Emissions de gaz à effet de serre et Covid-19
La pandémie de Covid-19 a des impacts directs et indirects sur les sources d’émissions de gaz à effet de serre (GES), en France et dans le monde. Pour endiguer la propagation du virus, les gouvernements confinent les populations à travers le monde. Ces restrictions à la mobilité des personnes provoquent une chute de la production de biens, des transports et de la prestation de services, d’une ampleur inconnue depuis la deuxième guerre mondiale.
Dans cet article, le Citepa dresse un panorama des premiers travaux réalisés pour quantifier les effets du Covid-19 sur les émissions de GES. Il faut garder à l’esprit que les estimations présentées dans cet article sont basées sur des évaluations préliminaires des impacts potentiels, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un instantané de la situation qui va forcément évoluer au fur et à mesure que la pandémie progresse ou régresse. Il va de soi donc qu’il faut mettre à jour et affiner ces estimations, une fois que d’autres données plus solides seront publiées, et d’effectuer une évaluation plus précise avec le recul du temps. Par conséquent, ces estimations sont à considérer avec précaution.
Lire notre article : Mesures contre le coronavirus : effet sur les émissions de polluants et de gaz à effet de serre
Baisse des émissions de gaz à effet de serre grâce au confinement : une baisse temporaire ?
A court terme, les mesures de confinement prises en France et dans le monde auront un effet sur les émissions de GES, au premier rang desquels le CO2, de l’année 2020 ou au moins du premier semestre 2020. Ces mesures ont d’ores et déjà entraîné une diminution de certaines sources d’émissions de gaz à effet de serre : baisse du trafic routier, fermeture d’installations industrielles. Cela se traduit notamment par une baisse des émissions de CO2.
Une première note provisoire d’Airparif publiée le 25 mars 2020 pré-estimait des baisses d’émissions de CO2 en Ile-de-France de l’ordre de 30% les 17, 18 et 20 mars, soit respectivement les 2e, 3e et 4e journées de confinement en France.
D’après une analyse du site spécialisé Carbon Brief, publiée le 19 février 2020 (et mise à jour le 30 mars 2020), la diminution, en Chine, des consommations de charbon par les centrales de production électrique et liée à la baisse d’activité des installations industrielles (cokeries, hauts-fourneaux, aciéries, raffineries) a entraîné une baisse de 25% des émissions totales de CO2 du pays (c’est-à-dire l’équivalent d’environ 200 MtCO2) sur la période du 3 février au 1er mars 2020 par rapport à la même période en 2019. Ce chiffre est à mettre en rapport avec le total national de 9 302 MtCO2 (dernière estimation, datée de 2017), soit une baisse globale de 2% [source : AIE, 2019, p.80]). Néanmoins, cette baisse est temporaire : il est possible qu’elle soit compensée par une reprise à la hausse des activités, et que le bilan total de l’année 2020 ne reflète pas complètement cette diminution ponctuelle.
Par ailleurs, le confinement n’implique pas l’arrêt de toutes les sources d’émissions de GES. En France, certes le transport et l’industrie représentent 47% des émissions de GES en 2017 mais le secteur résidentiel-tertiaire représente 20% et l’agriculture 19% des émissions de GES nationales (France métropolitaine, hors UTCATF, source : Citepa, inventaire Secten, édition 2019).
D’après une pré-éestimation du site spécialisé ICIS (Independent Commodity Intelligence Services), publiée le 27 mars 2020, les émissions de GES des secteurs couverts par le SEQE (Système européen d’Echange de Quotas d’Emissions de l’UE ou EU-ETS) auraient chuté de 24% (soit de 388,8 Mt CO2e) par rapport à la situation pré-COVID-19.
L’éclairage du Citepa
Prise en compte de l’impact du Covid-19 dans l’inventaire d’émissions de GES en France
Le Citepa suivra l’impact du Covid-19 sur les émissions de GES en France mais il faudra attendre deux ans avant de pouvoir quantifier précisément l’impact cet évènement sur le bilan annuel. En effet, l’inventaire national des émissions de GES et de polluants atmosphériques, réalisé par le Citepa, est mis à jour tous les ans. Ainsi, à la fin de l’année 2021, nous finaliserons les estimations du bilan des émissions de l’année 2020. Le temps que cette nouvelle édition de l’inventaire soit validée et soumise officiellement aux différentes instances internationales et européennes, les résultats seront publiés début 2022. En particulier, le rapport Secten, qui fournira des explications détaillées sur les tendances d’émissions entre 1990 et 2020 et les évolutions récentes, sera publié sur notre site au printemps 2022.
En attendant, au printemps 2021, l’édition de Secten relative aux émissions 1990-2019 fournira, pour information, une pré-estimation provisoire des émissions de 2020. Celle-ci fournira déjà un premier aperçu de l’impact de cet événement sur le bilan 2020.
Incertitudes quant aux effets de long terme sur le climat
Des incertitudes persistent quant aux effets de long terme sur le climat. Il existe la possibilité d’un effet rebond, c’est-à-dire après une baisse temporaire due à la crise sanitaire mondiale, il y aura une hausse encore plus forte des émissions de GES en sortie de crise. Ainsi, après la crise financière de 2008-2009, les émissions mondiales de CO2 sont reparties à la hausse : après une baisse de 1,3% entre 2008 et 2009, l’AIE a constaté une hausse de 6% entre 2009 et 2010, soit +1 726 Mt, c’est-à-dire un niveau supérieur au total des émissions annuelles de la Russie en 2017 (1 537 Mt CO2 [source : AIE, 2019, p.79]). Néanmoins, on pourrait aussi considérer que malgré cet effet rebond, le niveau d’émissions de GES post-crise n’a pas atteint le niveau qui aurait pu être observé si la trajectoire d’émissions engagées avant 2008 s’était poursuivie en l’absence de crise.
Emissions mondiales de CO2 avant, pendant et après la crise financière de 2008
N.B. Emissions de CO2 liées à la combustion des combustibles fossiles uniquement
Source : données AIE, avril 2020 (voir page consacrée aux données sur l’énergie et les émissions de CO2).
Comme le souligne une étude publiée dans Nature en janvier 2012 et réalisée sous la direction de Glen Peters du Centre de recherche internationale sur le climat et l’environnement (Cicero) “l’impact de la crise financière mondiale [de 2008-2009] sur les émissions [de GES] a été de courte durée en raison d’une forte croissance d’émissions dans les pays émergents, d’un retour de la croissance des émissions dans les pays industrialisés, et d’une augmentation de l’intensité en combustibles fossiles des pays de la planète« . Or, comme le soulignent le Giec (rapport spécial 1,5°C [2018] – lire notre dossier de fond sur le sujet) et ONU Environnement (Gap Report [2019] – lire notre article sur le sujet), pour respecter les objectifs de 2°C et de 1,5°C, fixés par l’article 2 de l’Accord de Paris, il faut réaliser une baisse continue et durable des émissions de GES, et non pas une « pause » temporaire.
Selon les prévisions du directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), Fatih Birol, il se pourrait qu’il y ait une baisse des émissions mondiales de CO2 en 2020 en raison de l’impact du coronavirus sur les activités économiques à travers le monde, et tout particulièrement sur le transport (aérien en tête). Cependant, souligne-t-il, il est très important de comprendre que cette baisse n’aurait pas été obtenue grâce à la mise en place de nouvelles politiques ou stratégies de réduction par les Gouvernements ou les entreprises. Plutôt, il s’agirait très probablement d’une baisse de courte durée qui pourrait très bien être suivie d’un effet rebond (comme en 2009-2010), avec une croissance des émissions de CO2 à mesure que les activités de l’économie mondiale seront relancées (voir la page du site de l’AIE consacrée aux impacts du COVID-19 sur les marchés de l’énergie et le climat).
D’après une analyse publiée le 2 avril 2020 par la Chaire Economie du Climat (CEC), dirigée par Christian de Perthuis, à court terme, cette crise sanitaire pourrait provoquer un recul des émissions mondiales de CO2 de l’ordre de 5 Gt, soit 10 fois la baisse observée en 2009, et faire de 2019 l’année du pic des émissions mondiales. Malgré l’effet rebond qui apparaîtra à la fin du confinement, un tel recul ne sera pas « rattrapable » l’année suivante.
Pour anticiper l’impact du Covid-19 sur les émissions de CO2, la CEC a retenu deux scénarios : dans le scénario de sortie rapide du confinement, la Chine limite sur l’année la baisse des émissions de CO2 à 200 Mt, chiffre qui rejoint l’analyse du Carbon Brief (voir plus haut). L’UE, les Etats-Unis et le reste du monde connaissent une évolution comparable à celle observée lors de la récession de 2009. Globalement le monde réduit ses émissions de CO2 de 1 Gt (3%), soit deux fois ce qui avait été observé en 2009. Cependant, le scénario le plus probable est désormais celui d’une sortie plus étalée dans le temps du confinement. La Chine, les Etats-Unis et l’Europe connaîtraient alors des baisses d’émissions de CO2 situées entre 700 et 900 Mt. Avec un recul de plus de 2 Gt, le reste du monde serait le plus important contributeur au repli. Au total, le monde se dirigerait vers une chute des émissions de l’ordre de 5 Gt (-14%).
Source : Chaire Economie du Climat, 2 avril 2020.
La CEC nous rappelle que, d’après les estimations d’ONU Environnement dans l’édition 2019 de son Gap Report (lire notre article sur le sujet), il faudrait baisser chaque année les émissions mondiales de GES de 2,7% de 2020 à 2030 pour se mettre sur une trajectoire limitant le réchauffement à 2°C, et de 7,6% sur la même période pour 1,5° C. Une baisse de 14% (cf. 2e scénario de la CEC – voir plus haut) équivaudrait donc à respectivement cinq et deux ans de gagnés. C’est loin d’être négligeable. La question clef reste celle des effets à long terme de la crise sanitaire. Passé la crise de court terme, le monde reviendra-t-il au scénario tendanciel « business as usual » antérieur ?
Impact sur l’ambition climat des pays du monde
Par ailleurs, la récession économique mondiale engendrée par cette crise sanitaire mondiale risque d’être un frein aux politiques climat ambitieuses, qui nécessitent des investissements importants. Ainsi, au sein de l’UE, le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal – lire notre dossier de fond sur le sujet) pourrait être remis en question. Des voix s’élèvent pour insister sur l’importance d’une relance durable et juste de l’économie, en prenant en compte notamment les impératifs de l’action climat (voir déclaration du Secrétaire-général d’ONU Environnement, plan de financement public proposé par I4CE, recommandations du WWF-Europe, analyse du centre de réflexion européen CEPS « le pacte vert pour l’Europe post-Covid-19 : conséquences pour la politique climat de l’UE »).
A noter enfin que le Haut Conseil pour le Climat (HCC – lire notre article sur le sujet) a annoncé qu’il publierait prochainement un rapport spécial sur les liens entre le Covid-19 et le climat.