Qualité de l’air : la Commission remet la France en demeure sur les dépassements des valeurs limites de NO2
Le 7 février 2024, la Commission européenne a annoncé, dans un communiqué, avoir adressé un avertissement formel à la France, sous forme de lettre de mise en demeure complémentaire, pour non-exécution de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE), rendu le 24 octobre 2019 (voir plus loin). La Commission relance ainsi le contentieux, en cours avec la France sur la mise en œuvre de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air, et tout particulièrement sur le non-respect des valeurs limites de concentration (VLC) que la directive a fixées pour le NO2 (contentieux en cours depuis 2015). Cette lettre de mise en demeure complémentaire transmise à la France s’inscrit dans la 4e étape de la procédure d’infraction de l’UE (voir encadré Contexte en fin d’article).
A noter par ailleurs qu’il existe un autre contentieux entre la Commission et la France sur le non-respect des VLC fixées pour les PM10 (contentieux en cours depuis 2009) qui a également conduit à une condamnation de la France par la CJUE dans un arrêt rendu le 28 avril 2022 (lire notre article).
Lire aussi nos articles :
- « Dépassement des valeurs limites NO2 et PM10: le Conseil d’Etat condamne l’Etat à verser une astreinte de 10 M€ », publié le 24 août 2021.
- « Dépassement des valeurs limites pour le NO2 : le Conseil d’Etat condamne l’Etat à verser deux astreintes de 10 M€», publié le 18 octobre 2022.
Quelles sont les valeurs limites de concentrations pour le NO2 et les autres obligations à respecter ?
Les VLC fixées par la directive 2008/50/CE sont :
- 40 µg/m3 en moyenne annuelle,
- 200 µg/m3 en moyenne horaire, à ne pas dépasser plus de 12 fois par année civile [ annexe XI].
Les Etats membres ne doivent pas dépasser ces VLC [de même que celles pour les autres polluants visés par cette directive (SO2, PM10, CO, plomb, benzène)] dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations (article 13.1 de la directive). Les VLC pour le NO2 sont juridiquement contraignantes depuis le 1er janvier 2010 et devaient donc être respectées à cette échéance. Cependant, la directive autorisait les Etats membres à reporter ce délai jusqu’au 1er janvier 2015 au plus tard à condition qu’un plan relatif à la qualité de l’air soit établi pour la zone de dépassement des VLC à laquelle le report de délai s’appliquerait (article 22.1).
La directive 2008/50/CE (article 23) prévoit que, lorsque dans une zone ou agglomération donnée, les concentrations de polluants dépassent la valeur limite ou la valeur cible fixée aux annexes XI [SO2, NO2, PM10, CO, plomb, benzène] et XIV [PM2,5], majorée de toute marge de dépassement autorisée, les EM sont tenus d’établir des plans relatifs à la qualité de l’air pour cette zone ou agglomération afin d’atteindre la valeur limite ou la valeur cible correspondante.
Ces plans doivent prévoir des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible (article 23.1). Le contenu minimal de ces plans est fixé en annexe (annexe XV, section A et article 24). Les EM concernés devaient soumettre ces plans à la Commission le plus rapidement possible, et au plus tard deux ans après la fin de l’année au cours de laquelle le premier dépassement a été constaté.
Le contentieux entre l’UE et la France et la condamnation de la France par la CJUE
Pour un retour chronologique sur les principales étapes de la procédure précontentieuse, voir notre article.
Arrêt de la CJUE
Le 24 octobre 2019, la France avait été condamnée par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) pour non-respect de la directive 2008/50/CE relative à la qualité de l’air ambiant (affaire n°C-636/18). Plus spécifiquement, dans son arrêt, la CJUE a condamné la France à deux titres :
- dépassement de manière systématique et persistante la VLC annuelle pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans 12 agglomérations et zones de qualité de l’air françaises[1], et dépassement de manière systématique et persistante la VLC horaire pour le NO2 depuis le 1er janvier 2010 dans deux agglomérations et zones de qualité de l’air françaises[2]. La CJUE souligne que ce faisant, la France a continué de manquer, depuis cette date, aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XI, et ce depuis l’entrée en vigueur des valeurs limites le 1er janvier 2010 ;
- manquement, depuis le 11 juin 2010, aux obligations qui incombent à la France en vertu de l’article 23.1 de la directive 2008/50/CE et de son annexe XV, et en particulier à l’obligation de veiller à ce que la période de dépassement soit la plus courte possible.
Comme la CJUE l’a rappelé dans un communiqué publié le 24 octobre 2019, un Etat membre visé par un tel arrêt de la CJUE est alors juridiquement contraint de prendre des mesures supplémentaires pour réduire la pollution de l’air : ainsi, la France devait se conformer à cet arrêt dans les meilleurs délais. A défaut, la CJUE peut imposer des amendes (voir encadré Contexte en fin d’article sur la procédure d’infraction).
Deuxième lettre de mise en demeure
Le 3 décembre 2020, la Commission européenne avait annoncé dans un communiqué qu’elle avait formellement demandé à la France d’exécuter l’arrêt rendu par la CJUE le 24 octobre 2019. La Commission avait indiqué dans ce communiqué qu’elle reconnaissait les efforts consentis par les autorités françaises pour améliorer la qualité de l’air. Toutefois, à l’exception de la zone de Clermont-Ferrand, ces efforts n’étaient pas encore suffisants pour limiter autant que possible les dépassements dans le temps. La Commission avait donc ensuite demandé à la France, via une 2e lettre de mise en demeure, procédure formelle prévue par le Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE, article 260 – voir encadré ci-dessous, étape 4), d’adopter et de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour remédier à la situation et faire en sorte que la période de dépassement soit la plus courte possible (lire notre article).
La France disposait alors d’un délai de deux mois pour répondre aux préoccupations soulevées par la Commission. À défaut, cette dernière pouvait renvoyer l’affaire devant la CJUE et proposer que des sanctions financières soient infligées à la France (pour comprendre les quatre étapes de la procédure d’infraction de l’UE, voir encadré ci-dessous).
La lettre en demeure complémentaire adressée par la Commission européenne à la France le 7 février 2024 est la troisième (après la deuxième du 3 décembre 2020 et la première du 19 juin 2015), et est donc en réponse, quoique très tardivement, aux efforts consentis par la France pour se mettre en conformité avec les obligations découlant de l’arrêt du 24 octobre 2019.
L’objet précis du nouvel avertissement de la Commission à l’encontre de la France : conformité incomplète avec l’arrêt de la CJUE
La Commission souligne que depuis l’arrêt du 24 octobre 2019, la France a pris certaines mesures et que de nouveaux plans relatifs à la qualité de l’air ont été adoptés dans certaines zones de mesure de la qualité de l’air afin de renforcer les actions existantes. Toutefois, la France ne s’est toujours pas conformée à l’arrêt de la CJUE en ce qui concerne les valeurs limites annuelles de NO2 dans quatre zones de mesure de la qualité de l’air : Paris, Lyon, Strasbourg et Marseille-Aix. Quatorze ans après le délai fixé par la directive et plus de quatre ans après l’arrêt de la CJUE, les mesures adoptées jusqu’à présent n’ont pas permis de résoudre efficacement la question. Pour tenir compte des mesures supplémentaires prises par la France, des données de surveillance les plus récentes et de la jurisprudence récente de la CJUE, la Commission envoie une lettre de mise en demeure complémentaire à la France.
Prochaines étapes
La France dispose à présent d’un délai de deux mois pour répondre et remédier aux manquements constatés par la Commission. En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission pourrait décider de saisir la CJUE, avec une demande d’infliger des sanctions financières.
Condamnation par la CJUE de la France : un cas qui n’est pas isolé
La France n’est pas le seul Etat membre à avoir été condamné par la CJUE pour non-respect des VLC de la directive 2008/50/CE. A ce jour, la CJUE a rendu huit autres arrêts contre plusieurs Etats membres pour non-respect de la directive 2008/50/CE :
- le 5 avril 2017, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre de la Bulgarie pour non-respect des VLC applicables aux PM10. Il s’agissait de la première fois que la CJUE avait rendu un jugement contre un EM pour non-respect de la législation de l’UE sur la qualité de l’air ;
- ce cas a créé un précédent car le 22 février 2018, la CJUE a rendu un 2e arrêt, à l’encontre de la Pologne, pour non-respect des VLC journalière et annuelle pour les PM10 sur la période 2007-2015, pour non-adoption, dans des plans sur la qualité de l’air, des mesures appropriées visant à réduire la période de dépassement des VLC, et pour transposition incomplète de la directive 2008/50/CE ;
- le 10 novembre 2020, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre de l’Italie pour non-respect de la VLC journalière et de la VLC annuelle pour les PM10 dans plusieurs zones du pays sur la période 2008-2017, pour ne pas avoir adopté de mesures appropriées pour garantir le respect des valeurs limites fixées pour les PM10 dans l’ensemble de ces zones, et pour non-respect de l’obligation prévue à l’article 23.1 de veiller à ce que la période de dépassement des VLC soit la plus courte possible ;
- le 4 mars 2021, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre du Royaume-Uni pour non-respect des VLC annuelle et horaire du NO2 dans plusieurs zones sur la période 2010-2017 [alors qu’il était encore Etat membre de l’UE], pour ne pas avoir adopté de mesures appropriées pour garantir le respect de cette VLC dans l’ensemble de ces zones et pour non-adoption, dans des plans sur la qualité de l’air, des mesures appropriées visant à réduire la période de dépassement de ces VLC ;
- le 3 juin 2021, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre de l’Allemagne pour non-respect des VLC annuelle et horaire pour le NO2 dans plusieurs zones du pays sur la période 2010-2016, pour ne pas avoir adopté de mesures appropriées pour garantir le respect de cette VLC dans l’ensemble de ces zones et pour non-adoption, dans des plans sur la qualité de l’air, des mesures appropriées visant à réduire la période de dépassement de ces VLC ;
- le 12 mai 2022, la CJUE a rendu un deuxième arrêt à l’encontre de l’Italie, cette fois, pour non-respect de la VLC annuelle pour le NO2 dans plusieurs zones depuis 2010, pour ne pas avoir adopté de mesures appropriées pour garantir le respect de cette VLC dans l’ensemble de ces zones et pour non-adoption, dans des plans sur la qualité de l’air, des mesures appropriées visant à réduire la période de dépassement de ces VLC ;
- le 12 mai 2022, la CJUE a rendu un deuxième arrêt à l’encontre de la Bulgarie, cette fois, pour non-respect de la VLC horaire pour le SO2 dans le sud-est du pays depuis 2007 ;
- le 23 mars 2023, la CJUE a rendu un arrêt à l’encontre de la Grèce pour dépassement systématique et persistante de la VLC journalière pour les PM10 de 2005 à 2012, en 2014, puis de nouveau de 2017 à 2019 dans l’agglomération de Thessalonique, et pour ne pas avoir adopté de mesures appropriées pour garantir le respect de cette VLC dans cette zone et pour non-adoption, dans des plans sur la qualité de l’air, des mesures appropriées visant à réduire la période de dépassement de cette VLC.
C’est sur les deux premiers arrêts de cette liste que la CJUE s’est appuyée pour rendre son arrêt contre la France le 24 octobre 2019 et elle s’est appuyée sur l’ensemble de ces arrêts pour rendre son arrêt du 28 avril 2022 à l’encontre de la France pour non-respect des VLC des PM10.
En savoir plus
Communiqué de la Commission européenne du 7 février 2024.
Contexte : qu’est-ce que la procédure d’infraction de l’UE ?
En tant que « gardienne » des Traités de l’UE, la Commission est chargée de veiller, avec la Cour de Justice de l’UE (CJUE), à ce que le droit européen soit appliqué correctement dans les Etats membres (EM).
En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE, article 258), la Commission peut poursuivre en justice un EM qui manque aux obligations qui lui incombent au titre de la législation de l’UE. Elle engage ainsi une procédure juridique dite procédure d’infraction qui se déroule en quatre étapes :
Etape 1 : mise en demeure
La Commission envoie une lettre de mise en demeure [demande d’informations] à l’EM (article 258).
Etape 2 : avis motivé
Si la Commission n’est pas satisfaite des informations reçues et conclut que l’EM ne s’acquitte pas de ses obligations juridiques, elle peut ensuite lui envoyer un avis motivé [demande formelle de s’y conformer] (article 258).
Etape 3 : saisine de la CJUE (assignation devant la CJUE) + arrêt contraignant
Si l’EM ne s’y conforme toujours pas, la Commission peut alors décider de saisir la CJUE (article 258) qui, si elle le juge nécessaire, rend un arrêt contraignant.
Etape 4 : 2e saisine de la CJUE + sanctions financières
Si malgré ce 1er arrêt, la Commission estime que l’EM n’a pas pris les mesures pour exécuter l’arrêt de la CJUE, elle peut, après avoir mis cet EM en demeure de présenter ses observations, saisir une 2e fois la CJUE, en lui demandant d’imposer des sanctions financières sur la base d’un montant proposé par la Commission (article 260). Ces sanctions financières peuvent prendre la forme, via un 2e arrêt de la CJUE, d’une somme forfaitaire et/ou une indemnité journalière (astreinte), à dater du 2e arrêt de la CJUE jusqu’à ce qu’il soit mis un terme à l’infraction. Ces sanctions financières sont calculées en tenant compte de l’importance des règles violées et de l’incidence de l’infraction sur les intérêts généraux et particuliers ; de la période pendant laquelle le droit de l’UE n’a pas été appliqué et de la capacité de paiement de l’Etat membre, garantissant l’effet dissuasif de l’amende. Dans son 2e arrêt, la CJUE peut modifier le montant proposé par la Commission.
[1] Marseille, Toulon, Paris, Auvergne-Clermont-Ferrand, Montpellier, Toulouse Midi-Pyrénées, zone urbaine régionale (ZUR) Reims Champagne-Ardenne, Grenoble Rhône-Alpes, Strasbourg, Lyon Rhône-Alpes, ZUR Vallée de l’Arve Rhône-Alpes et Nice.
[2] Paris et Lyon Rhône-Alpes.