Evolution de l’empreinte carbone des Français : analyse du SDeS
Le 29 janvier 2020, le Service des données et études statistiques (SDeS) du Ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) a publié une étude sur l’empreinte carbone des Français. L’empreinte carbone est différente de l’approche utilisée pour élaborer les inventaires nationaux d’émission de gaz à effet de serre (GES) réalisés par le Citepa pour le MTES. Alors que l’approche inventaire se focalise sur les émissions dites territoriales (approche production : émissions ayant lieu sur le territorial national), l’empreinte carbone, elle, intègre toutes les émissions induites par la consommation, en France, de produits fabriqués en France et à l’étranger. L’empreinte carbone comporte donc à la fois des émissions ayant lieu en France (lors de la production ou de la consommation des produits) et à l’étranger (produits fabriqués à l’étranger et importés en France) (voir définition ci-dessous).
Empreinte carbone : définition et composantes
L’empreinte carbone comptabilise les gaz à effet de serre (GES) associées à la consommation au sens large (demande finale intérieure) d’un pays, quelle que soit l’origine géographique de la production des biens et services destinés à satisfaire cette consommation (y compris la consommation des administrations, des organismes à but non lucratif et les investissements), en tenant compte des émissions associées à la production des biens et services importés.
L’empreinte carbone est ainsi constituée :
- des émissions directes de GES des ménages (par exemple liées à la combustion des carburants des véhicules particuliers et à la combustion d’énergies fossiles pour le chauffage des logements),
- des émissions de GES issues de la production intérieure de biens et de services destinée à la demande intérieure (c’est-à-dire hors exportations),
- des émissions de GES associées aux biens et services importés, pour les consommations intermédiaires des entreprises ou pour usage final des ménages.
D’après les calculs du SDeS, l’empreinte carbone des Français en 2018 s’élèverait à 749 millions de tonnes (Mt) CO2e (Métropole et Outre-mer inclus dans l’UE [périmètre Kyoto], hors gaz fluorés), soit 11,2 t CO2e par habitant (dont 8 t de CO2 et 3,2 t de CH4 et de N2O). En comparaison, le total national, selon l’approche inventaire, des émissions de GES (hors puits carbone de l’UTCATF [utilisation des terres, changement d’affectation des terres, forêt]) s’élève en 2018 à 445 Mt CO2e (Métropole et Outre-mer inclus dans l’UE, gaz fluorés compris). Ainsi, l’empreinte carbone des Français serait, selon ce calcul, nettement plus élevée que le total national selon l’approche inventaire. Les hypothèses en sont que le contenu carbone des importations serait nettement supérieur à celui des exportations. Par ailleurs, d’après ce calcul, l’empreinte carbone et le total national selon l’approche inventaire connaissent des dynamiques d’évolution différentes : l’empreinte carbone a augmenté dans les années 1990 et 2000 pour se stabiliser ces dernières années alors que les émissions nationales ont diminué, avec des périodes de stagnation, depuis les années 1990 (voir graphique ci-dessous).
Evolution comparée des émissions de GES selon l’approche inventaire et l’approche empreinte carbone
Sources : SDeS et Citepa (inventaire national édition 2019, format Secten, Métropole + Outre-mer inclus dans l’UE (dit format Kyoto). Télécharger les données d’émission du Citepa.
Les deux approches inventaires et empreinte sont complémentaires. Par ailleurs, la somme des inventaires nationaux est égale à l’empreinte mondiale, en ajoutant les émissions de GES des secteurs des transports maritimes et aériens internationaux qui sont exclus des inventaires nationaux. L’approche inventaire répond à des exigences internationales de rapportage (voir encadré ci-dessous) et permet de comparer facilement sur une même base les émissions de GES des pays entre eux sans risque de double-compte.
Approche inventaire : pourquoi ne comptabiliser que les émissions nationales ?
Selon la méthodologie utilisée aujourd’hui pour l’élaboration des inventaires nationaux d’émission de GES, seules les émissions directes (liées aux activités nationales à l’intérieur des frontières) sont comptabilisées. Cette méthodologie ne prend pas en compte les flux d’émissions de GES entre pays importées ou exportées via le commerce international. Par conséquent, les émissions de GES associées aux biens importés pour la consommation intérieure des Etats ne figurent pas dans leurs inventaires nationaux. A l’inverse, les biens fabriqués dans les pays producteurs et exportés sont comptabilisés dans les inventaires nationaux alors qu’ils ne sont pas consommés sur place.
En effet, la comptabilité carbone s’est développée ces dernières décennies dans le sillon de la Convention Climat (CCNUCC, 1992) et du Protocole de Kyoto (1997) et avec l’obligation de fournir un inventaire national des émissions de GES dans un cadre réglementaire harmonisé pour les pays industrialisés concernés (dits de l’annexe A). Cette approche des émissions directes est encadrée au niveau international par un ensemble de règles de comptabilisation communes définies par le GIEC (dites lignes directrices [Guidelines]), dont la dernière édition 2006 a fait l’objet d’une révision en 2019 (lire notre article sur le sujet). Les Parties à la CCNUCC, au Protocole de Kyoto, et désormais à l’Accord de Paris, élaborent leurs inventaires nationaux d’émission de GES, en s’appuyant sur ces lignes directrices.
Cette approche, communément appelée Producer-based accounting (PBA) prend comme référence le lieu d’émissions des GES qui sert de métrique officielle pour l’estimation de l’évolution des émissions dans le temps et entre les différents pays dans le cadre des négociations climatiques internationales. C’est ainsi qu’est l’approche suivie par le Citepa dans l’élaboration des inventaires nationaux d’émissions de GES et de polluants, réalisés pour le Ministère français chargé de l’Environnement dans le cadre des engagements internationaux et européens de la France.
Aujourd’hui, à la différence de l’approche producteur, il n’existe pas de méthodologie harmonisée ou commune, validée au niveau international, pour comptabiliser les émissions basées sur la consommation. Le niveau d’incertitude de l’empreinte est élevé (risque de double-compte, contenu carbone des catégories socio-économiques ou d’oubli d’émissions entre deux pays…).
Emissions associées à la production de biens et aux services consommés (méthodologie suivie par le SDeS)
L’empreinte carbone est composée :
- des émissions directes des ménages (16%),
- des émissions de GES résultant de la fabrication des biens et services qu’ils consomment (84%).
Les émissions directes des ménages correspondent aux GES provenant de la consommation de carburant de leurs véhicules et des combustibles (gaz et fioul) brûlés dans les chaudières des logements. Les émissions associées à la fabrication des biens et services consommés se produisent dans les usines, bureaux, commerces, établissements publics ou exploitations agricoles, localisés en France ou à l’étranger. À un produit sont associées les émissions relevant directement de la branche d’activité concernée mais également les GES résultant de la production des biens ou services intermédiaires nécessaires à la fabrication de ce produit.
Emissions associées aux importations
Le niveau de l’empreinte carbone aurait crû significativement entre 1995 et 2005. Depuis 2005, le niveau d’émissions associé à la demande finale se stabiliserait. Selon ce calcul, et pour l’ensemble de la population, l’empreinte carbone représenterait 749 millions de tonnes (Mt) CO2e en 2018 contre 623 Mt CO2e en 1995, soit une hausse en niveau de 20%.
Compte tenu de l’augmentation de la population entre 1995 et 2018, l’empreinte, rapportée au nombre d’habitants, évoluerait peu sur cette même période (+7%). Sur une période plus récente, depuis 2005, l’empreinte carbone par habitant aurait diminué de 5%. Le différentiel entre l’empreinte et les émissions directes se serait donc formé en grande partie entre 1995 et 2005, selon les hypothèses prises par le SDeS, ce différentiel étant stable depuis.
Le SDeS soutient que l’évolution de la demande finale intérieure (consommation et investissement, hors exportations) est un des facteurs déterminant de l’évolution de l’empreinte carbone. En volume (euros constants), la demande finale intérieure aurait progressé de près de 50% depuis 1995. Une part croissante de cette demande serait ainsi satisfaite par les importations. Rappelons cependant, que, dans le même temps, les exportations ont progressé dans les mêmes proportions. D’après le SDeS, les émissions associées aux importations auraient quasiment doublé entre 1995 et 2018. Avec les hypothèses prises par le SDeS, les biens et services des pays exportateurs présentent souvent des intensités en GES plus élevées qu’en France. C’est pourquoi l’augmentation des importations contribuerait à la progression du niveau de l’empreinte. Ces émissions importées sont associées à 61% aux consommations de matières premières (combustibles fossiles par exemple pour le transport et le chauffage) ou des produits semi-finis, tels que les pièces détachées, incorporés par des activités économiques localisées en France et à 39% aux consommations finales (smartphones par exemple). Les émissions importées représenteraient plus de la moitié de l’empreinte carbone de la France (57% en 2018), alors qu’en valeur elles ne représentent que 20% du PIB français.
Alors que les émissions liées aux importations augmentent, les émissions intérieures (émissions directes des ménages et émissions de la production intérieure) diminuent (-21% entre 1995 et 2018) pour atteindre 43% de l’empreinte carbone de la France en 2018. Cette évolution est portée par la réduction des émissions associées à la production intérieure pour répondre à la demande finale en France (hors exportation) (- 29%). Les émissions directes des ménages ont diminué de 7% sur la même période.
Le Premier Ministre a chargé le Haut Conseil pour le Climat (HCC – lire notre article sur le sujet) de réaliser un audit de la méthodologie utilisée par le SDeS pour estimer l’empreinte carbone de la France, devenue un des indicateurs majeurs de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC – lire notre article sur le sujet).
Voir :
- analyse du SDeS,
- rapport présentant la méthodologie de calcul de l’empreinte carbone de la demande finale intérieure française,
- notre article sur l’étude de l’OFCE intitulée « L’empreinte carbone des ménages français et les effets redistributifs d’une fiscalité carbone aux frontières« , (publiée le 8 janvier 2020).