Forceurs climatiques à courte durée de vie : Etat des lieux des travaux internationaux
A l’occasion de cette synthèse sur le carbone suie et le CH4, le CITEPA dresse un état des lieux détaillé des travaux qui ont été menés ou qui sont en cours sur le sujet des forceurs climatiques à courte durée de vie (SLCF) dans le cadre notamment :
- des organisations internationales (OMI, PNUE, OMM) et intergouvernementales (GIEC),
- des instances régionales (Conseil de l’Arctique, CEE-NU), et
- de l’UE (Parlement européen, Commission européenne).
Ce panorama, qui ne vise pas à être exhaustif, fournit des éléments clés sur l’état des connaissances scientifiques à ce jour (recherches et études) et les réponses à apporter pour réduire les émissions des SLCF (initiatives, démarches ou dialogues politiques mis en place et options de réduction des émissions envisagées ou préconisées). Ces éléments sont présentés par ordre chronologique. Cet état des lieux montre que tout en étant une problématique relativement récente, les SLCF font l’objet d’importants travaux pour lever les incertitudes scientifiques et éclairer les politiques à élaborer.
GIEC : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son 4e rapport d’évaluation (2007, 1er volume: Les bases scientifiques physiques(1)), a souligné que les forçages radiatifs directs et indirects des aérosols (dont le carbone suie) restent l’incertitude dominante dans le forçage radiatif net. Selon le GIEC, les émissions mondiales de carbone suie provenant de la combustion des combustibles fossiles étaient estimées [en 2007] dans une fourchette comprise entre 5,8 et 8 Mt C par an (source : GIEC/4AR/WG1, chapitre 2, section 2.4.4.3, p.163).
(1) Voir ED n° 162 p.III.25.
www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/wg1/ar4-wg1-chapter2.pdf
G8 : lors du sommet du G8, qui a eu lieu à L’Aquila (Italie) du 8 au 10 juillet 2009(2), les dirigeants des huit pays les plus industrialisés au monde ont abordé le sujet du carbone suie. Dans la déclaration publiée au terme du sommet, le G8 s’est déclaré « engagé à mettre en œuvre rapidement des actions pour lutter contre d’autres agents du forçage radiatif, comme le carbone suie » (cf. § 66).
(2) Voir SDAir n° 172 p.136.
www.g8italia2009.it/static/G8_Allegato/G8_Declaration_08_07_09_final%2c0.pdf
EPA : l’Agence américaine pour la Protection de l’Environnement (EPA) a publié, le 7 décembre 2009, un rapport s’intitulant « Final Endangerment Finding » (Conclusions définitives sur les dangers [des gaz à effet de serre, GES]) qui a fait date. Le rapport a conclu que les GES menacent la santé publique et le bien-être de la population américaine. En particulier, le rapport reconnaît que « le carbone suie est un agent important de forçage climatique » et signale que les émissions de particules (PM) des véhicules diesel contiennent une fraction plus importante de carbone suie que les autres sources d’émission de PM. L’EPA souligne également les fortes incertitudes scientifiques quant à l’effet total du carbone suie sur le climat, ainsi que la difficulté à traiter dans un cadre commun les émissions, à courte durée de vie, du carbone suie et les émissions, à longue durée de vie, des GES classiques, au premier rang desquels le CO2;
- epa.gov/climatechange/endangerment.html
- epa.gov/climatechange/endangerment/downloads/Federal_Register-EPA-HQ-OAR-2009-0171-Dec.15-09.pdf (voir p.66520)
AEGPL : l’étude « Carbone suie et réchauffement climatique : Impacts des carburants véhicules, une analyse scientifique », publiée le 19 janvier 2010 par l’Association Européenne des Gaz de Pétrole Liquéfiés (AEGPL) pointe le besoin d’approfondir les recherches en vue de définir des stratégies de réduction des émissions de carbone suie.
www.aegpl.eu/publications-media.aspx
OMI : le 15 janvier 2010, trois pays (Norvège, Suède et Etats-Unis) ont remis une proposition conjointe au Comité de la Protection du Milieu Marin (MEPC, au sein de l’Organisation Maritime Internationale, OMI) pour examen à la 60eréunion du MEPC (22-26 mars 2010(3)).
PRG et données d’émission du carbone suie
La proposition fait ressortir que le pouvoir de réchauffement global (PRG) du carbone suie est estimé à 680 sur 100 ans et à 2 200 sur 20 ans. Cette estimation, publiée le 6 juillet 2005 par deux chercheurs américains dans la revue scientifique américaine
Environmental Science & Technology (ES&T), confirme clairement son impact sur le climat à court terme (source : Bond, T. & Sun, H (2005) « Can reducing black carbon emissions counteract global warming? », E S& T, Vol 39, pp.5921-5926 – voir plus loin).
Le transport maritime international est une source majeure d’émissions de carbone suie, générant 71 000 à 160 000 tonnes par an, soit l’équivalent d’environ 2% des émissions mondiales totales de ce polluant (source : Green, E., Winebrake, J. & Corbett, J. (2007), « Opportunities for reducing greenhouse gas emissions from ships, annexe au document MEPC 58/INF.21 ; Lack, D. et al (2008) « Light absorbing carbon emissions from commercial shipping », Geophysical Research Letters, Vol. 35). Selon les estimations, environ 85% des émissions de ce secteur se produisent dans l’hémisphère Nord et les émissions de carbone suie issues du trafic maritime international sur les routes commerciales septentrionales sont pointées du doigt car elles ont un impact direct sur l’Arctique, en le dégradant. Même si les émissions de carbone suie du transport maritime international dans l’Arctique sont relativement faibles aujourd’hui, selon certaines projections, elles pourraient doubler, voire tripler d’ici 2050 (source : Reduction of emissions of black carbon from shipping in the Arctic, submitted by Norway, Sweden and the United States, Document MEPC 60/4/24).
La proposition indique en outre qu’une équipe de recherche internationale, menée par Daniel A. Lack de l’Administration Nationale de la Recherche sur les Océans et l’Atmosphère (NOAA), a estimé dans un article paru le 25 février 2009 dans la revue américaine
Journal of Geophysical Research (JGR), que le carbone suie constitue entre 5 et 15% des émissions mondiales de particules provenant du secteur du transport maritime (source : Lack, D. et al (2009) « Particulate emissions from commercial shipping; chemical, physical and optical properties »,
JGR, Vol 114 -voir plus loin).
Dans leur proposition, les trois pays ont demandé à l’OMI de définir des actions de réduction des émissions de carbone suie du transport maritime pour l’Arctique. Ils ont souligné notamment :
- que le climat de l’Arctique se réchauffe à un rythme plus rapide que les autres régions de la planète,
- que la fonte rapide de la glace de mer et terrestre de l’Arctique accélère ce réchauffement,
- que les émissions de carbone suie, surtout lorsqu’elles se déposent sur cette glace, contribuent en très grande partie à ce réchauffement et à cette fonte de glace,
- qu’une réduction rapide des émissions de carbone suie peut constituer une réponse à court terme pour ralentir l’effet du réchauffement, et
- que les réductions des émissions de carbone suie auront des bénéfices pour la santé humaine.
La proposition passe en revue des options de réduction des émissions de carbone suie dans le secteur du transport maritime international (réduction de la consommation de combustible, réduction de vitesse, évolution de la motorisation, mise en place de filtres à particules, etc.). En conclusion, les trois pays soulignent qu’il est désormais urgent d’agir car le trafic maritime dans l’Arctique devrait connaître une croissance rapide avec l’ouverture des routes maritimes, suite à la fonte des glaces.
(3) Voir SD’Air n° 175 p.107.
- rina.org.uk/hres/mepc%2060_4_24.pdf
- acs.org/doi/pdf/10.1021/es0480421 (article par T. Bond et H. Sun)
- pmel.noaa.gov/publications/pdfs/2009/lack_etal_2009.pdf (article par D. Lack)
Parlement européen: le 22 juin 2010, le Parlement européen (PE) a animé un débat, sous forme de table ronde, intitulé « Petite particule, gros problème : le lien émergeant entre le carbone suie et le changement climatique ». Le débat a réuni l’un des experts le plus éminent au monde sur la question, Dr Frank Raes, chef de l’unité de changement climatique du Centre commun de recherche (CCR ou JRC en anglais) et par ailleurs l’un des co-auteurs de l’étude réalisée sous la direction de Drew Shindell . Le débat du PE a également rassemblé des décideurs clés de la Commission européenne, du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et des représentants de l’ONG Friends of the Earth-Europe.
L’objet du débat était d’améliorer les connaissances et d’examiner les éventuelles actions de l’UE à mettre en œuvre pour contribuer à la réduction des effets de ce forceur climatique. Il a notamment été dit qu’une politique de réduction des émissions de carbone suie devrait être menée comme une politique « sans regrets », bénéficiant à la fois au climat et à la santé. Toutefois, elle ne doit en aucun cas se substituer à la politique de réduction des émissions de CO2.
Le débat a également fait ressortir que certaines études scientifiques classent désormais le carbone suie comme le 2e contributeur au changement climatique (après le CO2), avec une part de responsabilité de 20% dans le forçage radiatif, son impact se concentrant tout particulièrement dans l’Arctique et l’Himalaya. Selon Dr Raes, trois principaux secteurs présentent des potentiels de réductions des émissions de carbone suie : le transport routier (véhicules diesel), le résidentiel (combustion de biomasse) et le traitement des déchets (décharges).
Enfin, les intervenants ont tous convenu qu’en plus des effets sur le climat, les implications sanitaires de la pollution atmosphérique par les particules rendent obligatoire la réduction des émissions de carbone suie (source : AECC Newsletter, mai-juin 2010).
Conseil de l’Arctique : le 29 avril 2009, lors de la 6e réunion des Ministres du Conseil de l’Arctique à Tromsø (Norvège), les huit pays arctiques au sein de ce Forum intergouvernemental de haut niveau (Canada, Danemark [dont le Groenland et les Iles Féroé], Etats-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie et Suède) ont décidé de créer un Groupe de travail (Task Force) sur les forceurs climatiques à courte durée de vie [SLCF]) ayant pour mission d’identifier les mesures existantes et nouvelles visant à réduire les émissions des SLCF, de recommander des actions à mise en œuvre immédiate et de faire le point sur les progrès réalisés à la 7e réunion des Ministres du Conseil de l’Arctique. Le 12 mai 2011, lors de cette 7e réunion à Nuuk (Groenland), les Ministres du Conseil de l’Arctique ont examiné le rapport remis par le Groupe de travail présentant une évaluation des émissions de carbone suie et des options de réduction.
Les huit Ministres ont également émis une déclaration (dite de Nuuk) dans laquelle, entre autres, ils ont encouragé les Etats de l’Arctique à mettre en œuvre, compte tenu de leur contexte national, les recommandations pertinentes visant la réduction des émissions de carbone suie. Ils ont également demandé au Groupe de travail et aux experts du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (PSEA ou AMAP en anglais) de poursuivre leurs travaux en se concentrant sur le CH4 et l’ozone troposphérique, ainsi que de réaliser des travaux supplémentaires sur le carbone suie, afin de présenter un rapport à la 8e réunion des Ministres (prévue en 2013).
- arctic-council.org/index.php/en/about/documents/category/7-working-groups-scientific-reportsassessments
- arctic-council.org/index.php/en/about/documents/category/5-declarations
PNUE / OMM : le 14 juin 2011, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) ont publié conjointement un résumé, à l’intention des décideurs, d’une évaluation intégrée du carbone suie et de l’ozone troposphérique(4). L’étude, élaborée par une équipe internationale de plus de 50 experts sous le pilotage de l’Agence nationale de l’aéronautique et de l’espace (NASA) des Etats-Unis, évalue l’état des connaissances scientifiques et des options politiques existantes pour réduire les émissions du carbone suie et de l’ozone.
L’équipe a examiné environ 2 000 mesures politiques pour sélectionner un ensemble de 16 mesures qui contribuent à la fois à l’atténuation du changement climatique et à l’amélioration de la qualité de l’air et qui ont un fort potentiel de réduction des émissions : neuf visant l’ozone et sept visant le CH4. L’impact de la mise en œuvre de ces mesures a été modélisé dans le cadre d’un scénario d’évolution s’étendant à l’horizon 2070. L’étude conclut notamment que des réductions d’émissions de carbone suie auront des impacts positifs sur la santé et sur le climat, et des réductions de concentrations d’ozone pourraient améliorer la production des cultures.
L’évaluation suggère que l’action nécessaire pourrait être catalysée par le biais du processus de négociation onusien dans le cadre de la Convention Climat, mais aussi par un renforcement des accords régionaux sur la qualité de l’air (par exemple, la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance de 1979 et ses Protocoles d’application, adoptés sous l’égide de la Commission Economique pour l’Europe des Nations Unies, CEE-NU).
(4) Voir SD’Air n° 179 p.157.
www.unep.org/dewa/Portals/67/pdf/BlackCarbon_SDM.pdf
OMI : lors de la 62e session du Comité de la Protection du Milieu Marin (MEPC), qui a eu lieu à Londres du 11 au 15 juillet 2011(5), cet organe technique de l’Organisation Maritime Internationale (OMI) s’est mis d’accord sur un programme de travail pour examiner l’impact, dans l’Arctique, des émissions de carbone suie des navires. Il a chargé le Sous-comité sur les liquides en vrac et les gaz (BLG) :
- d’estimer les émissions de carbone suie provenant du transport maritime international,
- d’examiner des méthodes de mesure du carbone suie,
- d’identifier la méthode la plus pertinente pour mesurer les émissions de carbone suie provenant du transport maritime international, et
- d’examiner des mesures de contrôle pertinentes visant à réduire les impacts des émissions de carbone suie provenant du transport maritime international dans l’Arctique.
Le BLG doit soumettre son rapport final au MEPC lors de sa 65e réunion (en 2014).
(5) Voir SD’Air n° 180 p.129.
www.imo.org/MediaCentre/MeetingSummaries/MEPC/Pages/MEPC-62nd-session.aspx
PNUE : dans le cadre du PNUE, une réunion ministérielle sur les SLCF s’est tenue à Mexico le 12 septembre 2011. Achim Steiner, directeur exécutif du PNUE a appelé la communauté internationale à une action rapide pour réduire les émissions de ces SLCF. Les Ministres, qui ont constaté qu’à ce jour aucun forum politique de haut niveau n’existe pour traiter collectivement et systématiquement la question des SLCF, ont préconisé une approche concertée renforcée au niveau international.
www.smhi.se/polopoly_fs/1.17861!Summary%20of%20Co-chairs%2012%20sept%202011.pdf
Commission européenne : dans le cadre du Programme européen sur le changement climatique (PECC), lancé et piloté par la Commission européenne, le Groupe de travail n° 6 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du transport maritime a tenu sa 3e réunion les 15-16 novembre 2011. Celle-ci a examiné les options de réduction des émissions de SLCF du transport maritime dans le cadre de l’action de l’UE pour réduire les émissions de GES de ce secteur. Cette réunion est intervenue en amont du lancement par la Commission, le 19 janvier 2012, d’une consultation publique sur les mesures supplémentaires de réduction pour ce secteur d’ici 2020 .
- europa.eu/clima/events/0047/index_en.htm
- europa.eu/clima/events/0047/options_addess_slcf_en.pdf
PNUE : le 25 novembre 2011, soit trois jours avant le début de la Conférence des Nations Unies sur le Climat à Durban (Afrique du Sud), le PNUE, s’appuyant sur son évaluation intégrée du 14 juin 2011 (voir ci-contre), a publié un rapport de synthèse intitulé « Protection du climat à court terme et bénéfices pour la qualité de l’air : actions pour réduire les forceurs climatiques à courte durée de vie« . Le rapport, axé sur le carbone suie, le CH4 et l’ozone troposphérique, examine unensemble de 16 mesures visant à réduire les émissions de carbone suie (neuf mesures) et de CH4 (sept mesures) qui pourraient présenter d’importants bénéfices combinés pour la qualité de l’air et le climat à court terme. Le rapport souligne que la mise en œuvre intégrale des mesures retenues d’ici 2030 pourrait conduire à :
- une réduction d’environ 38% des émissions mondiales de CH4 et d’environ 77% des émissions mondiales de carbone suie par rapport au scénario de référence (projections de la demande énergétique selon un scénario tendanciel),
- une diminution de la hausse des températures moyennes mondiales de 0,4°C entre 2010 et 2040. Environ la moitié de cette diminution proviendrait de la mise en œuvre des mesures visant le carbone suie, notamment en Asie et en Afrique, et l’autre moitié de la mise en œuvre des mesures visant le CH4, surtout en Asie, en Europe et en Amérique du Nord,
- la prévention d’environ 2,4 millions de morts prématurés par an,
- la prévention d’une perte de production de cultures (blé, riz, maïs et soja) d’environ 32 Mt par an.
Ces résultats sont à peu près du même ordre de grandeur que ceux de l’étude menée par l’équipe de Drew Shindell .
En outre, le rapport estime qu’environ la moitié des réductions d’émissions de carbone suie et de CH4 pourrait être obtenue par le biais de mesures qui permettraient de diminuer les coûts pendant la durée de l’investissement. Enfin, le rapport présente des options pour l’élaboration et la mise en œuvre de politiques de réduction des SLCF aux niveaux national, régional (par exemple, dans le cadre de la Commission Economique pour l’Europe des Nations Unies, CEE-NU) et mondial. Il conclut notamment que l’état actuel des connaissances scientifiques est suffisamment solide pour justifier des actions immédiates de réduction des émissions de SLCF au niveau national. A cette fin, l’élaboration des plans d’actions nationaux est préconisée pour consolider les actions de réduction. Il s’agirait entre autres d’identifier les sources d’émission et les potentiels de réduction.
www.unep.org/publications/ebooks/SLCF/