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5e rapport d’évaluation du GIEC : publication du 3e volume (atténuation)

  • Réf. : 2014_05_a1
  • Publié le: 1 mai 2014
  • Date de mise à jour: 18 juin 2019
  • International

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu public, le 13 avril 2014, le résumé pour les décideurs du 3e volume de son 5e rapport d’évaluation (AR5). Ce volume, consacré à l’atténuation du changement climatique (voir encadré), a été rédigé par 235 auteurs dont six français.

Durant cinq jours (7-11 avril 2014), le Groupe de travail III (WG III) du GIEC a ainsi approuvé ligne par ligne, le résumé à l’intention des décideurs du 3e volume de l’AR5. Le texte final de 33 pages a ensuite été soumis au GIEC lors de sa 39e session plénière, le 11 avril, pour adoption formelle à l’unanimité, par l’ensemble de ses 195 pays membres. Le rapport complet du WG III a été publié le 14 avril 2014.

Ce mois-ci, le CITEPA revient sur ce qu’il faut retenir de ce rapport : les chiffres clés, les changements méthodologiques, ainsi que les principaux enjeux politiques et socio-économiques.

Quels sont les nouveaux éléments du 3e volume de l’AR5?

Par rapport au 3e volume des rapports d’évaluation précédents, les nouveautés du 3e volume de l’AR5 sont notamment :

  • un traitement renforcé des questions économiques, éthiques et liées aux risques,
  • une approche descendante et ascendante itérative pour évaluer les objectifs fixés au niveau mondial pour la protection du climat [concepts, coûts et conséquences économiques, secteurs, technologies, développement durable, et prise en compte des différences régionales],
  • une évaluation intégrée, d’une part, des risques et incertitudes liées aux politiques climat aux niveaux mondial, régional, national et infranational et, d’autre part, des investissements nécessaires et du financement associé;
  • une analyse des émissions indirectes de GES [celles liées à la consommation de biens].

Les rapports d’évaluation du GIEC

Le mandat du GIEC, établi en 1988, est d’évaluer, de façon objective, les travaux scientifiques, techniques et socio-économiques sur le changement climatique et les options de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), afin d’éclairer les politiques sans pour autant être prescriptif, ni préconiser de choix politiques.

Comme les précédents (1990, 1995, 2001, 2007), le 5e rapport d’évaluation est divisé en trois rapports scientifiques complets (placés chacun sous la responsabilité d’un groupe de travail : (I) aspects scientifiques [publié le 27 septembre 2013] (lire notre article sur ce sujet); (II) impacts, adaptation et vulnérabilité [publié le 31 mars 2014]; (III) atténuation), ainsi qu’un rapport de synthèse. Les trois rapports scientifiques complets comportent chacun un résumé à l’intention des décideurs et un résumé technique.

L’atténuation (« mitigation » en anglais) est définie par le GIEC comme l’intervention humaine visant à réduire les émissions de GES des différentes sources ou à accroître les puits de carbone [notamment par le boisement ou reboisement].

Que retenir du résumé pour les décideurs ?

Chiffres clés

  • la production d’énergie a contribué pour 47% à la hausse des émissions anthropiques mondiales de GES entre 2000 et 2010, l’industrie pour 30%, les transports pour 11% et le résidentiel/tertiaire pour 3%;
  • la hausse des émissions mondiales de GES entre 1970 et 2010 est imputable à 78% aux émissions de CO2 issues de la combustion des combustibles fossiles;
  • les émissions cumulées, entre 1750 et 1970, de CO2 issues de la combustion des combustibles fossiles s’élevaient à 420 Gt CO2 [soit 2 Gt CO2e / an en moyenne]. Depuis 1970, elles ont quasiment triplé pour atteindre 1 300 Gt CO2 en 2010 [soit 20 Gt CO2e / an en moyenne];
  • au rythme actuel des émissions mondiales de GES [+2,2%/an sur 2000-2010], les concentrations atmosphériques de GES dépasseront 450 ppm CO2e en 2030 et atteindront des niveaux compris entre 750 et 1 300 ppm CO2e en 2100 [niveau de 430 ppm CO2e déjà atteint en 2011];
  • ces niveaux correspondraient à une hausse des températures moyennes mondiales comprise entre 3,7 et 4,8°C d’ici 2100 [soit bien au-delà de l’objectif de 2°C];
  • pour ne pas dépasser 450 ppm CO2e d’ici 2100, il faudrait réduire les émissions mondiales de GES dans une fourchette comprise entre 40 et 70% en 2050 (base 2010) afin d’atteindre des niveaux proches de 0 Gt CO2e en 2100 ;
  • pour rester en deçà de 500 ppm CO2e d’ici 2100, la fourchette de réduction devrait être comprise entre 25 et 55% en 2050 (base 2010).

Changements méthodologiques

  • les scénarios de réduction que le GIEC qualifie d’ayant un bon rapport coût-efficacité reposent sur trois hypothèses principales : mise en œuvre immédiate d’actions de réduction dans tous les pays, prix unique du CO2 au niveau mondial, disponibilité immédiate des technologies de réduction [conditions qui sont loin d’être réunies à l’heure actuelle];
  • le GIEC semble utiliser comme année de référence 2010 et non pas 1990 [contrairement aux rapports d’évaluation précédents];
  • pour la première fois, outre les énergies renouvelables et le nucléaire, le GIEC intègre, dans le portefeuille des énergies sobres en carbone, les énergies fossiles à condition qu’elles soient couplées aux techniques de captage/stockage du CO2.

Principaux enjeux politiques et socio-économiques

Tendances et scénarios possibles

  • objectif 2°C : le GIEC continue de prendre en compte des scénarios de réduction permettant de respecter l’objectif de 2°C. Cependant, même si ces réductions sont techniquement et économiquement faisables, elles exigeraient de très importants efforts immédiats et rapides, en rupture nette avec les tendances actuelles;
  • charbon : ces dernières années, le recours accru au charbon par rapport aux autres sources d’énergie a inversé la tendance, observée de longue date, de « décarbonisation » progressive de la production mondiale d’énergie;
  • objectif de réduction – pays industrialisés : le GIEC ne précise aucun « objectif » de réduction spécifiquement pour les pays industrialisés à l’horizon 2020 ou 2050 [contrairement au 4e rapport d’évaluation : respectivement -25 à -40% d’ici 2020 (base 1990) et -80 à 95% d’ici 2050 (base 1990)].

Ces objectifs indicatifs ont été remplacés par la préconisation d’un objectif de réduction générale au niveau mondial [-40 à -70% d’ici 2050 (base 2010) pour ne pas dépasser 450 ppm CO2e en 2100]. Ce changement de cap pourrait avoir des conséquences importantes pour l’ensemble du processus politique des négociations climat, et notamment au niveau de l’UE.

Secteurs à fort potentiel de réduction

  • production d’électricité : pour ne pas dépasser 450 ppm CO2e d’ici 2100, les émissions mondiales de CO2 du secteur de la production d’électricité devraient baisser d’au moins 90% entre 2040 et 2070 (base 2010) pour atteindre un niveau nul [zéro émission] après 2070. Par contre, si la tendance actuelle se poursuit, les émissions de CO2 de ce secteur devraient doubler, voire tripler d’ici 2050;
  • transports :
    • par des mesures de réduction techniques et comportementales, couplées aux investissements [infrastructures et réaménagement urbain], il serait possible de réduire la demande mondiale d’énergie finale d’environ 40% en 2050 par rapport au scénario tendanciel ;
    • de manière générale, il serait possible de réaliser des réductions d’émissions de CO2 de 15 à 40% d’ici 2050. Par contre, si la tendance actuelle se poursuit, les émissions de CO2 de ce secteur devraient doubler d’ici 2050;
  • industrie : l’intensité énergétique du secteur industriel pourrait être réduite d’environ 45% par rapport au niveau actuel (dont environ 25% par le biais de l’amélioration, le remplacement et la mise en œuvre généralisés des meilleures techniques disponibles et 20% par des innovations technologiques);
  • agriculture, forêts et autres utilisations des terres : les émissions annuelles nettes de CO2 devraient diminuer en 2050 de moitié par rapport au niveau de 2010 [baisse comprise entre 5 et 6 Gt CO2e]. Ce secteur pourrait même devenir un puits net de CO2 avant la fin du 21e siècle.

Coûts, investissements et actions de réduction

  • coût du report des actions : si les actions de réduction ne sont pas mises en œuvre au cours des 15 prochaines années [d’ici 2030], alors le coût d’actions ultérieures sera plus élevé et les décideurs politiques disposeront d’un choix d’options de réduction plus réduit;
  • surcoûts des actions de réduction sur la croissance : le GIEC estime que les coûts annuels des mesures de réduction à mettre en œuvre pour ne pas dépasser 450 ppm CO2e d’ici 2100 se traduiraient par une baisse d’environ 0,06 point de pourcentage par an au cours du 21e siècle, conduisant, d’ici 2050, à une croissance mondiale comprise entre 1,54% et 2,94% par an [au lieu de 1,6 à 3% par an selon un scénario tendanciel], même si ce manque à gagner est à relativiser (voir encadré ci-après) ;

Chiffrage des coûts et bénéfices de l’atténuation

Le chiffrage du GIEC des coûts des actions de réduction par rapport à la croissance selon un scénario tendanciel ne prend en compte ni les bénéfices économiques [création d’emplois,…] ou les co-bénéfices [réduction de la dépendance vis-à-vis des importations de combustibles fossiles et donc un renforcement de la sécurité énergétique, impacts positifs d’une meilleure qualité de l’air sur la santé publique, etc.], ni les coûts d’adaptation évités [prévention des impacts futurs du changement climatique] (Source : GIEC). En d’autres termes, le chiffrage réalisé est limité aux coûts de réduction alors que l’intégration des bénéfices économiques, des co-bénéfices et des coûts d’adaptation évités, aurait permis de constituer une évaluation plus complète.

  • coût des investissements : pour que les concentrations atmosphériques de GES restent dans une fourchette comprise entre 430 et 530 ppm CO2e d’ici 2100, au cours des deux prochaines décennies (2010-2029), il faudrait augmenter les investissements mondiaux dans la production d’électricité à faible intensité en carbone [énergies renouvelables, nucléaire, captage et stockage du CO2] d’environ 147 Md $ US/an [soit un doublement par rapport à 2010].

De même, il faudrait accroître les investissements mondiaux en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique dans les secteurs transports, résidentiel/tertiaire et industrie d’environ 336 Md $ US/an [à titre de comparaison, les investissements annuels totaux mondiaux dans les systèmes énergétiques s’élèvent aujourd’hui à 1 200 Md $ US par an].

Technologies à développer

  • énergies faiblement émettrices : pour ne pas dépasser 450 ppm CO2e d’ici 2100, il faudrait multiplier par 3, voire 4 la part des énergies sobres en carbone [énergies renouvelables, nucléaire, bioénergie avec captage et stockage du CO2 (CSC), et énergies fossiles couplées au CSC] dans la production d’énergie d’ici 2050. En particulier, pour rester dans une fourchette comprise entre 430 et 530 ppm CO2e d’ici 2100, la part de production d’électricité à faible intensité en carbone devrait passer à 80% d’ici 2050 [contre 30% aujourd’hui];
  • captage/stockage du CO2 (CSC) : le CSC n’a pas encore été mis en œuvre à l’échelle industrielle dans des centrales thermiques aux combustibles fossiles en service, les principales entraves étant la sûreté de fonctionnement, l’intégrité environnementale à long terme du stockage de CO2 et les risques de transport du CO2 capté ;
  • bioénergies : le GIEC souligne que les incertitudes pesant sur le rôle exact des bioénergies [énergies issues de toute forme de biomasse, dont les biocarburants] dans la réduction des émissions de GES ne devraient pas empêcher le déploiement des bioénergies poten-tiellement bénéfiques dans la lutte contre le changement climatique;
  • géo-ingénierie : le GIEC évoque indirectement et avec une très grande précaution l’idée de recourir à diverses techniques de retrait du CO2 de l’atmosphère regroupées sous le terme général de « CDR » [CO2 removal]. Ce n’est que dans le glossaire du rapport du WG III (en annexe I) que le GIEC mentionne, dans la définition des CDR, la géo-ingénierie (voir p.9 du glossaire).

 

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