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Méthane : vers une stratégie européenne de réduction des émissions ?

  • Réf. : 2020_05_a06
  • Publié le: 20 mai 2020
  • Date de mise à jour: 30 juin 2020
  • UE
  • International

Le 12 mai 2020, le Groupe des Investisseurs Institutionnels sur le Changement Climatique (IIGCC), organisme européen rassemblant des investisseurs institutionnels (230 membres dans 15 pays européens) désireux de mobiliser des capitaux pour la transition énergétique, a transmis une lettre au Vice-Président de la Commission européenne, Frans Timmermans, et à la Commissaire européenne à l’Energie, Kadri Simson. Dans cette lettre, l’IIGCC leur demande, dans le cadre du futur plan stratégique sur le méthane issu de l’énergie (voir plus loin), d’examiner la possibilité d’élaborer une proposition législative en 2020 pour adoption fin 2021. Ce texte s’inscrirait dans le cadre du pacte vert pour l’Europe (European Green Deal) (lire notre dossier de fond sur le sujet).

Selon l’IIGCC, les éléments de base d’un futur plan stratégique sur le méthane devraient être les suivants :

  • l’adoption d’une norme obligatoire pour le CH4 pour le secteur de l’énergie : intensité minimale de 0,25% de l’approvisionnement en amont couvrant toutes les quantités de gaz vendues dans l’UE d’ici 2025, en s’efforçant d’atteindre 0,2% si possible, comme objectif intermédiaire dans la trajectoire vers zéro émission nette (en 2050). Ce niveau serait l’équivalent de celui sur lequel se sont engagées l’initiative OGCI (Oil and Gas Climate Initiative) et les principales compagnies européennes [l’OGCI a été lancée lors du Sommet extraordinaire des dirigeants mondiaux sur le climat, convoqué par l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-moon, le 23 septembre 2014 à New York – lire notre article sur le sujet] ;
  • la recherche d’une grande précision dans la mesure des émissions de CH4, avec à la clé une vérification robuste et fiable, par des organismes tiers, de toutes les quantités de gaz vendues dans l’UE ;
  • la mise en place de mesures de déclaration robustes pour les compagnies afin d’établir la confiance des investisseurs et de soutenir leur prise de décision.

 

L’IIGCC exhorte la Commission et les deux co-législateurs (Conseil de l’UE et Parlement européen) à examiner cette question de façon urgente, notamment dans le cadre des discussions en cours sur le rehaussement de l’objectif de réduction des émissions de GES pour 2030 (lire notre article sur le sujet). Il insiste sur l’importance d’envoyer un signal clair aux investisseurs.

 

Le méthane, un enjeu climat majeur

Le méthane est émis en quantité moindre que le CO2, néanmoins son rôle dans le changement climatique est majeur. Puissant gaz à effet de serre, il a une courte durée de vie de l’atmosphère et a donc un effet sur le court terme.

Le méthane : sources d’émissions et effet sur le climat

Le méthane (CH4) est un puissant gaz à effet de serre (GES), un forceur climatique à courte durée de vie (SLCF – lire notre article sur le sujet) (comme le carbone suie, l’ozone troposphérique et certaines espèces d’HFC), ainsi qu’un précurseur d’ozone troposphérique (comme les NOx, les COVNM et le CO).

Selon l’édition 2019 du Bulletin annuel sur les GES publié par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) le 25 novembre 2019 (lire notre article sur le sujet), le CH4 est le deuxième contributeur au forçage radiatif total des GES, à hauteur de 17% en 2018, après le CO2 (66%) et avant le N2O (6%). En 2018, les concentrations moyennes mondiales de CH4 dans l’atmosphère ont atteint les niveaux les plus élevés jamais enregistrés depuis l’époque pré-industrielle (1750) : 1 869 parties par milliard (ppb), soit +159% depuis 1750 (722 ppb).

La principale source émettrice est le secteur de l’agriculture, en particulier du fait de la fermentation entérique et des déjections animales. Parmi les autres sources émettrices, on retrouve le transport et distribution du gaz naturel, le stockage de déchets en décharges, les émissions naturelles dans les zones humides…Enfin, une source naturelle probable, à l’avenir, est le dégel du permafrost dans les zones arctiques.

Par rapport à d’autres gaz à effet de serre (CO2, N2O, HFC, PFC, SF6, NF3), le CH4 a une durée de vie dans l’atmosphère courte. Ainsi, dans son 5e rapport d’évaluation (2013), le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’estime à 12,4 ans (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732), une légère réévaluation de son estimation de 12 ans indiquée dans son 4e rapport (2007) (voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212). C’est pour cette raison que le CH4 fait partie de la catégorie des forceurs climatiques à courte durée de vie (lire notre article sur le sujet).

Quant à la valeur PRG (pouvoir de réchauffement global lire notre article sur le sujet, premier encadré) du CH4, elle diffère sensiblement selon que le PRG soit considéré sur 20 ans ou sur 100 ans. Sur 100 ans, le  le 5e rapport d’évaluation l’estime à 28 ans (contre 25 ans dans le 4e rapport). Cependant, sur 20 ans, le PRG du CH4 est beaucoup plus important : 72 dans le 4e rapport, réévalué à 84 dans le 5e rapport (sources : AR4, voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212 ; AR5, voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732). Autrement dit, le CH4 a un effet sur le climat beaucoup plus fort à court terme (20 ans) qu’à long terme (100 ans).

Enfin, d’après un rapport du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) publié en 2011, mettre en œuvre 16 mesures ciblant le CH4 et le carbone suie réduiraient les émissions mondiales de CH4 de 38% entre 2010 et 2030, et réduirait le réchauffement climatique de 0,4°C d’ici 2050.

 

Au niveau mondial

D’après le 5e rapport d’évaluation du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié en 2014 (lire notre dossier de fond sur le sujet), le CH4 est le deuxième GES après le CO2 (16% des émissions mondiales de GES en 2010).

Répartition des émissions anthropiques totales de GES en 2010 par gaz

 

Dans son rapport spécial dit 1,5°C (Impacts du réchauffement planétaire de +1,5°C et trajectoires d’émissions mondiales de GES associées, publié le 8 octobre 2018 – lire notre dossier de fond sur le sujet), le Giec a souligné que pour limiter le réchauffement à +1,5°C, il faut réduire les émissions de CH4 de 35% d’ici 2050 (par rapport à 2010). Par ailleurs, le Giec estime que les éventuelles émissions de carbone (CO2 et CH4) du futur dégel du permafrost, ainsi que les émissions de CH4 des zones humides, réduiraient les budgets carbone de 100 Gt CO2e au cours du 21e siècle et d’une quantité supérieure au-delà du 21e siècle.

Au niveau européen

En 2018, les émissions de CH4 (456 Mt CO2e) représentait 10,5% des émissions totales de GES dans l’UE hors UTCATF (4 235 Mt CO2e), en baisse de 38% depuis 1990 (où leur niveau était de 740 Mt CO2e). Les deux principales sources d’émission sont l’agriculture (72% des émissions de CH4 dans l’UE en 2018, en particulier la fermentation entérique des ruminants [bovins principalement]) ; et les déchets (notamment le traitement anaérobie) (source : Rapport d’inventaire de l’UE (UE27 avec R-U, + Islande) à la CCNUCC (NIR), éd. 2020).

Au niveau de la France

En France, en 2018, le secteur agricole représentait 68% des émissions nationales totales de CH4 (France métropolitaine et Outre-mer inclus dans l’UE, hors UTCATF). Le deuxième secteur émetteur était le traitement centralisé des déchets (22%). Sur la période 1990-2017, les émissions de CH4 ont baissé de manière significative (-540 kt, soit -20%). Cette baisse est due en particulier aux évolutions du secteur de la transformation d’énergie (-220 kt soit -82%) avec la cessation progressive de l’exploitation des gisements de charbon en France et le développement des programmes de remplacement des tronçons les plus vétustes du réseau de transport et de distribution gazier (Source : Rapport d’inventaire de la France à la CCNUCC (NIR), éd. 2020, réalisé par le Citepa).

Lire le chapitre sur les émissions de GES de l’édition 2019 de notre rapport Secten.

 

Retour chronologique sur les principales étapes ces dernières années vers une stratégie européenne visant le CH4

Depuis plusieurs années, de nombreux experts appellent à accorder une plus grande attention à la diminution urgente des émissions de CH4, dont les effets sur le climat sont importants sur le court terme (Lire notre article sur le sujet). En 2009, la France avait remis une note en ce sens au Conseil de l’Environnement de l’UE (lire notre article sur le sujet).

Le CH4, en tant que précurseur d’ozone troposphérique, figurait parmi les six polluants initialement visés dans le cadre de la révision, en 2013, de la directive NEC (proposition de directive révisant la directive 2001/81/CE sur les plafonds d’émission nationaux), proposition présentée par la Commission dans le cadre du Paquet Air, le 18 décembre 2013 – lire notre article sur le sujet). Cependant, sur la base des préoccupations des Etats membres, tant au niveau politique que technique, en vue de parvenir à une position commune sur ce texte au sein du Conseil Environnement de l’UE, la Présidence lettone de l’époque a retiré le CH4 du champ d’application de la future directive NEC 2 pour éviter d’éventuels chevauchements car le CH4 est également un puissant gaz à effet de serre (GES) et, de ce fait, visé par la politique climat de l’UE. Toutefois, la directive définitive adoptée (directive (UE) 2016/2284) comportait une déclaration de la Commission sur la surveillance des émissions de CH4 :

« La Commission estime très souhaitable, pour la qualité de l’air, de suivre l’évolution des émissions de méthane dans les États membres, en vue de réduire les concentrations d’ozone dans l’Union européenne et d’encourager la réduction des émissions de méthane dans le monde. La Commission confirme qu’elle entend continuer à analyser, sur la base des émissions nationales déclarées, l’incidence des émissions de méthane sur la réalisation des objectifs fixés à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [NEC 2], et qu’elle envisagera des mesures pour réduire ces émissions et présentera, s’il y a lieu, une proposition législative à cet effet. Dans son analyse, la Commission tiendra compte d’un certain nombre d’études en cours dans ce domaine, dont l’achèvement est prévu en 2017, ainsi que des nouveaux éléments pertinents intervenant sur le plan international« .

Dans son rapport intitulé « Perspectives pour un air propre » (Clean Air Outlook), publié le 7 juin 2018 (lire notre article sur le sujet), la Commission a indiqué que sur la base des travaux du Centre commun de recherche (JRC) concernant les émissions de CH4 et leur rôle dans la formation d’ozone troposphérique (rapport technique publié le 30 octobre 2018 – lire notre article sur le sujet), elle évaluerait, en 2019, le potentiel de réduction dans l’ensemble de l’hémisphère nord et l’impact associé sur les concentrations, afin de fixer des objectifs de réduction des émissions de ce forceur climatique à courte durée de vie, en coopération avec la Convention de la CEE-NU sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance, la Coalition pour le climat et l’air pur (CCAClire notre article sur le sujet) et l’Initiative mondiale CH4 (GMI) (anciennement Methane to Markets Initiative)(1).

Dans ses conclusions de ce rapport, la Commission a insisté sur l’importance d’examiner régulièrement l’impact des émissions de CH4 sur les concentrations d’ozone dans l’UE. Elle a précisé qu’elle évaluerait plus en détail les impacts des émissions de CH4 sur la réalisation des objectifs « qualité de l’air », qu’elle tiendrait compte des mesures de réduction et, le cas échéant, soumettrait une proposition législative, sur la base des éléments de preuves obtenus au niveau de l’UE et mondial.

L’article 16 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (lire notre article sur le sujet) mandate la Commission, compte tenu du PRG élevé du CH4 et de sa durée de vie relativement réduite dans l’atmosphère, pour analyser les implications de la mise en œuvre de politiques et de mesures de réduction de l’impact à court et à moyen terme des émissions de CH4 sur les émissions de GES de l’UE. La Commission est ainsi chargée d’étudier des options stratégiques pour lutter rapidement contre les émissions de CH4 et de présenter un plan stratégique de l’UE pour le CH4, dans le cadre de la stratégie de développement bas-carbone 2050 de l’UE (publiée le 28 novembre 2018 – lire notre article sur le sujet).

Le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), stratégie présentée par la Commission le 11 décembre 2019 (lire notre dossier de fond sur le sujet), prévoit une feuille de route composée d’actions destinées, entre autres, à réduire les émissions de GES. Ce pacte vert souligne entre autres que la décarbonation du secteur du gaz sera encouragée, notamment par un soutien accru au développement des gaz décarbonés, par la conception d’un marché du gaz décarboné compétitif, et par la résolution du problème des émissions de CH4 liées à l’énergie. Le pacte vert insiste également sur l’importance pour l’UE de nouer un dialogue avec les pays tiers au sujet de questions transversales en matière de climat et d’environnement, en particulier pour agir afin de réduire les émissions de CH4.

La Commission a organisé le 20 mars 2020 un atelier de travail (workshop) sur le sujet du plan stratégique de l’UE visant à réduire les émissions de CH4 du secteur de l’énergie. La Commission y a présenté ses propositions de principaux éléments de ce futur plan stratégique. L’objet de la réunion était d’engager un débat sur ces éléments avec les parties prenantes, des représentants des institutions de l’UE (Conseil, Commission et Parlement européen), et des représentants des Etats membres (voir programme et document de contexte diffusé par la Commission).

 

En savoir plus

– la lettre de l’IIGCC,

– les pages consacrées au CH4 sur le site de la DG Clima (Commission)

– l’outil de suivi des émissions de CH4 (Methane Tracker) mis en place par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)

présentation sur la politique actuelle et future de l’UE sur le CH4, 21 février 2020 (nom de l’intervenant et de l’événement non précisés)

– la première stratégie de l’UE pour réduire les émissions de CH4 (1996)

article publié le 19 février 2020 dans la revue scientifique Nature : « Preindustrial CH4 indicates greater anthropogenic fossil CH4 emissions« 

– Centre commun de recherche (Joint Research Centre, JRC) de la Commission européenne : Arctic permafrost thawing – impacts on high-latitude emissions of carbon dioxide and methane, rapport publié le 20 mars 2020,

– JRC : Global trends of methane emissions and their impacts on ozone concentrations, rapport publié le 30 octobre 2018,

– Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) : Near-term climate protection and clean air benefits: actions for controlling short-lived climate forcers, rapport publié en 2011.

 

Lire aussi nos articles :

« CH4 : hausse rapide des concentrations depuis 2014″ publié le 14 juin 2019.

« Impact des émissions de CH4 des zones humides sur le changement climatique », publié le 2 août 2019.

 

(1)Voir CDL n°72 p.6.

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