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Brexit : quelles conséquences pour la politique climat-énergie de l’UE et au-delà ?

  • Réf. : 2020_01_a10
  • Publié le: 31 janvier 2020
  • Date de mise à jour: 10 décembre 2020
  • UE

Cet article est une mise à jour d’un encart spécial publié dans le CDL n°203 (juillet-août 2016) suite aux résultats du référendum britannique sur le Brexit, le 23 juin 2016.

La sortie du Royaume-Uni de l’UE pourrait avoir des conséquences sur les futures politiques climat-air-énergie au niveau européen et au-delà. En effet, le pays a été leader sur plusieurs volets de ces politiques, même si, comme aiment à le rappeler les Français, il a eu un pied dans l’UE et un pied dehors. Le Citepa vous propose de revenir sur ce rôle qu’a joué le Royaume-Uni et sur les conséquences du « Brexit » [British exit (sortie de l’UE)] sur les futures politiques climat-énergie.

 

Royaume-Uni : chiffres clés

  • 2e plus forte économie de l’UE [après l’Allemagne] (source Banque Mondiale, 2019).
  • Part dans les émissions mondiales de CO2 (2018) : 0,98% [France : 0,85%, Allemagne : 1,99%] (source : JRC/EDGAR, 2019).
  • 2e Etat membre émetteur de gaz à effet de serre (GES) [470,5 Mt CO2e en 2017 (hors UTCATF) après l’Allemagne (906,6 Mt CO2e). France : 464,6 Mt CO2e], soit 11% du total de l’UE-28  (source : AEE, rapport d’inventaire de l’UE, 29/05/2019 p.vii).
  • Contribution à la baisse des émissions de GES de l’UE depuis 1990 : l’UE-28 a vu ses émissions de GES (hors UTCATF) passer de 5 654 Mt CO2e en 1990 à 4 325 Mt CO2e en 2017, soit une diminution nette de 1 329 Mt CO2 Le Royaume-Uni a vu ses émissions diminuer de 324 Mt CO2e sur cette période, contribuant ainsi à hauteur de 24% à cette baisse globale de l’UE, soit presqu’autant que l’Allemagne (26%), mais bien plus que la France (6%). Cependant, ramenée aux émissions des Etats membres respectifs, le Royaume-Uni a connu une diminution relative de ces émissions très forte de -41% entre 1990 et 2017, contre -27,5 % pour l’Allemagne (source : AEE, rapport d’inventaire de l’UE, 29/05/2019 p.vii).
  • Objectifs nationaux de réduction des émissions de GES :
  • Nombre de voix au Conseil de l’UE jusqu’au 31 janvier 2020 : 29 sur 352 [même nombre que la France, l’Allemagne et l’Italie], soit 8%.
  • Nombre de députés au Parlement européen jusqu’au 31 janvier 2020 : 73 sur 751, soit environ 10% [France : 74, Allemagne : 96].

 

Conséquences

Même si le Royaume-Uni n’est pas un pays fondateur de l’UE, il a apporté une contribution non négligeable à la construction du projet européen. L’UE perd un Etat membre qui a joué un rôle moteur dans l’élaboration de la politique européenne climat-énergie ces dernières décennies, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la dynamique de cette politique, en affaiblissant son ambition à l’avenir.

 

Sans les 8% de voix du Royaume-Uni, le centre de gravité au sein du Conseil de l’UE pourrait se déplacer vers l’est, et notamment au sein du groupe de Visegrad composé d’Etats membres rétifs à une politique européenne climat forte [Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie]. Sans le Royaume-Uni, la force relative des Etats membres partisans d’une politique ambitieuse [France, Allemagne, Suède,…] sera affaiblie.

 

Le Brexit pourrait également avoir des répercussions au niveau mondial. En effet, les négociateurs britanniques ont souvent joué un rôle clé au nom de l’UE dans le cadre des négociations de la CCNUCC. Cette contribution, et l’influence qui en résultait, ne seront plus possibles, après le 1er février 2020. Le Royaume-Uni va-t-il suivre l’exemple de la Norvège et de la Suisse qui, très souvent, se sont rangés du côté de l’UE sur les grandes questions au sein des négociations climat ?

 

Secteurs hors SEQE : il va falloir redéfinir, parmi les Vingt-sept [et non plus parmi les Vingt-huit], la répartition des efforts de réduction des émissions de GES dans les secteurs hors SEQE pour permettre la réalisation de l’objectif de réduction de 30% en 2030 (base 2005) [approuvé par le Conseil européen des 23-24 octobre 2014 pour contribuer à la réalisation de l’objectif de réduction global pour l’UE de 40% en 2030 (base 1990) et formalisé par le règlement (UE) 2018/842, dit ESR].

 

Plusieurs questions se posent désormais, auxquelles Londres et Bruxelles devront apporter des réponses :

  • quel impact le Brexit aura-t-il sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris ?
  • le Royaume-Uni va-t-il décider d’élaborer une NDC individuelle pour la soumettre à la COP-26 ? ou bien souhaiterait-il plutôt s’associer à celle de l’UE à l’instar de la Norvège et de l’Islande ?
  • quel rôle le Royaume-Uni souhaitera-t-il jouer dans les négociations climat de la CCNUCC ?
  • quel groupe de pays le Royaume-Uni rejoindra-t-il dans les négociations de la CCNUCC : le groupe Ombrelle [groupe flexible de pays développés hors UE (Canada, Australie, USA, Norvège, Russie, Islande, Japon, Nouvelle-Zélande, Ukraine)] ou le groupe de l’intégrité environnementale [Suisse, Mexique, Corée du Sud, Monaco, Liechtenstein]? (voir notre article sur les principales coalitions de négociations de la CCNUCC).
  • le Royaume-Uni sera-t-il obligé de renégocier sa participation aux traités internationaux [Protocole de Montréal, CCNUCC,…]?
  • quel impact le Brexit aura-t-il sur l’ambition de l’UE en matière de politique climat-énergie, et surtout sur l’objectif de réduction des émissions de GES de l’UE de 40% [l’engagement de l’UE au titre de l’Accord de Paris (NDC)]. Sachant que le Royaume-Uni a apporté une contribution importante (-24%) à la réduction totale réalisée par l’UE sur la période 1990-2017 (source : AEE, 29/05/2019), il sera plus difficile d’atteindre l’objectif 2030 pour les Vingt-sept qui devront donc sans doute consentir davantage d’efforts de réduction pour compenser les réductions réalisées jusqu’ici par le Royaume-Uni.
  • comment les liens du Royaume-Uni avec le SEQE vont-ils évoluer ? Plusieurs analystes financiers sont d’avis que le Royaume-Uni continuera à participer au SEQE à l’instar de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein. Le Royaume-Uni a joué un rôle important dans le SEQE : les producteurs d’électricité britanniques ont été parmi les plus grands acheteurs de quotas.

 

Quoi qu’il en soit, en tant que pays présidant la 26e Conférence des Parties à la Convention Climat (COP-26) du 9 au 20 novembre 2020, la tâche, voire la responsabilité incombera au Royaume-Uni de construire une dynamique multilatérale forte pour rehausser l’ambition de la prochaine série des contributions nationales (NDC). Les NDC mises à jour doivent être soumises d’ici la COP-26. Cette COP d’ambition constituera clairement une épreuve de la capacité ou non du Royaume-Uni à être un moteur mondial de l’action climat à titre individuel, la COP-26 étant la dernière COP avant la mise en œuvre effective de l’Accord de Paris.

 

Rôle historique

Partisan convaincu d’une action ambitieuse au niveau de l’UE, le Royaume-Uni, aux côtés de la France et de l’Allemagne, a donné une forte impulsion à la politique climat-énergie ces 20 dernières années. Il a surtout préconisé une approche basée sur le marché pour aider l’UE à atteindre ses objectifs climat [au titre du Protocole de Kyoto] via un marché carbone fort et robuste.

 

C’est le Royaume-Uni qui a lancé, en avril 2002, le premier système national d’échange de quotas d’émission de CO2 sur la base d’une participation volontaire, afin de tester ce concept. Ce prototype préfigurait le système européen (SEQE) lancé en 2005. Ainsi, l’UE s’est largement appuyée sur le système britannique pour concevoir le SEQE. Par ailleurs, le Royaume-Uni était un Etat membre clé de la majorité au sein du Conseil Environnement qui a permis l’adoption de la directive Quotas [2003/87/CE] en 2003.

 

A l’initiative du Gouvernement britannique, une table ronde s’est tenue les 15-16 mars 2005 à Londres sur l’énergie et l’environnement(1). Ce forum a réuni, pour la première fois, les Ministres de l’Energie et de l’Environnement des pays développés et des pays en développement fortement consommateurs d’énergie : 20 au total [pays du G8 + Espagne, Chine, lnde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique, Australie, lndonésie, Corée du Sud, Nigeria, Pologne et Iran].

 

C’est sous l’impulsion de l’ancien Premier Ministre britannique, Tony Blair que, pour la première fois, en 2005, le changement climatique constituait un des deux sujets en tête de l’ordre du jour [avec l’Afrique] du sommet du G8 [du 8 juillet 2005 à Gleneagles]. Il a également été à l’origine de l’initiative d’inviter aux discussions les Chefs d’Etat de cinq grands pays émergents et grands émetteurs de GES [Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, Mexique](2).

 

Le Gouvernement britannique a introduit, le 1er avril 2013, un prix plancher sur les quotas CO2 pour contrebalancer la faiblesse des prix des quotas dans le SEQE.

 

Le Royaume-Uni est à l’initiative de la création, le 28 octobre 2013, du Groupe ministériel pour la croissance verte (Ministerial Green Growth Group) qui rassemble les Ministres de 13 Etats membres ayant une vision commune sur le sujet [Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique, Portugal, Suède, Danemark, Finlande, Slovénie et Estonie], et représentant 60% des voix au Conseil de l’UE. La mission de ce groupe était de propulser l’UE vers une économie à faibles émissions de GES, en stimulant les investissements et politiques bas carbone. Dans leur vision bas carbone, les 13 Ministres ont préconisé trois actions prioritaires pour l’UE : se mettre d’accord sur un cadre politique climat-énergie 2030 ambitieux, réformer la structure du SEQE et convaincre l’UE de proposer un objectif de réduction ambitieux au sommet des dirigeants sur le climat du 23 septembre 2014 à New York. 

 

Malgré l’opposition de certains autres Etats membres, le Royaume-Uni s’est prononcé à plusieurs reprises pour un objectif de réduction contraignant des émissions de GES de l’UE de 50% à l’horizon 2030 (lire notre article sur ce sujet), en amont de l’adoption des objectifs climat-énergie pour 2030 [objectif de 40% approuvé par le Conseil européen des 23-24 octobre 2014].

 

En 2015, le Royaume-Uni, aux côtés de l’Allemagne et de la France, a été moteur des négociations au sein du Conseil Environnement pour parvenir à un accord sur la proposition de décision relative à la mise en place et au fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché (MSR) pour le SEQE (lire notre article sur ce sujet), notamment en préconisant d’avancer la date de mise en opération de la MSR à 2017, soit quatre ans avant l’échéance initialement proposée par la Commission (2021). Face à l’opposition ferme de plusieurs Etats membres de l’Europe de l’Est (Pologne en tête), les trois pays leaders ont tenu tête et obtenu un compromis (2019) (source : ENDS Europe Daily du 20/10/2014 et du 26/03/2015) sur ce texte qui s’inscrit dans la réforme structurelle du SEQE.

 

Le Royaume-Uni a joué un rôle important dans les négociations en amont et lors de la COP-21, agissant comme une passerelle entre les pays de l’Europe de l’Ouest et ceux de l’Europe centrale et orientale.

 

Enfin, les liens « climat » entre le Royaume-Uni et l’UE au sein de la Commission européenne ont été étroits, par exemple :

  • le conseiller principal de l’ancien Directeur-Général de la DG Climat (Jos Delbeke) était britannique (Jake Werksman). Il a été chef de file, pour l’UE, des négociations climat de la CCNUCC sur certains aspects et a conseillé la Commission sur les partenariats internationaux (OACI,…),
  • le britannique Peter Vis, chef de cabinet de l’ancienne Commissaire Climat, Connie Hedegaard, a notamment travaillé sur la mise en place du SEQE et l’évaluation des premiers PNAQ.

 

Au niveau national : le Royaume-Uni a été le premier pays au monde à avoir fixé un objectif juridiquement contraignant de réduction des émissions de GES pour 2050 de 80% [facteur 4] (base 1990) [loi sur le changement climatique (Climate Change Act, 2008)]. Lors de la 2e lecture du projet de loi dans la chambre basse du Parlement britannique (House of Commons), seulement 5 députés sur 646 ont voté contre le texte. Cette loi oblige le Gouvernement britannique à établir des « budgets carbone » nationaux quinquennaux pour permettre au pays d’atteindre l’objectif de -80% (lire notre article sur ce sujet). Le 5e budget a été adopté par le Gouvernement le 30 juin 2016. Le concept des budgets carbone a été repris par la loi sur la transition énergétique en France (loi n°2015-992) (article 173).

 

Enfin, suite à une annonce le 11 juin 2019 de l’ancienne Première Ministre du Royaume-Uni, Theresa May, un projet de loi fixant un objectif national contraignant de zéro émission nette de gaz à effet de serre pour 2050 (neutralité climatique) a été présenté au Parlement britannique. Ce texte, adopté définitivement le 27 juin 2019, est venu modifier la loi sur le changement climatique de 2008 (Climate Change Act) pour introduire ce nouvel objectif. Le Gouvernement britannique s’est appuyé sur les recommandations de la Commission sur le changement climatique (CCC) qui, dans un rapport publié le 2 mai 2019, a conseillé le Gouvernement de fixer un nouvel objectif de zéro émission nette d’ici 2050 (lire notre article sur le sujet). Le Royaume-Uni est ainsi devenu le premier pays à forte économie à avoir adopté à un tel objectif, suivi de près par la France avec la loi n°2019-1147 relative à l’énergie et au climat (lire notre article sur ce sujet).

 

Sortie du Royaume-Uni de l’UE : nouveau classement des articles et brèves du Citepa

A partir du 1er février 2020, date officielle de la sortie du Royaume-Uni de l’UE (toutefois avec une période de transition allant jusqu’au 31 décembre 2020), les articles et brèves du Citepa portant uniquement sur le Royaume-Uni seront classés dans la catégorie « international » (INT) et non plus dans UE (tout comme les autres pays européens non membres de l’UE [Suisse, Norvège, etc.]).

 

(1)Voir ED n° 155 p.IV.7. (2)Voir ED n°156 p.III.11.

En savoir plus :

Article | UE | Connaissances et données / Science | Politique, gouvernance, réglementation | Climat et Gaz à effet de serre | Suivi des émissions et des concentrations | CCNUCC/Protocole de Kyoto/Accord de Paris