Emissions de GES : écart entre ambition et science (Emissions Gap Report 2019 du PNUE
Même avec la mise en œuvre intégrale des NDC, selon les projections du PNUE, les émissions de GES en 2030 ne seraient compatibles ni avec l’objectif de 1,5°C et ni même avec l’objectif de 2°C. Entre 2020 et 2030, les émissions mondiales de GES devraient baisser de 2,7% par an pour atteindre l’objectif de 2°C et de 7,6% par an pour atteindre l’objectif de 1,5°C.
Le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a publié le 26 novembre 2019 la 10e édition de son rapport annuel (Emissions Gap Report) qui évalue l’écart entre :
- le niveau de réduction collective des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 qui soit compatible avec les objectifs de 2°C et de 1,5°C et,
- les projections d’émissions mondiales de GES de tous les pays de la planète, basées sur leurs engagements de réduction pour 2025-2030, inscrits dans leurs contributions nationales (NDC) [soumises au titre de l’Accord de Paris]. Ces engagements sont inconditionnels [prévus quoi qu’il arrive] et/ou conditionnels [conditionnés à un soutien des pays industrialisés (financement, renforcement des capacités, transfert de technologies)], sans pour autant être contraignants [cf. article 4 de l’Accord de Paris].
Niveau d’émissions actuel
Les émissions de GES ont augmenté de 1,5% par an au cours de la dernière décennie et n’ont connu qu’une brève stabilisation entre 2014 et 2016. En 2018, les émissions totales mondiales de GES ont atteint le niveau record de 55,3 Gt CO2e (avec UTCATF) (contre 53,5 Gt CO2e en 2017).
Aucun signe n’indique que les émissions de GES plafonneront dans les années à venir. Chaque année de report du plafonnement signifie que les réductions devront être plus importantes et plus rapides. Si les émissions devaient plafonner en 2020, elles devraient être inférieures de 25 et 55 % à celles de 2018 en 2030 pour pouvoir limiter le réchauffement planétaire à 2°C et 1,5°C, respectivement, tout en suivant un profil d’évolution à moindre coût.
Scénario sans NDC(1)
Comparées au scénario de référence (64 Gt CO2e en 2030), les trajectoires projetées sur la base des mesures existantes devraient permettre de réduire les émissions mondiales de GES d’environ 4 Gt CO2e en 2030 pour atteindre 60 Gt CO2e. Cette réduction de 4 Gt CO2e est inférieure à celle projetée dans les rapports de 2018 et de 2017 [qui était de l’ordre de 6 t CO2e], ce qui indique un ralentissement des progrès en 2018 (par rapport à 2017 et à 2016) dans la mise en œuvre des politiques qui permettraient de réaliser les objectifs de réduction fixés dans les NDC.
Or, le niveau à ne pas dépasser à cet horizon pour ramener les émissions sur une trajectoire compatible avec l’objectif de 2°C est désormais estimé à 41 Gt CO2e [et non plus à 40 Gt CO2e (cf. rapport de 2018)]. L’écart est donc de 19 Gt CO2e. Pour l’objectif de 1,5°C, le niveau à ne pas dépasser en 2030 serait de 25 Gt CO2e, soit un écart de 35 Gt CO2e.
Scénario avec NDC
Même avec les NDC, en 2030, les émissions mondiales de GES devraient atteindre 54 Gt CO2e [mise en œuvre intégrale des objectifs inconditionnels et conditionnels] à 56 Gt CO2e [mise en œuvre uniquement des objectifs inconditionnels], soit une réduction comprise entre 4 et 6 Gt CO2e par rapport au scénario sans NDC en 2030.
Cohérence avec les données du GIEC
La fourchette de 54-56 Gt CO2e précitée est cohérente avec les projections du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] dans le résumé pour décideurs de son rapport spécial +1,5°C publié le 8 octobre 2018 (lire notre article et notre dossier sur le sujet) [Impacts du réchauffement à +1,5°C] : 52-58 Gt CO2e en 2030 sur la base du niveau d’ambition des NDC actuelles.
L’écart entre l’ambition des NDC et le niveau de réduction collective nécessaire pour une trajectoire compatible avec l’objectif de 2°C serait alors de 13 à 15 Gt CO2e ; pour une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5°C, l’écart serait de 29 à 31 Gt CO2e(2). Traduit sur une base annuelle, cela signifie une réduction des émissions de 2,7 % par an de 2020 à 2030 pour atteindre l’objectif de 2°C et de 7,6% par an pour atteindre l’objectif de 1,5°C. C’est la première fois que l’Emissions Gap Report examine la réduction annuelle nécessaire pour respecter les objectifs de température fixés par l’Accord de Paris (article 2).
Les émissions mondiales de GES doivent donc baisser de 26% en 2030 par rapport à 2018 pour s’engager sur une trajectoire d’émissions compatible avec l’objectif de 2°C et de 55% pour l’objectif de 1,5°C.
Les engagements [inconditionnels + conditionnels] pris par les Parties dans le cadre de leurs NDC, qui constituent le fondement de l’Accord de Paris, ne représentent qu’environ un tiers des réductions d’émissions de GES nécessaires à l’horizon 2030 pour respecter l’objectif de 2°C et que près d’un sixième pour respecter l’objectif de 1,5°C. En d’autres termes, il faudrait donc respectivement multiplier par trois le niveau d’ambition inscrit dans les NDC pour respecter l’objectif de 2°C et au moins par cinq pour respecter l’objectif de 1,5°C.
En outre, ces estimations se basent sur l’hypothèse que les pays mettraient en œuvre les engagements de réduction inscrits dans leurs NDC, ce qui est loin d’être acquis à ce stade.
Evolution des émissions mondiales de GES (en Gt CO2e) selon des scénarios avec et sans NDC par rapport aux objectifs de 2°C et de 1,5°C
Source : PNUE, Emissions Gap Report 2019
Hausse des températures
La mise en œuvre des NDC entraînerait une augmentation des températures à l’horizon 2100 de 3°C [mise en œuvre intégrale des engagements] à 3,2°C [mise en œuvre des engagements inconditionnels seulement]. Ces projections sont identiques à celles des rapports 2018 et 2017.
Conclusions
Le PNUE est formel : « Il est nécessaire de renforcer considérablement les NDC en 2020. Les pays doivent tripler le niveau d’ambition de leurs NDC pour atteindre l’objectif de 2°C, et ils doivent faire plus que quintupler ce niveau pour atteindre l’objectif de 1,5°C« .
Le mécanisme de relèvement de l’Accord de Paris prévoit de renforcer les NDC tous les cinq ans. Les Parties à l’Accord de Paris ont fixé à 2020 la prochaine échéance critique de ce processus de relèvement, en invitant les pays à communiquer ou à mettre à jour leurs NDC à ce moment-là. Compte tenu du décalage entre les décisions politiques et les réductions d’émissions qui devraient en résulter, un relèvement des NDC en 2025 sera trop tardif pour résorber l’écart important qui s’est creusé en matière de réduction des émissions d’ici 2030.
Repousser encore davantage les réductions indispensables à la réalisation des objectifs fixés impliquerait de diminuer les émissions futures et d’éliminer le CO2 de l’atmosphère dans de telles proportions qu’il faudrait s’écarter considérablement des profils d’évolution actuellement disponibles. Cette situation, conjuguée aux mesures d’adaptation requises, risque de compromettre gravement l’économie mondiale et de nuire à la sécurité alimentaire et à la biodiversité.
Enfin, le PNUE souligne que l’action renforcée des pays du G20 (qui représentent 78% des émissions mondiales de GES) sera essentielle à l’effort mondial de réduction des émissions.
(1) Projections d’émissions mondiales en prenant en compte les politiques climat actuelles adoptées mais hors engagements de réduction des NDC.
(2) A titre de comparaison, les écarts estimés pour 2017 (rapport 2018 –lire notre article sur le sujet) étaient de 13 à 16 Gt CO2e (2°C) et de 29 à 32 Gt CO2e (1,5°C), et pour 2016 (rapport 2017 –lire notre article sur le sujet) : de 10,8 à 13,2 Gt CO2e (2°C) et de 16 à 19 Gt CO2e (1,5°C)
Voir pages du site du PNUE consacrées au rapport, communiqué en français et en anglais, synthèse en français et en anglais, rapport intégral, questions/réponses, enseignements tirés d’une décennie d’évaluations de l’écart entre science et ambition.