ARTICLE
Climat Climat
Monde
Activités - international Transport Transport maritime
Publié le 16 avril 2025

L’OMI approuve la réglementation « zéro émission nette » pour le transport maritime mondial

Par : Sophie Sanchez

Modifié le : 17/04/2025
Réf . : 2025_04_14

© Pexels – Julius Silver

[

Les États membres de l’Organisation maritime internationale (OMI), réunis à Londres, ont approuvé pour la première fois, vendredi 11 avril 2025, un système mondial de tarification du carbone visant à permettre la décarbonation du transport maritime international.

Le « cadre afférent à la réduction à zéro des émissions nettes de l’OMI » est « le premier au monde à combiner des limites d’émissions obligatoires et une tarification des gaz à effet de serre pour l’ensemble d’un secteur d’activité », fait valoir dans un communiqué l’institution onusienne, qui s’est engagée à réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international d’ici 2050.

Les mesures approuvées associent une nouvelle norme en matière de combustible pour les navires et un mécanisme mondial de tarification des émissions. Ces mesures qui devraient être officiellement adoptées en octobre 2025 avant d’entrer en vigueur en 2027, deviendront obligatoires pour les grands navires océaniques d’une jauge brute supérieure à 5 000 tonnes.

Pour sa part, Transport & Environnement qui se définit comme « l’organisation experte du transport propre et de l’énergie en Europe » voit dans cet accord sur le transport maritime « une victoire pour le multilatéralisme, mais un échec pour le climat », car si « les négociateurs réunis à Londres se sont mis d’accord pour la première fois sur un cadre qui obligera les navires à abandonner les combustibles fossiles, […] les règles en vigueur entraîneront une augmentation massive des biocarburants issus de la déforestation ».

[

Contexte

Risque d’augmentation des émissions liées au fret maritime

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au transport maritime représentaient 2,89 % des émissions anthropiques totales mondiales de CO2 en 2018, selon le 4e rapport de l’OMI relatif aux émissions du transport maritime international sur la période 2012-2018, publié en 2020 (lire notre article). Les principales sources d’émissions proviennent de la combustion d’énergies fossiles (issues du pétrole) par les moteurs principaux, les moteurs auxiliaires et les chaudières. Les 100 000 navires qui parcourent les mers du globe pour transporter 90 % des marchandises consommées sur la planète sont majoritairement propulsés avec des combustibles polluants, notamment du fioul lourd.

Pour rappel, l’Accord de Paris, premier accord mondial juridiquement contraignant sur le climat, ne couvre ni le secteur maritime ni le secteur aérien dont les réglementations relèvent d’institutions onusiennes spécialisées. Pour le secteur maritime, l’Organisation maritime Internationale (OMI) dès 2011 et l’Union européenne (UE) en 2013 se sont saisies du sujet.

Comme le relève l’organisation professionnelle Armateurs de France, les émissions du transport maritime international se montaient à 794 millions de tonnes de CO2 en 2008 et à 755 millions de tonnes de CO2 en 2018, soit une diminution de 5 %. Pour atteindre les objectifs de décarbonation de l’OMI en 2050, il faudrait ramener ces émissions à 397 millions de tonnes en 2050, ce qui correspond à une réduction de 45 % des émissions par rapport à 2018. L’étude faisait également état de projections : selon les scénarios, les émissions de CO2 du fret international (international shipping) pourraient évoluer entre 90 et 130 % en 2050 par rapport à 2008 (le 3e rapport de l’OMI prévoyait jusqu’à 250 % d’émissions en plus par rapport à 2012).

[

Mise en place d’un cadre juridique contraignant

Nouvelles normes pour les navires d’une jauge brute supérieure à 5 000 tonnes

Le Comité de la protection du milieu marin (Marine Environment Protection Committee – MEPC), organe technique au sein de l’Organisation maritime Internationale (OMI), qui s’est réuni pour sa 83e session (MEPC 83) du 7 au 11 avril 2025, a approuvé une nouvelle norme en matière de combustible pour les navires et un mécanisme mondial de tarification des émissions.

Ces mesures, qui devraient être officiellement adoptées en octobre 2025 avant d’entrer en vigueur en 2027, deviendront obligatoires pour les grands navires océaniques d’une jauge brute supérieure à 5 000 tonnes, qui émettent 85 % des émissions totales de CO2 du transport maritime international.

Concrètement, le « Cadre de l’OMI afférent à la réduction à zéro des émissions nettes » sera inclus dans un nouveau chapitre 5 de l’Annexe VI (Prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires) à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol).

L’Annexe VI de la Convention Marpol compte actuellement 108 parties, couvrant 97 % de la flotte marchande mondiale en termes de tonnage et comprend déjà des exigences obligatoires en matière de rendement énergétique des navires, rappelle l’OMI.

L’objectif est d’atteindre les cibles en matière de climat définies dans la Stratégie de l’OMI de 2023 concernant la réduction des émissions de GES provenant des navires, d’accélérer l’introduction de combustibles, de technologies et de sources d’énergie à émissions de GES nulles ou quasi nulles et de soutenir une transition juste et équitable dans l’ensemble de la flotte mondiale.

[

En vertu du projet de règles qui a été approuvé, les navires devront se conformer aux dispositions suivantes :

  1. Norme mondiale en matière de combustible: les navires doivent réduire, au fil du temps, leur intensité des émissions de GES des combustibles annuelle (GFI), c’est-à-dire la quantité de GES émise pour chaque unité d’énergie utilisée. Cette valeur est calculée en utilisant une approche « du puits au sillage » ;
  2. Mesure économique globale: les navires dont les émissions dépassent les seuils fixés par le GFI devront acquérir des unités de correction pour compenser leurs émissions déficitaires, tandis que ceux qui utilisent des technologies à zéro ou presque zéro gaz à effet de serre pourront bénéficier de récompenses financières.

[

Assurer le respect des règles 


Il y aura deux niveaux de conformité avec les objectifs d’intensité des émissions de GES des combustibles (GFI) : un objectif de base et un objectif de conformité directe auxquels les navires pourront gagner des « unités excédentaires ».

Les navires dont les émissions dépassent les seuils fixés peuvent équilibrer leur déficit d’émissions grâce à plusieurs leviers :

  • Transfert d’unités excédentaires d’autres navires ;
  • Utilisation des unités excédentaires déjà mises en réserve ;
  • Utilisation d’unités correctives acquises par le biais de contributions au Fonds de l’OMI afférent à la réduction à zéro des émissions nettes.
[

Fonds de l’OMI afférent à la réduction à zéro des émissions nettes

Le Fonds de l’OMI afférent à la réduction à zéro des émissions nettes sera créé pour collecter les contributions provenant des émissions.

Ces recettes seront ensuite déboursées pour :

  • Récompenser les navires à faibles émissions ;
  • Soutenir l’innovation, la recherche, les infrastructures et les initiatives de transition équitable dans les pays en développement ;
  • Financer la formation, le transfert de technologie et le renforcement des capacités pour soutenir la Stratégie de l’OMI de 2023 concernant les GES ;
  • Atténuer les effets négatifs sur les États vulnérables, tels que les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés.

[

Adoption par étapes

Une fois approuvé, le projet d’amendements à l’Annexe VI de la Convention MARPOL sera officiellement diffusé aux États membres de l’OMI en trois étapes :

  • Octobre 2025 (MEPC/ES.2) : adoption des amendements lors d’une session extraordinaire du Comité de protection du milieu marin (MEPC) ;
  • Printemps 2026 (MEPC 84) : approbation des directives détaillées de mise en œuvre ;
  • 2027 : entrée en vigueur prévue 16 mois après l’adoption (conformément aux articles de la Convention Marpol).

[

Autres résultats de MEPC 83

Lors de la réunion, une série de questions liées à la protection de l’environnement marin des risques liés aux activités de transport maritime a été abordée, avec les résultats suivants en ce qui concerne l’air et le climat :

  • Approbation d’une proposition visant à désigner l’Atlantique du Nord-Est comme zone de contrôle des émissions et accord de principe pour désigner deux nouvelles zones maritimes particulièrement vulnérables au large de la côte pacifique de l’Amérique du Sud ;
  • Approbation du projet de plan de travail sur la mise en place d’un cadre réglementaire pour l’utilisation des systèmes de captage du carbone à bord ;
  • Adoption d’amendements aux directives de 2021 sur les facteurs de réduction de l’intensité carbone opérationnelle par rapport aux lignes de référence (directives sur les facteurs de réduction relatifs aux CII ou directives G3).

[

« Un échec pour le climat »

Les négociateurs de l’Organisation maritime internationale (OMI) ont « réussi à conclure un accord qui pourrait sauver le multilatéralisme mais qui conduira probablement à la destruction des forêts tropicales en promouvant les biocarburants de première génération », estime l’ONG Transport & Environnement (T&E). La mesure ne permet pas non plus d’atteindre les objectifs de décarbonation fixés par l’OMI il y a seulement deux ans, affirme encore T&E.

En 2023, l’OMI s’est engagée à réduire à zéro les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime international d’ici 2050 et à réduire les émissions de 30 % et 80 % d’ici respectivement 2030 et 2040. La réunion de Londres devait permettre d’établir des règles claires et contraignantes pour aider les États membres à atteindre ces objectifs. Au final, la mesure permettrait « au mieux » de réduire les émissions de 10 % d’ici 2030, de 60 % d’ici 2040 et n’atteindrait pas l’objectif de zéro net d’ici 2050, calcule T&E.

Graphique 1 – La nouvelle mesure ne permettra pas d’atteindre les objectifs de l’OMI en matière d’émissions, selon T&E

En outre, « la conception du système de tarification pose des problèmes. Le paquet actuel exonère près de 90 % des émissions excédentaires du transport maritime des pénalités liées au carbone » par l’intermédiaire des unités de réduction des émissions, fait valoir T&E.

Graphique 2 – Près de 90 % de la pollution climatique causée par le transport maritime échappera aux pénalités sur les excédents de carbone prévues par le cadre « Net Zero » de l’OMI, selon T&E

Enfin, en l’absence de règles strictes en matière de durabilité, les « biocarburants nuisibles » tels que l’huile de palme et l’huile de soja sont susceptibles de devenir l’option de choix, car ce sont les carburants les moins chers qui respectent les règles de l’OMI. L’adoption de ces carburants pourrait en fait entraîner « une augmentation désastreuse des émissions si aucune précaution n’est prise dans les plus brefs délais », prévient T&E. Une analyse précédente de T&E a montré qu’un accord de l’OMI sans garanties suffisantes contre les biocarburants à forte teneur en composés organiques volatils pourrait entraîner une augmentation de 270 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2030.

[

En savoir plus

Consultez le communiqué de presse de l’Organisation maritime internationale : L’OMI approuve la réglementation « zéro émission nette » pour le transport maritime mondial

Retrouvez la 4e édition de l’inventaire mondial de l’OMI : Emissions de GES des navires : l’OMI publie la 4e édition de son inventaire mondial – Citepa

Ainsi que l’étude d’Armateurs de France : emissions_des_ges_par_le_transport_maritimev2.pdf

Et l’analyse de Transport & Environnement sur l’accord de Londres : UN shipping agreement a victory for multilateralism but a… | T&E

Consultez le premier rapport annuel sur les émissions de CO2 du transport maritime dans l’Union européenne publié en 2020 par la Commission européenne : Emissions de CO2 des navires : la Commission publie son premier rapport MRV annuel – Citepa

[
Activités - international Transport Transport maritime