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Hausse inattendue des émissions de HFC-23

  • Réf. : 2020_03_a08
  • Publié le: 1 avril 2020
  • Date de mise à jour: 1 avril 2020
  • International

Dans un article scientifique publié le 21 janvier 2020 dans la revue Nature, un groupe de chercheurs internationaux sous la direction de l’université de Bristol (Royaume-Uni) met en avant une contradiction : alors que les actions de réduction ambitieuses mises en place depuis 2015 par les deux premiers pays producteurs de HCFC-22 (CHCIF2) (Chine et Inde) devaient entraîner une baisse des émissions de HFC-23 (CHF3), sous-produit issu de la production du HCFC-22, selon les estimations des chercheurs, les émissions mondiales de HFC-23 ont augmenté en 2018 pour atteindre le niveau maximal jamais atteint (15,9 kt contre des valeurs comprises autour de 10 à 13 kt/an dans les années 2000).

 

Le HFC-23, un puissant gaz à effet de serre

Les HFC sont des gaz à effet de serre (GES) fluorés majoritairement utilisés dans les secteurs du froid et de la climatisation mais aussi dans les mousses d’isolation, les aérosols et les équipements d’extinction d’incendie. Leur potentiel de réchauffement global (PRG ou GWP [Global Warming Potential] en anglais – voir encadré ci-dessous), est très élevé. Si la majorité des réfrigérants ont des PRG inférieurs à 4 000, le HFC-23 a le plus fort PRG de tous les HFC, soit un impact sur le réchauffement climatique 14 800 fois supérieur au CO2 (valeurs PRG du 4e rapport d’évaluation du Giec).

 

Les valeurs PRG du 4e et du 5e rapports d’évaluation du Giec

Le Giec a mis au point un indicateur, le potentiel de réchauffement global (PRG) afin de comparer l’impact relatif des différents GES sur le climat. Cet indicateur permet de convertir les émissions totales des différents GES en « équivalent CO2 » (CO2e), unité utilisée dans la définition des objectifs de réduction chiffrés des politiques climat. Le PRG est le forçage radiatif cumulé sur une période donnée (en général 20 ou 100 ans, 100 ans étant la durée utilisée par défaut) induit par une quantité de GES émise, exprimé comparativement au CO2, le GES de référence, pour lequel le PRG est fixé à 1 par convention.

Conformément à la décision 15/CP.17 (adoptée à la COP-17 à Durban, Afrique du Sud, fin 2011), confirmée par la décision 24/CP.19 (adoptée à la COP-19 à Varsovie), depuis le 1er janvier 2015 (données 2013), les valeurs du PRG à utiliser par les Parties à l’Annexe I pour calculer l’équivalent en CO2 (CO2e) de leurs émissions anthropiques des autres GES sont celles (sur 100 ans) établies dans le 4e rapport d’évaluation du Giec (2007).

Le 1er volume du 5e rapport du Giec, publié le 23 septembre 2013, définit de nouvelles valeurs du PRG. Conformément aux décisions 1/CP.24 et 18/CMA.1, ces valeurs seront à utiliser pour la comptabilisation des émissions de GES dans le cadre des inventaires à partir du 1er janvier 2023 pour les pays développés et à partir du 1er janvier 2025 pour les pays en développement (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732).

Les valeurs PRG pour les principaux GES (selon les 4ème [2007] et 5ème [2013] rapports du Giec)

Pour les familles de HFC et de PFC, le PRG varie en fonction de l’espèce considérée. Dans le tableau ci-dessus, ne sont indiquées que les valeurs les plus faibles et les plus élevées.

Dans le cas précis du HFC-23, la valeur PRG sur 100 ans défini dans le 4e rapport d’évaluation est de 14 800 (voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212), réévaluée à 12 400 dans le 5e rapport d’évaluation (Source : GIEC, 2007 et 2013). Quant à la durée de vie dans l’atmosphère du HFC-23, le Giec l’estimait à 270 dans son 4e rapport d’évaluation (voir chapitre 2, tableau 2.14, p.212), réévaluée à 222 ans dans son 5e rapport (voir chapitre 8, appendice 8.A, tableau 8.A.1 pp.732).

 

Outre le fait d’être un sous-produit issu de la production du HCFC-22 (lire notre article sur le sujet), le HFC-23 est un réfrigérant destiné aux installations à très basses températures (-60 à -100°C). En France, aujourd’hui, il est surtout utilisé dans les industries de production de semi-conducteurs mais il n’est plus mis sur le marché comme agent d’extinction dans les équipements de protection contre les incendies depuis le 1er janvier 2016 en application du règlement européen n° 517/2014 relatif aux GES fluorés (cf. annexe III) (lire notre dossier de fond sur le sujet). Quant au HCFC-22, substance qui appauvrit la couche d’ozone utilisée dans la réfrigération et la climatisation, il est interdit de mise sur le marché depuis 2015 en Europe par le règlement (CE) n° 1005/2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone.

En France, au début des années 90, les émissions de HFC n’étaient liées qu’à l’industrie chimique, principalement la production de gaz fluorés et notamment de HCFC-22. Les réductions opérées dès 1992 par la mise en place de traitements ont permis une première baisse des émissions de HFC en France jusqu’en 1995, et de HFC-23 en particulier (voir graphique ci-dessous). Les HFC ayant ensuite remplacé progressivement les CFC et HCFC, les émissions de HFC en France ont fortement progressé.

 

Source : Citepa, rapport d’inventaire Secten, édition 2019, mise à jour juillet 2019.

Télécharger Secten GES – Télécharger données, télécharger données sur les émissions de HFC et PFC par composé depuis 1990.

 

Méthodologie de l’étude présentée dans l’article

Les chercheurs présentent une mise à jour de leur estimation des émissions mondiales dans l’air du HFC-23, calculées à partir des données d’observations atmosphériques relevées sur la période 2015-2018 (approche top-down [descendante]). Parallèlement, ils produisent une nouvelle estimation du niveau mondial des émissions de HFC-23 suivant une approche inventaires (bottom-up [ascendante]) jusqu’à fin 2017 en prenant en compte les réductions d’émissions de GES prévisibles et ce, sur la base des politiques de réduction de la production de HCFC-22 mises en place par la Chine et l’Inde.

 

L’éclairage du Citepa

Complémentarité entre approche inventaire et observations atmosphériques

Connaître les quantités de gaz à effet de serre (GES) émises est indispensable pour la mise en place des politiques climat. D’un côté, les inventaires nationaux d’émissions reflètent les efforts des pays, selon une approche bottom-up, source par source, secteur par secteur (cette approche est celle de la CCNUCC). De l’autre côté, des flux mondiaux et régionaux à partir d’observations et de mesures, notamment satellitaires, sont estimés par une partie de la communauté scientifique selon une approche top-down. Cette deuxième approche est utilisée notamment pour calculer des bilans mondiaux et des budgets carbone et sera utilisée pour les bilans mondiaux (prévus dans le cadre de l’Accord de Paris, article 14). Cette approche top-down peut, elle, compléter, étalonner et vérifier les inventaires, qui restent la brique élémentaire des politiques climat.

 

Résultats présentés dans l’article

La Chine et l’Inde, les deux plus grands producteurs mondiaux de HCFC-22, ont mis en place des politiques ambitieuses de réduction de leurs émissions de HFC-23 depuis 2015. Ainsi, dans le cadre de son plan de gestion de l’élimination progressive de la production de HCFC (HCFC Phase-out Management Plan ou HPMP), lancé en 2009, la Chine a fixé des objectifs de réduction des émissions de HFC-23 de 45% en 2015, de 93% en 2016 et de 98% en 2017 (source : PNUE, 2018 : Cost-effective options for controlling HFC-23 by-product emissions, p.6). En Inde, un arrêté ministériel (executive order) visant à réduire les émissions de HFC-23 issu de la production de HCFC-22 a été adopté par le Gouvernement indien le 13 octobre 2016. Il oblige tous les producteurs de HCFC-22 à détruire le sous-produit HFC-23 par incinération à l’aide de technologies efficientes, éprouvées et propres.

Selon les auteurs de l’étude, la mise en œuvre de ces politiques et objectifs de réduction aurait dû se traduire par une baisse des émissions de HFC-23 en 2017 de 15,2 kt en Chine et de 1,9 kt en Inde.

 

Or, d’après les estimations des auteurs de l’étude, en se basant sur les observations atmosphériques, en 2017, dans l’ensemble des pays en développement, la baisse des émissions de HFC-23 n’aurait été que de 4,7 kt et les émissions mondiales de HFC-23 ont atteint un total inédit de 15,9 kt en 2018. Paradoxalement, les émissions mondiales de HFC-23 calculées dans les inventaires, et intégrant les réductions d’émissions prévues par la Chine et l’Inde, auraient connu en 2017 leur plus faible niveau (2,4 kt) depuis l’année 2000. Cette baisse est cohérente avec le cadre des réductions de production de consommation des HFC (en tant que substance appauvrissant la couche d’ozone) attendues par la mise en œuvre de l’amendement de Kigali au Protocole de Montréal (voir encadré ci-dessous).

 

L’amendement de Kigali

Le 1er janvier 2019 est entré en vigueur l’amendement de Kigali au Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Cet amendement, adopté le 15 octobre 2016 (lire notre dossier de fond sur le sujet), y intègre les HFC en tant que substances réglementées du point de vue de leur production et de leur consommation, et notamment le HFC-23 (cf. groupe 2 de la nouvelle annexe F). Voir texte consolidé du Protocole et lire notre article sur le sujet.

L’amendement de Kigali fixe notamment des calendriers de réduction progressive pour tous les Etats répartis en trois groupes : pays industrialisés, tous les pays en développement (PED) dont la Chine [groupe 1] sauf 10 qui constituent le groupe 2 [Inde, Iran, Iraq, Pakistan, Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats d’Arabie Unies, Koweït, Oman, Qatar] et qui font l’objet d’un calendrier plus souple. Les paliers de réduction sont les mêmes pour la production et la consommation. L’objectif à terme pour tous les pays est de ramener la consommation et la production des HFC visés à 15% de leurs niveaux de référence respectifs : d’ici 2036 pour les pays industrialisés, d’ici 2045 pour les PED du groupe 1 et d’ici 2047 pour les PED du groupe 2.

 

Selon les auteurs de l’étude, étant donné l’écart important entre, d’une part, les émissions calculées dans les inventaires nationaux (et intégrant également les réductions d’émissions prévues par la Chine et l’Inde), et d’autre part, les émissions calculées sur la base des données d’observations atmosphériques, il est fort probable que les pays émergents (Chine et Inde en tête) ne soient pas parvenus à obtenir les réductions d’émissions qu’ils ont prévues.

Il se peut aussi que d’importantes quantités de HCFC-22 aient été produites, sans être rapportées, dans des installations non déclarées ou non identifiées. Cette production non référencée aurait conduit à des émissions dans l’air du sous-produit HFC-23.

Enfin les auteurs soulignent que l’écart cumulé entre les émissions calculées selon l’approche top-down et les estimations calculées selon l’approche bottom-up, s’élève à 24,4 kt de HFC-23 sur la période 2015-2017. Par conséquent, leurs résultats suggèrent une occasion manquée d’éviter l’équivalent d’environ 309 Mt CO2 pendant cette période, soit le total national des émissions de GES de l’Espagne pour l’année 2017 (qui s’élevaient à 302 Mt CO2e avec UTCATF) (source : CCNUCC, 2019 d’après rapport d’inventaire national d’émissions de GES de l’Espagne 1990-2017, édition 2019).

 

En savoir plus

Stanley, K.M., Say, D., Mühle, J. et al. Increase in global emissions of HFC-23 despite near-total expected reductions. Nature Communications 11, 397 (2020). Téléchargez l’article en PDF ou en html.

 

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