COP-20 à Lima : pas d’avancées surprises malgré l’optimisme en amont
Du 1er au 12 décembre 2014 a eu lieu la 20e Conférence des Parties (COP-20) à la Convention Climat, à Lima (Pérou). Elle intervient dans un contexte marqué par une situation économique toujours difficile, par la nécessité de concrétiser les fondements de l’accord à conclure en 2015 , par la récente publication de plusieurs études scientifiques d’organisations internationales faisant autorité [qui constatent des niveaux records d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et/ou de concentrations de GES en 2012 (GIEC, CCNUCC, PNUE, OMM, AIE,…)], mais aussi par un certain optimisme suite aux avancées politiques et diplomatiques depuis septembre 2014 [accord USA-Chine , capitalisation du Fonds vert pour le climat,….].
Les négociations ont principalement porté sur la forme et le contenu des « contributions nationales » (INDC), les éléments pour le projet de texte de négociation et le soutien financier . Nous revenons ci-après sur les avancées et difficultés observées sur ces points.
Au total, 32 décisions ont été adoptées ( voir ci-contre pour les décisions clés ).
Déroulement de la Conférence
La Conférence de Lima s’est articulée autour d’une série de réunions qui se sont déroulées en parallèle :
- des sessions techniques au sein de la « piste » de négociation sur le régime post-2020 : le Groupe de travail sur la plate-forme de Durban (ADP);
- des sessions techniques au sein des deux enceintes permanentes : la 20e Conférence des Parties [COP-20] à la Convention Climat (CCNUCC) et la 10e Réunion des Parties [CMP-10] au Protocole de Kyoto;
- un segment de haut niveau rassemblant les Ministres du Climat, de l’Energie et/ou de l’Environnement des 196 Parties à la Convention Climat pour la prise de décision politique (du 9 au 12 décembre).
Résultats obtenus
Au terme de deux semaines de négociations intenses et 33 heures au-delà de l’heure de clôture officielle prévue, la COP-20 s’est achevée dans la nuit du samedi au dimanche 14 décembre 2014. Les Parties sont finalement parvenues in extremis à un accord de compromis posant les bases du nouvel accord mondial sur le climat pour la période post-2020 qui devrait être conclu à la COP-21 en 2015. Au total, 32 décisions ont été adoptées (24 par la COP-20 et 8 par la CMP-10), à la fois de nature stratégique, technique et procédurale.
Avancées et faiblesses par point clé
Contributions nationales (INDC)(2)
La décision dite Appel de Lima pour l’action climat définit les contours des INDC. En particulier, elle :
- réaffirme l’échéance [fixée par la décision 1/CP.19 adoptée à Varsovie] pour soumettre les INDC [ » bien en amont de la COP-21 ( et avant le 31 mars 2015 pour les Parties en mesure de le faire ) » de manière à faciliter la clarté, la transparence et la compré-hension des INDC] . Ainsi, Lima n’a pas fixé d’échéance plus précise ou contraignante à cet égard;
- insiste sur le fait que les INDC soumises devront aller au-delà des engagements actuels des Parties [les INDC doivent donc être plus ambitieuses que les engagements souscrits à ce jour];
- prévoit la possibilité pour les Parties d’inclure dans leurs INDC un volet sur l’adaptation [compromis en faveur des pays en développement car les pays industrialisés (UE et Etats-Unis en tête) souhaitaient limiter le champ des INDC à l’atténuation (réduction des émissions et accroissement des puits de carbone)];
- propose mais n’impose pas de méthode uniforme pour l’éla-boration des INDC . Pour faciliter la clarté, la transparence et la compréhension, parmi les informations à inclure par les Parties, lorsqu’elles communiqueront leurs INDC, « peuvent » [formulation plus faible que celle de la version précédente du projet de décision ( » doivent « ) sous pression de la Chine et de l’Inde] figurer l’année de référence, la période d’engagement et/ou le calendrier de mise en œuvre, le champ couvert [GES, secteurs,…] , les hypothèses, la méthodologie d’estimation et de comptabilisation des émissions anthropiques et absorptions de GES, dans quelle mesure l’INDC est équitable et ambitieuse, et dans quelle mesure l’INDC contribue à l’objectif ultime de la CCNUCC ( article 2 ) . [En clair, les Parties peuvent choisir dans cette liste non exhaustive le type d’informations qu’ils souhaitent communiquer dans le cadre de leurs INDC. Ce manque d’homo-généité ne facilitera pas la tâche de comparaison et d’analyse des INDC soumises afin d’évaluer leur adéquation par rapport à l’effort collectif et leur compatibilité avec l’objectif de 2°C];
- charge le Secrétariat de la CCNUCC de publier sur le site de celle-ci les INDC au fur et à mesure qu’elles sont communiquées [afin de renforcer leur transparence];
- charge également le Secrétariat de la CCNUCC d’élaborer d’ici le 1er novembre 2015 [soit un mois avant la COP-21] un rapport de synthèse sur l’impact agrégé des INDC [du moins celles transmises avant le 1er octobre 2015]. Outre ce rapport, aucun processus formel n’est mis en place pour évaluer ces INDC [évaluation dite » ex ante » afin de les renforcer au regard de l’objectif de 2°C. La version initiale du texte de la décision proposé prévoyait un tel processus qui a fini par être supprimé du texte final sous la pression notamment de la Chine et de l’Inde].
Projet de texte de négociation
La décision dite Appel de Lima pour l’action climat :
- charge le Groupe de travail ADP d’intensifier ses travaux afin de mettre à disposition un texte de négociation intégral « avant mai 2015 » [réaffirmation de l’échéance fixée par la décision 2/CP.18 . Conformément à l’article 15 de la CCNUCC, tout amendement de celle-ci doit être soumis aux Parties « au moins six mois avant la COP à laquelle l’amendement est proposé pour adoption« , soit le 30 mai 2015 pour une adoption à la COP-21];
- précise les volets que doit couvrir le futur accord : atténuation, adaptation, finance, développement et transfert de technologies, renforcement des capacités, transparence des actions climat et du soutien en faveur de celles-ci;
- réaffirme que le futur accord doit refléter les principes de la CCNUCC [responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives des Parties (cf. article 3.1 (1) ] mais ajoute « en fonction des différentes circonstances nationales », reflétant ainsi la réalité économique des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil,…). Cet élément [repris mot pour mot de la déclaration bilatérale USA-Chine du 11 novembre 2014] , représente l’amorce d’une évolution de la division binaire pays industrialisés versus PED (2) [ancrée dans la CCNUCC et le Protocole de Kyoto] vers un cadre de différenciation plus nuancé, plus dynamique et plus souple avec, à la clé, une prise de responsabilité de ces pays émergents;
- reconnaît, en l’adossant en annexe à la décision, la dernière version du texte rassemblant les éléments du projet de texte de négociation comme base formelle de négociation de l’accord de 2015. Ce texte [s’appuyant sur un document informel (non-paper) élaboré par les Co-Présidents du groupe ADP en amont de Lima] devient ainsi un document de travail officiel acté par toutes les Parties pour la poursuite des négociations en 2015. Loin d’être figé, ce texte comporte de nombreuses options sur les principaux volets du futur accord, reflétant ainsi les divergences d’opinion des différentes Parties [notamment sur la vision à long terme et les engagements à souscrire au sein du volet atténuation].
Autres avancées
- évaluation, notification et vérification ( MRV ) : afin d’accroître la transparence et la confiance, un processus d’ évaluation multilatérale a été lancé mettant en œuvre des décisions adoptées par la COP à Cancun, Durban et Doha sur le MRV. Ainsi, 17 pays industrialisés ayant fixé des objectifs de réduc-tion des émissions de GES se sont soumis à une évaluation par d’autres Parties;
- actions non étatiques : un nouveau portail, baptisé portail Nazca pour l’action climat, a été lancé par le Gouvernement du Pérou, avec le soutien de la CCNUCC, afin de valoriser les actions climat non étatiques [villes, régions, secteur privé, y compris celles dans le cadre des initiatives de coopération internationales à l’instar de celles lancées au Sommet des Nations Unies sur le Climat du 23 septembre 2014 à New York ];
- Agenda des actions Lima-Paris : les Gouvernements péruvien et français [ce dernier en tant que future Présidente de la COP] ont lancé cette initiative en vue de catalyser l’action climat au niveau des Etats, des villes et du secteur privé, de renforcer l’ambition pré-2020 et de soutenir l’adoption d’un accord en 2015 et ce, en s’appuyant sur les résultats obtenus au Sommet sur le Climat de New York (voir ci-dessus).
Questions restées en suspens
Lima n’a pas permis d’avancer sur plusieurs questions clés qui doivent être tranchées d’ici la COP-21 :
- la forme juridique de l’accord. Les trois options prévues par la décision 1/CP.17 [adoptée à Durban en 2011] sont toujours sur la table [protocole, nouvel instrument juridique ou texte convenu d’un commun accord ayant force juridique] ;
- la valeur juridique de l’accord [contraignant ou non ?];
- la différenciation des engagements [répartition de l’effort collectif parmi les différentes Parties et notamment entre pays industrialisés, pays émergents et PED];
- la durée de la période d’engagement post-2020 [5 ou 10 ans];
- le financement à l’horizon 2020 : comment passer de la capitalisation du Fonds vert pour le Climat (GCF) à hauteur de 10,2 Md $ sur 2015-2018 [ stock (somme totale promise) au 11 décembre 2014 ] à une mobilisation de fonds publics et privés de 100 Md $/an d’ici 2020 ? [engagement de la part des pays industrialisés acté à la COP-15 (Copenhague), puis confirmé à la COP-16 (Cancún) . En clair, il faudra garantir aux PED une plus grande visibilité et une plus grande prévisibilité des flux financiers au-delà de 2020]. L’Appel de Lima se limite à demander avec insistance aux Parties de fournir et de mobiliser un soutien financier renforcé aux PED pour la mise en œuvre d’actions de réduction ambitieuses. La décision adoptée sur le financement à long terme n’est pas plus précise à cet égard;
- l’action pré-2020 : même si la décision prend acte « avec une profonde inquiétude » de l’écart important entre l’ambition et la science ( voir article ci-contre ), elle comporte très peu d’éléments concrets pour réduire cet écart sur la période 2015-2020. La Secrétaire exécutive de la CCNUCC et le Président de la COP [en l’occurrence la France pour la COP-21] sont encouragés à convoquer une réunion annuelle de haut niveau sur le renforcement de la mise en œuvre de l’action climat.
Bilan et perspectives
Vu l’importance de ces questions restées en suspens et les divergences d’opinion autour d’elles, des négociations lourdes et difficiles se profilent en 2015. Tous les yeux sont désormais rivés sur la première des deux sessions de négociation intermédiaires prévues avant la COP-21 [3e session du Groupe ADP du 8 au 13 février] pour dégager un consensus sur les éléments clés de l’accord en vue de remettre un projet de texte de négociation intégral avant fin mai 2015.
C’est en réalité à cet horizon qu’il sera possible de prévoir avec une plus grande probabilité les chances de réussite ou non de la COP-21. L’objectif ultime des travaux de l’année 2015 est donc de permettre d’ouvrir la COP-21 avec un projet de texte intégral plus ou moins consensuel, du moins dans les grandes lignes.
Comme l’a dit à Lima le Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, l’accord de Paris « demandera encore un travail important et délicat » (source : communiqué de presse du MAE du 14/12/2014). Chaque Partie devra accepter de faire des compromis, au-delà de la volonté politique partagée de faire aboutir les négociations, pour que Paris Climat 2015 aboutisse à un accord universel, juridiquement contraignant, ambitieux, équitable et applicable à toutes les Parties.
(1) Voir SD’Air n°182 p.28. (2) Voir SD’Air n°182 p.27.
- int/2860.php#decisions (décisions adoptées)
- cop20.pe/en (site officiel de la COP-20)
- iisd.ca/download/pdf/enb12619e.pdf (bilan détaillé établi par l’Institut International du Développement Durable, IISD