Covid-19 : l’AIE projette une baisse des émissions de CO2 en 2020 six fois plus forte qu’après la crise financière de 2009
Le 30 avril 2020, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a publié son état des lieux annuel des tendances en matière de demande mondiale d’énergie (charbon, pétrole, gaz, énergies renouvelables, électricité), et d’émissions mondiales de CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles (données 2019). Suite au contexte exceptionnel en raison de la crise sanitaire mondiale du Covid-19, ce rapport annuel de l’AIE évalue également les impacts de la pandémie sur la demande mondiale en énergie par combustible et par pays et sur les émissions mondiales de CO2 [environ 80% des émissions totales de GES] au premier trimestre 2020 et présente des projections pour les trois trimestres restants de 2020. La pandémie du coronavirus a engendré un choc macroéconomique sans précédent en temps de paix. L’AIE rappelle qu’environ 4,2 milliards de personnes (54% de la population mondiale, près de 60% du PIB mondial) étaient soumises à un confinement total ou partiel (au 28 avril 2020).
Lire notre article sur les émissions de GES et le Covid-19.
Que retenir de l’analyse de l’AIE ?
Suite aux efforts mondiaux pour endiguer la propagation du coronavirus, la part de la demande mondiale d’énergie primaire liée aux activités faisant l’objet de de mesures de confinement obligatoire est passée de 5% à la mi-mars à 50% à la mi-avril 2020.
Part de la demande mondiale d’énergie primaire touchée par les mesures de confinement obligatoire
Source : AIE, 30/04/2020
L’AIE traite d’abord les premières données disponibles sur le premier trimestre 2020, et note que durant cette période, la demande d’énergie mondiale a baissé de 3,8%, l’impact de cette baisse ayant été ressenti surtout en mars, au fur et à mesure que les mesures de confinement ont été mises en place en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs.
L’AIE a par ailleurs élaboré un scénario pour toute l’année 2020 qui quantifie les impacts sur le secteur énergétique d’une récession mondiale engendrée par des restrictions de mobilité, d’activités économiques et sociales qui durent plusieurs mois. Ces projections de la demande d’énergie et des émissions de CO2 liées à l’énergie sont basées sur l’hypothèse que les mesures de restriction imposées à travers le monde seraient progressivement assouplies au cours des mois à venir et qu’il y aurait par conséquent une reprise économique progressive.
Evolution de la demande mondiale d’énergie primaire 1900-2020
Source : AIE, 30/04/2020
Les résultats de cette modélisation montrent une baisse de 6% la demande mondiale en énergie, soit la baisse la plus importante en valeur relative (pourcentage) en 70 ans et la baisse la plus importante jamais observée en valeur absolue (l’équivalent de l’annulation de la demande totale de l’Inde, le troisième pays consommateur d’énergie). L’AIE souligne par ailleurs que l’impact du Covid-19 sur la demande d’énergie en 2020 serait supérieur d’un facteur 7 à celui de la crise financière de 2008 sur la demande mondiale d’énergie et que tous les combustibles seront concernés.
Evolution de la demande mondiale d’énergie primaire par combustible 2020 par rapport à 2019
Source : AIE, 30/04/2020
Impacts sur les différentes sources d’énergies
Charbon
- la demande mondiale en charbon a diminué de près de 8%, soit la baisse la plus importante des trois combustibles fossiles. Selon l’AIE, il y a trois raisons à cette baisse : (1) au premier trimestre 2020, la Chine – économie basée sur le charbon – a été le pays le plus durement touché par le Covid-19 ; (2) ailleurs, le gaz naturel (moins cher) s’est substitué au charbon ainsi que la croissance des énergies renouvelables s’est poursuivie ; (3) le recours au charbon a été moins important du fait des conditions météorologiques plus douces ;
- pour l’année 2020 entière, la demande mondiale en charbon pourrait diminuer de 8%, en grande partie puisque la demande d’électricité connaîtra une baisse de près de 5% au cours de l’année 2020 (par rapport à 2019). L’AIE ajoute que la reprise de la demande de charbon pour les secteurs industriel et de la production d’électricité en Chine pourrait contrebalancer de plus fortes baisses ailleurs. Après son pic en 2018, la production d’électricité à base de charbon devrait diminuer de plus de 10% en 2020.
Pétrole
- l’AIE observe pour le premier trimestre 2020 une baisse de près de 5% du fait des restrictions de mobilité touchant de plein fouet le secteur des transports (et surtout l’aviation) qui représente près de 60% de la demande mondiale de pétrole. Fon mars 2020, le transport routier a connu une baisse de près de 50% de ses activités par rapport à la moyenne de celles de l’année 2019. Pour l’aviation, cette baisse a atteint 60%;
- pour l’année 2020 entière, la demande de pétrole pourrait connaître une baisse de 9% en moyenne, ce qui ramènerait la consommation de pétrole aux niveaux de 2012.
Gaz naturel
- pour le premier trimestre 2020, l’impact du Covid-19 sur la demande de gaz naturel a été plus modéré (baisse d’environ 2%) ;
- pour l’année 2020 entière, souligne l’AIE, après 10 ans de croissance ininterrompue, la demande de gaz naturel devrait connaître une baisse de 5% en 2020 (du fait d’une plus faible demande dans les secteurs industriels et de la production d’électricité), soit la baisse interannuelle de consommation la plus forte depuis l’accroissement à grande échelle de la demande de ce combustible au cours de la deuxième moitié de la 20e siècle.
Energies renouvelables
- pour le premier trimestre 2020, c’est la seule source d’énergie qui a enregistré une croissance de la demande (+1,5%) ;
- pour l’année 2020 entière, c’est la seule source d’énergie qui devrait connaître une croissance de la demande en 2020 (du fait de ses faibles coûts de fonctionnement et de l’accès prioritaire au réseau), ce qui devrait conduire à une hausse de 5% de la production d’électricité d’origine renouvelable en 2020.
Nucléaire
- pour le premier trimestre 2020, la production d’énergie nucléaire s’est réajustée à la demande d’électricité en baisse, en particulier en Europe et aux Etats-Unis ;
- pour l’année 2020 entière, la demande d’énergie nucléaire devrait également baisser suite à une plus faible demande d’électricité.
Electricité en général
- pour le premier trimestre 2020, l’AIE observe une forte baisse de la demande à la suite des mesures de confinement mises en place à travers le monde, allant jusqu’à -20% pendant les périodes de confinement total dans plusieurs pays. La hausse de la demande d’électricité du secteur résidentiel a été largement annulée/neutralisée par les réductions observées dans les secteurs tertiaire et industriel.
- pour l’année 2020 entière, selon les projections de l’AIE, la demande mondiale d’électricité devrait diminuer de 5% sur toute l’année 2020, soit la baisse la plus importante depuis la grande dépression (1929-1939). Après avoir dépassé le charbon pour la première fois en 2019, les sources énergétiques bas-carbone devraient rester la première source de production d’électricité en 2020 (pour la deuxième année consécutive donc) avec une part de 40% de la production mondiale d’électricité (contre 34% pour le charbon).
Impacts en termes d’émissions : -2,6 GtCO2 en 2020 ?
Les fortes baisses de la demande en énergie se sont traduites par une diminution importante des émissions mondiales de CO2 au premier trimestre 2020. Celles-ci étaient inférieures de plus de 5% à celles observées au premier trimestre 2019, essentiellement du fait d’une baisse de 8% des émissions de CO2 provenant de la combustion de charbon (-4,5% pour le pétrole et -2,3% pour le gaz naturel). L’AIE observe les plus fortes baisses d’émissions de CO2 dans les régions ayant été touchées en premier par le Covid-19 et ayant subi les impacts les plus importants : Chine (–8%), l’UE (-8%) et Etats-Unis (-9%). Aux Etats-Unis, des conditions météorologiques plus douces ont également contribué à la baisse des émissions de CO2 au premier trimestre.
Pour l’année 2020 entière, selon les projections de l’AIE, les émissions mondiales de CO2 devraient baisser de 8% en 2020 (de près de 2,6 Gt CO2, soit l’équivalent des émissions totales de l’ensemble du continent de l’Europe en 2017 [2 613,3 Mt CO2, source : AIE, 2019]) pour atteindre 30,6 Gt CO2, niveau le plus faible observé depuis 2010. Une telle réduction interannuelle serait la plus forte jamais enregistrée. Elle serait six fois plus forte que la réduction la plus importante observée jusque-là, de 0,4 Gt CO2 en 2009 suite à la crise financière mondiale de 2008 ; et serait près de deux fois plus importante que le total cumulé de toutes les réductions interannuelles depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La réduction des émissions de CO2 projetée en 2020 (-2,6 Gt CO2) est principalement permise par une consommation plus faible de charbon) (-1,1 Gt CO2), de pétrole (-1 Gt CO2) et de gaz naturel (-0,4 Gt CO2).
En termes de pays, ce sont les Etats-Unis qui connaîtraient la plus forte baisse en valeur absolue (600 Mt CO2), suivis de près par la Chine et l’UE.
Emissions mondiales de CO2 issues de la combustion de combustibles fossiles
et évolutions interannuelles 1900-2020* (en Gt CO2)
* les données 2019 et 2020 sont des estimations provisoires.
Source : AIE, 30/04/2020
Effet rebond et incertitudes quant aux impacts de long terme
L’AIE souligne que, comme après des crises ou récessions précédentes, l’effet rebond des émissions de CO2 avec la reprise des activités économiques à travers le monde pourrait être plus important que la baisse temporaire pendant la durée de la pandémie si les plans de relance et les plans d’investissements pour stimuler la reprise économique ne visent pas la transition vers une infrastructure énergétique plus faible en émissions de CO2 et plus résiliente.
Enfin, le directeur exécutif de l’AIE insiste sur le fait qu’il est aujourd’hui encore trop tôt pour déterminer les impacts à plus long terme de la pandémie du Covid-19 sur le secteur énergétique (source : communiqué de l’AIE, 30 avril 2020).
Voir le rapport et le communiqué de l’AIE