Climate Institute) qui évalue les engagements de réduction des Etats au regard des objectifs de 2°C et de 1,5°C, propose une feuille de route montrant les effets de plusieurs scénarios de réponse à la crise. Si les différents gouvernements adoptent des plans de relance verts, les effets tant sur l’économie que le climat seraient bénéfiques ; alors que l’abandon des politiques environnementales prévues ou déjà actées entraînerait un rebond des émissions de GES, voire une hausse encore plus forte que prévue en 2030. Ces différents scénarios sont représentés sur le graphique ci-dessous, à droite.
La crainte d’un risque de décisions politiques privilégiant les enjeux économiques sur les enjeux environnementaux reste présente dans le débat publique. Ainsi, dans une note d’analyse publiée le 7 mai 2020, l’organisme Carbon Market Watch rend compte des tentatives de plusieurs groupements d’intérêts d’affaiblir les politiques climat nationales et européennes et les mesures visant à instaurer un prix du carbone.
Un article publié le 8 mai 2020 dans la revue Oxford Review of Economic Policy, synthétise une enquête menée auprès de membres des banques centrales, Ministères des Finances et experts économiques des pays du G20. Les auteurs identifient ainsi cinq politiques ayant un fort potentiel tant sur la reprise économique que sur le climat : l’investissement dans les infrastructures, les bâtiments, l’éducation et la formation, le capital naturel et la R&D écologique.
Comme le souligne Glen Peters, climatologue au Centre de recherche international sur le climat (CICERO) : au-delà d’une réduction temporaire, ce qui compte est le cumul de CO2 dans l’atmosphère. Rapportée aux émissions de CO2 cumulées, une réduction temporaire de 5% des émissions de CO2 en 2020, aurait un effet indétectable sur les températures moyennes mondiales (-0,001°C). Ce sont donc des réductions d’émissions répétées, année après année, qui auront un effet sur le climat à moyen et long terme.
Des premières annonces
Le 18 mai 2020, une initiative franco-allemande pour la relance de l’UE a été annoncée. Son troisième point vise l’accélération des transitions verte et numérique, vers la neutralité carbone en 2050, et propose de rehausser l’objectif européen de réduction des émissions de GES à l’horizon 2030 (entre -50 et -55%, lire notre article sur la proposition législative en ce sens) avec des mesures visant les fuites de carbone ; d’introduire un prix minimum du carbone dans le cadre du SEQE (système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne), puis à terme d’aller vers un SEQE visant tous les secteurs.
Le 24 avril 2020, un plan de soutien du gouvernement français pour la compagnie aérienne Air France-KLM a été annoncé. Ce plan, qui reste subordonné à son approbation par la Commission européenne, et doit être finalisé, inclut des contreparties environnementales (condition sine qua non de la signature du plan par l’Etat) et notamment visant les émissions de CO2. Ainsi, le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire a indiqué que « dès lors qu’il y a une alternative ferroviaire à des vols intérieurs avec une durée de moins de 2h30, ces vols intérieurs devront être drastiquement réduits et limités simplement aux transferts vers un hub« . De son côté, Air France s’engage à réduire de 50% ses émissions de CO2 par passager de ses vols métropolitains d’ici fin 2024 et sur un objectif de 2% de carburant alternatif durable à partir de 2025.
Le 26 mai 2020, le Président de la République a annoncé un plan de relance, de plus de 8 Mds€, du marché automobile français visant notamment à favoriser le renouvellement du parc. Pour cela, la prime à l’achat d’un véhicule électrique ainsi que la prime à la conversion sont augmentées, et une prime pour l’achat de véhicules hybrides rechargeables est créée (voir dossier d’informations sur le plan de relance). Le décret n°2020-656 du 30 mai 2020 relatif aux aides à l’acquisition ou à la location des véhicules peu polluants concrétise cette mesure annoncée.
Par ailleurs, le 27 mai 2020, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, a annoncé un plan de relance européen avec à la clé un nouvel instrument de relance « Next Generation EU » doté d’une enveloppe de 750 milliards d’euros (dont 500 Md€ en subventions et 250 Md€ en prêts aux Etats membres). Ce nouvel instrument de relance viendra renforcer le Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal) et abonder le financement déjà prévu dans le cadre du Fonds pour une transition juste ou FTJ) (lire notre dossier de fond sur le pacte vert pour l’Europe et le FTJ).
Les prochains mois seront l’occasion de suivre les futures annonces et plans politiques, et d’analyser leur pertinence en termes de potentiel de réduction des émissions des GES. L’impact temporaire du Covid-19 sur le bilan d’émissions de GES de 2020 sera un point important des futurs travaux d’inventaire au Citepa. Les futurs bilans permettront de voir si, à cette occasion, une dynamique massive et durable de baisse des émissions a pu être enclenchée.