Fiscalité écologique : annulation de la contribution carbone par le Conseil constitutionnel
Le 29 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions législatives relatives à la contribution carbone (articles 7, 9 et 10) inscrites dans le projet de loi de Finances pour 2010 (LF 2010), adopté définitivement par le Parlement le 18 décembre 2009. Le Conseil constitutionnel avait été saisi sur la LF 2010 par 60 députés et 60 sénateurs respectivement les 22 et 23 décembre puisqu’ils contestaient entre autres les dispositions sur la taxe carbone. Celle-ci devait entrer en vigueur le 1er janvier 2010.
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel, créé par la Constitution de la 5e République (1958), veille à la conformité à celle-ci des lois après leur vote par le Parlement mais avant leur promulgation. Ce contrôle de constitutionnalité est facultatif pour les lois ordinaires comme les LF et la saisine facultative peut être faite à l’initiative d’une autorité politique (Président de la République, Premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale ou du Sénat), soit de 60 députés ou 60 sénateurs. Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
Dans sa décision (réf. 2009-599 DC), le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 7 de la LF 2010 instituait une contribution carbone. Les travaux parlementaires soulignaient que l’objectif de cette mesure phare du budget 2010 était de mettre en place des instruments permettant de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de lutter contre le changement climatique. Pour atteindre cet objectif, il a été retenu l’option d’instituer une taxe additionnelle sur la consommation des énergies fossiles afin que les entreprises, les ménages et les administrations soient incités à réduire leurs émissions.
Or, les articles 7 et 10 de la LF prévoyaient des exonérations, réductions, remboursements partiels et taux spécifiques. Ainsi étaient totalement exonérées de la taxe carbone les émissions :
- des centrales thermiques produisant de l’électricité,
- des 1 018 sites industriels les plus émetteurs (raffineries, cimenteries, cokeries, verreries, etc.),
- des secteurs de l’industrie chimique à haute intensité énergétique,
- des combustibles utilisés en autoconsommation d’électricité,
- du transport aérien et du transport public routier de voyageurs.
En outre, le dispositif prévoyait de taxer à taux réduit les émissions dues aux activités agricoles ou de pêche, au transport routier de marchandises et au transport maritime.
Selon le Conseil constitutionnel, ces exemptions auraient conduit à ce que 93% des émissions d’origine industrielle, hors carburant, soient exonérées de contribution carbone. Moins de la moitié des émissions nationales de GES aurait été soumise à la contribution carbone. Celle-ci aurait donc porté essentiellement sur les ménages via les carburants et les produits de chauffage qui ne sont que l’une des sources d’émission de CO2. Le Conseil estime que ces exemptions n’étaient pas justifiées pour les activités industrielles visées par le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) de GES puisque le régime des quotas payants n’entre en vigueur qu’en 2013 et ce, progressivement jusqu’en 2027(1). Ainsi, le Conseil remet en cause l’allocation gratuite des quotas jusqu’à 2013.
Le Conseil a jugé que, par leur importance, les régimes d’exemption institués par la LF étaient contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créaient une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Il a donc censuré l’ensemble du régime relatif à la contribution carbone.
Le Conseil constitutionnel a notamment fondé sa décision sur la Charte de l’Environnement de 2004 (articles 2 à 4)(2), dont les droits et devoirs sont consacrés dans le préambule de la Constitution et laquelle a donc « valeur constitutionnelle« . L’objectif de la contribution carbone n’est pas remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel qui en valide le principe. Celle-ci va plutôt contraindre le Gouvernement à élargir son assiette, tout en ménageant les susceptibilités des secteurs sensibles.
Réagissant à la décision du Conseil constitutionnel, le Premier Ministre a indiqué, le 30 décembre 2009, que certaines des exemptions pointées avaient été prévues par le Gouvernement en raison de la situation particulière de certains secteurs économiques, notamment ceux les plus exposés à la concurrence internationale, déjà assujettis au SCEQE. Sur la base des recommandations formulées par le rapport Rocard(3), remis au Gouvernement le 28 juillet 2009, il s’agissait de ne pas soumettre ces secteurs à un double système alors assimilé à « une double peine ».
Le Premier Ministre a souligné que la mise en place d’une contribution carbone reste une priorité du Président de la République et du Gouver-nement. Un nouveau dispositif tenant pleinement compte des conclusions du Conseil constitutionnel devait être présenté en Conseil des Ministres le 20 janvier 2010. Cependant, ce délai étant trop court pour élaborer une nouvelle version de la contribution carbone qui réponde aux exigences du Conseil constitutionnel, le Gouvernement a finalement décidé de s’accorder davantage de temps. Ainsi, le 5 janvier 2010, le Président a annoncé en Conseil des Ministres que la nouvelle contribution carbone entrera en vigueur le 1er juillet 2010. Cette date a été arrêtée lors d’une réunion le 4 janvier 2010 entre le Président, le Premier Ministre, ainsi que les Ministres de l’Ecologie, de l’Economie, du Budget, de l’Industrie et la Secrétaire d’Etat à l’Ecologie.
Le 20 janvier 2010, le Ministre de l’Ecologie a présenté en Conseil des Ministres une communication sur la contribution carbone. Le Gouvernement, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, soumettra un nouveau dispositif de contribution carbone au Parlement, pour une entrée en vigueur le 1er juillet 2010. Tout en tenant compte des conclusions du Conseil précité, il reprendra les principaux aspects du dispositif voté par le Parlement : le taux de la contribution carbone sera maintenu à 17 € par tonne de CO2 et pour les ménages, le dispositif restera inchangé, reposant sur le principe du bonus-malus. Quant aux entreprises des secteurs non soumis au SCEQE, la mise en œuvre de la contribution carbone, conjuguée à la réforme de la taxe professionnelle, aboutira à déplacer la fiscalité des investissements vers la pollution. Pour certains secteurs sensibles et intensifs en énergie, les mesures spécifiques transitoires seront main-tenues. Il en sera ainsi pour l’agriculture et la pêche (taxés à 25% du taux) et le transport routier, maritime et fluvial de marchandises (taxés à 65% du taux). Une contribution carbone sera appliquée jusqu’au 1er janvier 2013 aux entreprises des secteurs soumis au SCEQE, avec des aménagements spécifiques pour certains secteurs sensibles.
Dès février 2010, le Gouvernement lancera une concertation avec les entreprises, les partenaires sociaux et les ONG environnementales. Celle-ci visera à élaborer un dispositif adapté aux caractéristiques des entreprises des secteurs soumis au SCEQE. Elle portera notamment sur les critères d’appréciation de l’impact d’une contribution carbone sur les secteurs concernés (degré d’exposition à la concurrence internationale, etc.), les modalités d’assujettissement à une telle contribution (application de taux réduits pour les secteurs les plus exposés, etc.), et les moyens de préserver la compétitivité des entreprises (modalités éventuelles de compensation, etc.).
Le projet de loi établissant la nouvelle taxe carbone ne devrait pas être délibéré au Parlement avant les élections régionales de mars 2010.
(1) Voir SD’Air n° 172 pp.75-76. (2) Voir ED n° 154 p.I.91. (3) Voir SD’Air n° 172 p.39.
www.gouvernement.fr/gouvernement/conseil-des-ministres
www.conseil-constitutionnel.fr (rubrique Les décisions).
www.legifrance.gouv.fr/initRechTexte.do (voir JO du 31/12/09)