Vers la fin du financement des projets énergétiques fossiles par la Banque européenne d’investissement
Au bout de 10 mois de négociation, d’un report par deux fois (10 septembre et 15 octobre 2019) de la décision et d’une réunion qui a duré 11 heures, le 14 novembre 2019, le Conseil d’administration de la Banque européenne d’investissement est parvenu à un accord sur une nouvelle politique de prêt dans le secteur de l’énergie. Sur les 29 membres du Conseil d’administration (un administrateur désigné par chacun des 28 États membres (EM) et un administrateur désigné par la Commission européenne), 20 EM et la Commission ont approuvé la nouvelle politique, six EM se sont abstenus (Chypre, Estonie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte) et trois EM ont voté contre (Hongrie, Pologne et Roumanie) (source : PoliticoEurope, 14 novembre 2019).
La Banque européenne d’investissement
La Banque européenne d’investissement (BEI) est l’institution de financement de l’Union européenne. Elle est le premier prêteur multilatéral et le principal bailleur de fonds de l’action en faveur du climat dans le monde, avec une part de 25% du montant total de son financement dédiée aux investissements en matière de climat (sources : BEI et programme pour l’Europe, Ursula von der Leyen, 16 juillet 2019, p.6).
Au terme d’un long débat, le Conseil d’administration de la BEI a donc annoncé avoir dégagé un compromis sur cette nouvelle politique (voir document final), dont le point clé est la fin de son financement de projets qui recourent aux combustibles fossiles sans dispositif d’abattement (réduction) des émissions de GES à compter de fin 2021. A partir de cette échéance, cela signifie que la BEI ne financera plus ni la production de pétrole ou de gaz naturel en amont, ni l’extraction minière, ni l’infrastructure dédiée au charbon, au pétrole et au gaz naturel (réseaux, terminaux de gaz de pétrole liquéfié, stockage). L’échéance de 2021 représente un compromis car la proposition initiale de révision de la politique de prêt en matière d’énergie, publiée le 24 juillet 2018, prévoyait d’arrêter ce financement fin 2020 (voir paragraphe 10 p.3). Ainsi, la BEI devient désormais la première banque multilatérale à appliquer une telle interdiction visant les énergies fossiles en général.
La BEI continuera de financer des projets énergétiques fossiles, à deux conditions
Concrètement, la BEI continuera à financer des projets énergétiques fossiles, à deux conditions :
- qu’ils mettent en œuvre des dispositifs de réduction d’émissions de GES, et
- que les émissions de GES des projets de production d’électricité ne dépassent pas 250 g CO2 par kilowatt-heure (kWh) produite.
Première condition : un projet énergétique fossile peut être financé s’il abat ses émissions
A ce stade, il n’est pas possible de connaître les modalités exactes de prise en compte des « abattements » (réduction) des émissions de gaz à effet de serre (GES). S’agit-il uniquement de réductions liées au captage et au stockage du CO2 (CSC) ? Cela peut-il aussi s’appliquer à une valorisation des émissions (biogaz…) ? Cela peut-il aussi s’appliquer à la compensation (via par exemple des projets forestiers) ? S’agit-il d’émissions effectivement réduites, à la source, ou bien d’engagements de réduction ? Dans sa version initiale, le texte ne mentionnait pas que seuls les projets énergétiques sans dispositif d’abattement de réductions seraient non financés : il s’agissait initialement d’une interdiction simple de tout projet énergétique fossile, ce qui signifie donc que le résultat final (cette première condition) constitue un recul par rapport à l’ambition initiale :
« the Bank will phase out support to energy projects reliant on fossil fuels »
[la [BEI] éliminera progressivement le financement des projets énergétiques qui recourent aux combustibles fossiles]
Version initiale du 24/07/2019
(paragraphe 10, p.3).
« the Bank will phase out support to energy projects reliant on unabated fossil fuels«
[la [BEI] éliminera progressivement le financement des projets énergétiques qui recourent aux combustibles fossiles sans dispositif d’abattement]
(paragraphe 11, p.4).
« the Bank will phase out support to energy infrastructure directly associated with unabated fossil fuels«
[la [BEI] éliminera progressivement le financement des infrastructures énergétiques directement liées aux combustibles fossiles sans dispositif d’abattement]
(paragraphe 18, p.14).
Deuxième condition : limite d’émission pour la production d’électricité
Un projet énergétique fossile de production d’électricité pourra être financé si ses émissions ne dépassent pas 250 g CO2 par kilowatt-heure (kWh) produite (voir version finale du document, paragraphe 21 p.15). Il s’agit en fait d’une mise à jour d’une condition déjà introduite en 2013 : la BEI avait mis fin au financement de la production d’électricité avec un critère d’éligibilité (« norme d’émission ») de 550 g CO2/kWh, ce qui revenait de fait à mettre fin au financement des projets de centrales fonctionnant au charbon et à la lignite pour la production d’électricité.
Dessiner une nouvelle politique énergétique à moyen terme
Au-delà de la limitation des financements des projets énergétiques fossiles, cette nouvelle politique de prêt dans le secteur de l’énergie comprend cinq principes généraux qui régiront les interventions futures de la BEI dans ce secteur :
- accorder la priorité à l’efficacité énergétique afin de soutenir le nouvel objectif de l’UE au titre de la directive (UE) 2018/844 sur l’efficacité énergétique,
- permettre la décarbonation de l’énergie à l’aide d’un soutien renforcé aux technologies à émissions de CO2 faibles ou nulles, dans l’optique d’atteindre une part de 32% d’énergies renouvelables dans l’ensemble de l’UE d’ici à 2030 (conformément à la directive (UE) 2018/2001),
- accroître les financements à l’appui de la production d’énergie décentralisée, du stockage énergétique innovant et de l’électromobilité,
- assurer la mise en œuvre des investissements dans les réseaux électriques essentiels pour les nouvelles sources d’énergie intermittentes comme le solaire ou l’éolien, tout en renforçant les interconnexions transfrontalières,
- renforcer l’impact des investissements afin de soutenir la transformation du secteur de l’énergie en dehors de l’UE.
Par ailleurs, le Conseil d’administration de la BEI a approuvé une nouvelle stratégie relative à l’action en faveur du climat et à la durabilité environnementale [document non encore disponible]. Elle s’articule autour de trois éléments principaux :
- la BEI visera à soutenir la mobilisation de 1 000 milliards d’euros (Md€) d’investissements à l’appui de l’action pour le climat et de la durabilité environnementale au cours de la décennie 2021-2030, laquelle sera décisive dans la lutte contre le changement climatique. [La BEI annonce avoir déjà mis à disposition, depuis 2012, 150 Md€ de financements à l’appui de 550 Md€ d’investissements en faveur de projets qui réduisent les émissions de GES et aident les pays à s’adapter aux effets des changements climatiques.]
- la BEI augmentera progressivement la part de ses financements consacrée à l’action climatique et à la durabilité environnementale pour qu’elle atteigne 50 % de ses opérations à compter de 2025,
- la BEI alignera l’ensemble de ses activités de financement sur les principes et objectifs de l’Accord de Paris [et notamment sur l’article 2.1(c)] d’ici à la fin de 2020. Dans un avenir proche, ces éléments seront complétés par des mesures qui viseront à garantir que les financements de la BEI contribuent à une transition juste pour les régions ou les pays les plus touchés.
Cette révision de la politique de prêt pour les projets énergétiques de la BEI envoie un signal fort aux autres institutions financières et constitue une étape clé dans la mise en place d’une banque du climat de l’UE. En effet, dans son programme pour l’Europe (A European Green Deal), présenté le 16 juillet 2019 (lire notre article sur le sujet), la future présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait préconisé la transformation de certaines parties de la BEI en la « Banque du climat » de l’UE (voir p.6 de son programme).
La proposition de création d’une banque européenne du climat : Pacte Finance-Climat de l’UE
Lors d’un événement-débat à Paris, le 19 février 2019, l’économiste français Pierre Larrouturou et le climatologue français Jean Jouzel ont lancé un projet de traité européen intitulé Pacte Finance-Climat de l’UE qui propose la création d’une banque européenne du climat et de la biodiversité. Le Pacte est porté par le collectif « Agir pour le climat » (association loi 1901) qui a pour objet exclusif de promouvoir le Pacte finance Climat. Le Pacte a été signé par plus de 500 personnalités de 12 pays, plus de 200 députés français, ainsi que de nombreuses collectivités, scientifiques, économistes, agences publiques, entreprises, fondations et ONG.
Voir communiqué de la BEI.