Varsovie : maigres avancées mais un tremplin pour Paris 2015
Du 11 au 23 novembre 2013 a eu lieu la Conférence des Nations Unies sur le Climat à Varsovie (Pologne). Cette Conférence intervient dans un contexte marqué par une situation économique toujours difficile, par la nécessité de préparer en amont le régime climat pour l’après-2020, et par la récente publication de plusieurs études scientifiques d’organisations internationales faisant autorité, qui constatent des niveaux records d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et/ou de concentrations atmosphériques de GES en 2011 et en 2012 (GIEC, CCNUCC, PNUE, OMM, AIE,…). Ces constats scientifiques soulignent l’urgence d’agir pour réduire ces émissions.
Les négociations ont principalement porté sur l’avancée de la plate-forme de Durban (ADP) afin de préparer l’après 2020, le financement à long terme, le bouclage du mécanisme REDD+ et la transparence. Nous revenons ci-après sur les avancées et difficultés observées à l’égard des principaux sujets du domaine de la réduction des émissions.
Au total, 38 décisions ont été adoptées (voir les décisions clés ci-contre).
Décisions-clés adoptées à Varsovie
- décision définissant une feuille de route pour les travaux du Groupe de travail ADP en vue d’un accord climat mondial en 2015,
- décisions sur le Fonds Vert pour le Climat (GCF),
- sept décisions pour établir un cadre méthodologique et les conditions de financement du mécanisme REDD + [déforestation et dégradation des forêts dans les pays en développement (PED)],
- décisions sur le renforcement de la transparence de la notification des informations sur les émissions de GES et les politiques et actions de réduction des pays industrialisés et des PED,
- décision sur la MRV [mesure, notification et vérification], au niveau national, des actions de réduction des PED,
- décision fixant des lignes directrices pour l’évaluation des inventaires nationaux, des rapports biennaux et des communications nationales soumises par les Parties à l’annexe I de la CCNUCC [pays industrialisés],
- décision sur la révision des lignes directrices sur la notification des inventaires nationaux par les pays à l’annexe I.
Déroulement de la conférence
La Conférence de Varsovie s’est déroulée en trois temps :
- des sessions techniques au sein de la désormais seule et unique « piste » de négociation sur le régime post-2020 : le Groupe de travail sur la plate-forme de Durban (ADP);
- des sessions techniques au sein des deux enceintes permanentes : la 19e Conférence des Parties [COP-19] à la Convention Climat (CCNUCC) et la 9e Réunion des Parties [CMP-9] au Protocole de Kyoto;
- un segment de haut niveau rassemblant les Ministres du Climat, de l’Energie et/ou de l’Environnement pour la prise de décision politique (du 19 au 23 novembre).
Résultats obtenus
Au terme de plus de 36 heures de négociations intenses et ininterrompues et 27 heures au-delà de l’heure de clôture officielle prévue, la conférence de Varsovie s’est achevée le samedi 23 novembre peu avant 21h. Les Parties sont finalement parvenues in extremis à un accord de compromis balisant le chemin vers la COP-21 en 2015 qui devra déboucher sur un nouvel accord mondial sur le climat pour la période post-2020. Au total, 38 décisions ont été adoptées (28 par la COP-19 et 10 par la CMP-9), à la fois de nature stratégique, technique et procédurale (voir encadré p.1).
Avancées et faiblesses par dossier clé
Niveau d’ambition pré-2020
- La COP-19 a surtout été marquée par une absence de volonté politique forte pour relever le niveau d’ambition des engagements de réduction souscrits à ce jour par les grands pays émetteurs de GES (tant industrialisés qu’émergents). Aucun nouvel engagement n’a été proposé à Varsovie. Au contraire, elle a même vu régresser l’ambition pré-2020 suite aux annonces de deux grands pays industrialisés (voir encadré ci-dessous), ce qui n’a pas favorisé la construction d’un climat de confiance entre pays industrialisés et pays émergents/PED.
Recul d’ambition pré-2020 à Varsovie
Le 15 novembre, le Japon a annoncé avoir revu son objectif de réduction 2020 à la baisse (-3,8%, base 2005 au lieu de -25%, base 1990), ce qui en réalité se traduirait, selon les calculs de l’organisme de réflexion Climate Action Tracker (CAT), par une hausse de 3,1% en 2020 par rapport au niveau de 1990. Le 13 novembre, le nouveau Premier Ministre de l’Australie a déclaré qu’il allait démanteler la politique climat nationale mise en place par le précédent Gouvernement. Cette action a ensuite été « applaudie » par le Canada [déclaration de Paul Calandra, Secrétaire parlementaire du Premier Ministre fédéral].
- Si la 2e période d’engagement (2013-2020) au titre du Protocole de Kyoto a été formellement actée à Doha en 2012 [décision 1/CMP.8 ], à ce jour, seules quatre Parties ont ratifié l’amendement dit de Doha alors qu’il en faut 144 pour qu’il entre en vigueur. Tant que l’amendement de Doha n’entrera pas en vigueur, les Parties ayant souscrit des engagements de réduction pour cette 2e période ne sont pas juridiquement contraintes de les respecter.
La feuille de route vers Paris 2015 pour l’après-2020
- Toutes les Parties sont invitées à « initier ou à intensifier les préparations au niveau national en vue de définir leurs contributions » [à la réduction des émissions au titre de l’accord de 2015] et à les soumettre « bien en amont » de la COP-21, et d’ici le 31 mai 2015 pour celles « qui y seront prêtes« . Ce texte est formulé sans distinction entre Parties à l’annexe I [pays industrialisés] et celles hors annexe I [PED]), ce qui garantirait l’universalité du futur régime.
- Les informations que les pays devront fournir avec leurs contributions nationales, afin de les expliquer, seront précisées d’ici la COP-20 [décembre 2014].
- Deux étapes majeures sont confirmées d’ici 2015 : le sommet extraordinaire de l’ONU sur le climat du 23 septembre 2014 et un
dialogue ministériel de haut niveau (juin et décembre 2014) pour renforcer l’implication des Ministres dans les travaux d’élaboration de l’accord 2015.
- Pour dégager le compromis final sur le texte ADP, le terme « engagement« , jugé trop fort et contraignant par les pays émergents/PED, a été remplacé par le terme neutre « contribution« . Celui-ci laisse néanmoins une large marge d’interprétation aux Parties sur les efforts à consentir.
- Le compromis trouvé sur la feuille de route manque de précision sur plusieurs aspects clés : quelles informations inclure dans les contributions afin de garantir la transparence et la comparabilité de leur contenu? Quelle année de référence [1990, 2005?…]
et quel horizon [2025, 2030?]? Quelle nature juridique de ces contributions, doivent-elles être contraignantes ou non? Quel processus et quels critères appliquer pour évaluer l’ambition et l’équité des contributions une fois soumises?
Réduction des émissions de la déforestation (REDD+)
- Le « cadre de Varsovie pour la REDD+ » a été mis en place pour aider les PED à réduire leurs émissions de GES dues à la déforestation. Il comporte un cadre méthodologique commun (dont un dispositif de mesure, de notification et de vérification [MRV] des actions REDD+), ainsi que les conditions de financement basé sur les résultats.
Financement
- Les modalités de fonctionnement entre la COP et le Fonds vert pour le climat (GCF) ont été approuvées, ce qui conduit à leur entrée en vigueur, permettant ainsi de rendre le GCF intégralement opérationnel. La voie est donc désormais ouverte à sa première capitalisation.
- Les pays industrialisés doivent accroître la transparence sur leurs efforts de financement climat sur la période 2014-2020, en vue de respecter leur engagement de Copenhague (2009) confirmé à Cancún (2010) de fournir 100 Md€/an aux PED d’ici 2020. Concrètement, les pays industrialisés doivent soumettre au Secrétariat de la CCNUCC des synthèses biennales sur leurs stratégies adoptées pour amplifier leurs efforts de financement sur 2014-2020.
- Des dialogues ministériels sur le financement se tiendront tous les deux ans entre 2014 et 2020, à l’instar de celui qui s’est tenu à Varsovie le 20 novembre 2013.
- Le financement à long terme s’est avéré être une véritable pierre d’achoppement à Varsovie. Ainsi, les négociations sur la capitalisation du GCF et les modalités pour mobiliser les 100 Md€/an d’ici 2020 ont intensifié les fortes divergences entre pays industrialisés et pays émergents/PED, ces derniers reprochant aux premiers leur manque de visibilité. Or, la clarté sur l’accélération du financement d’ici 2020 est une condition sine qua non pour gagner la confiance des PED en vue de les rallier à un régime juridique post-2020 qui leur imposerait des obligations.
Transparence du « reporting » par les Parties (MRV)
- Des règles ont été adoptées pour l’analyse technique des rapports biennaux à soumettre par les PED [mise à jour de leurs inventaires nationaux d’émission de GES et actions nationales de réduction (NAMA)]. Cette avancée signifie que le dispositif de consultation et d’analyse internationales [concept dit ICA, décidé à Cancún par la décision 1/CP.16(1)] peut devenir pleinement opérationnel.
- Des lignes directrices générales ont été adoptées pour la MRV nationale des NAMA mises en œuvre par les PED et qui font l’objet d’un soutien national.
- Des lignes directrices ont été adoptées pour l’analyse technique des rapports biennaux des Parties à l’annexe I. Elles devront être utilisées pour le réexamen du premier rapport biennal (à soumettre au 1er janvier 2014).
- Les lignes directrices sur la notification des informations dans le cadre des inventaires d’émission nationaux annuels pour les pays industrialisés, adoptées à titre provisoire à Durban [décision 15/CP.17(2)] et utilisées sur une base volontaire jusqu’ici, ont été confirmées à Varsovie. Ces lignes directrices imposent, à partir de 2015 [données 2013], l’utilisation des dernières valeurs du pouvoir de réchauffement global (PRG), définies par le GIEC dans son 4e rapport d’évaluation publié en 2007. Le changement le plus important concernera le CH4 (dont le PRG passe ainsi de 21 à 25, soit une hausse de près de 20%) et certains gaz fluorés.
Rôle des villes
- Pour la 1ère fois dans l’histoire des négociations onusiennes sur le climat, le rôle clé des villes et des autorités infranationales dans la mise en œuvre des politiques et actions climat est formellement reconnu, et notamment dans le renforcement de l’ambition pré- A cette fin, les Parties doivent faciliter l’échange d’expériences et des meilleures pratiques des villes et collectivités.
Questions restées en suspens
- Les marchés : faute de consensus, les négociations sur les marchés [cadre général pour les approches multiples, nouveau mécanisme de marché,…] ont été suspendues et renvoyées à la COP-20 [Lima, décembre 2014].
- MDP : peu d’avancées ont été réalisées sur la réforme, pourtant nécessaire, du mécanisme du développement propre pour renforcer son intégrité environnementale.
- HFC : aucun consensus n’a été trouvé sur la question de la réglementation des HFC dans le cadre du Protocole de Montréal. Elle est donc restée absente de la décision ADP.
Déroulement des négociations
Varsovie a clairement mis en exergue les fortes divergences et la méfiance entre pays industrialisés et pays émergents/PED (Chine et Inde en tête), et notamment sur les trois dossiers qui bloquaient la conclusion d’un accord final : le programme et le calendrier de travail en vue du futur accord de 2015, le financement de l’aide aux PED, ainsi que la création d’un mécanisme relatif aux pertes et aux dommages. Contrairement à ce qui s’est passé à Durban et à Doha, l’UE s’est ralliée aux Etats-Unis pour faire pression sur les grands pays émergents concernant la feuille de route pour 2015.
Les négociations à Varsovie ont surtout été caractérisées par le renforcement du groupe des PED partageant la même vision, groupe dit LMDC [Like-Minded Developing Countries : Arabie saoudite, Egypte, Iran, Iraq, Bolivie, Cuba, Equateur, El Salvador, Nicaragua, Venezuela, Chine, Inde, Malaisie,…].
Attitude ambiguë de la Pologne
Le Gouvernement de la Pologne [Présidence de la COP-19] a fait l’objet de vives critiques par les PED et les ONG du fait de son attitude ambiguë et contradictoire pendant les négociations (manque d’objectivité, d’habileté, de tact [suite au renvoi de son Ministre de l’Environnement (et à ce titre Président de la COP-19) à deux jours de la clôture officielle de celle-ci] et de soutien à l’égard de la position de l’UE défendue par la Commissaire au Climat, Connie Hedegaard.
La route vers la COP-21 : rôle de la France
Le 21 novembre 2013, la France a été officiellement désignée pays hôte de la COP-21. Une décision en ce sens a été adoptée par la COP-19. Les dates ont également été fixées : du 30 novembre au 11 décembre 2015.
La Tour Eiffel a été illuminée le vendredi 22 novembre 2013 à 19h pour célébrer la désignation officielle de la France comme pays hôte de la COP-21. © Ministère des Affaires étrangères, 22/11/2013
Le Gouvernement français reconnaît qu’il reste beaucoup à faire d’ici la COP-21 à Paris en 2015. Pour favoriser la réussite des négociations au cours des deux prochaines années, la France compte agir en étroite collaboration avec l’UE, la Pologne [qui conserve la Présidence de la COP jusqu’à l’ouverture de la COP-20], le Venezuela [qui accueille la réunion de préparation de la COP-20, dite pré COP qui aura lieu quelques semaines avant la COP-20], le Pérou [pays hôte de la COP-20, à Lima] et la CCNUCC.
Bilan et perspectives
A mi-chemin entre Durban et Paris, Varsovie n’était qu’une conférence d’étape sur la route de Paris. Elle a certes débouché sur un ensemble de décisions à ambition relativement faible, mais celles-ci constituent un socle nécessaire pour construire le nouvel accord.
La COP-19 a établi une feuille de route pour l’ADP au cours des 12 prochains mois. L’année 2014 s’annonce donc chargée : l’ADP doit soumettre à la COP-20 [Lima, décembre 2014] des éléments d’un projet de texte dont l’intégralité devra être disponible d’ici le 31 mai 2015 pour adoption à la COP-21 [Paris, décembre 2015] : deux ans donc pour construire un cadre qui réponde à l’ampleur du problème ; deux ans pour réussir complètement là où Copenhague a échoué.
Comme l’a souligné Connie Hedegaard à l’issue de Varsovie, les Parties ont désormais pour mandat de faire leurs « devoirs » afin de mettre leurs contributions sur la table des négociations d’ici le 31 mars 2015.
Varsovie a montré que la route de Paris 2015 sera difficile, voire « raide » selon le Secrétaire-Général des Nations Unies, Ban Ki-moon
[déclaration du 20/11/2013]. La plupart des travaux préparatoires sur le fond pour la COP-21 restent encore à faire. En particulier, plusieurs questions fondamentales nécessitant une forte mobilisation politique doivent être réglées (forme juridique du futur accord, nature et ambition des objectifs de réduction, répartition de l’effort mondial de réduction, etc.).
(1) Voir SD’Air n°178 p.137. (2) Voir SD’Air n°182 p.21.