Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : le Parlement européen soutient un dispositif en parallèle avec le maintien des allocations de quotas à titre gratuit
Le Parlement européen (PE), réuni en séance plénière le 10 mars 2021, a adopté une résolution (non contraignante) soutenant la mise en place d’un mécanisme européen d’ajustement des émissions de carbone aux frontières (en anglais : carbon border adjustment mechanism ou CBAM) (voir encadré ci-dessous). La résolution a été adoptée sur la base d’un rapport dit d’initiative non législative (voir éclairage du Citepa en fin d’article).
Vers la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières
Chiffres clés
Selon une étude (« Revising emission responsibilities through consumption based accounting« ) publiée le 17 janvier 2019, le ratio émissions de CO2 importées vers l’UE versus émissions de CO2 exportées de l’UE était de 3 : 1 en 2015, l’UE ayant importé 1,3 Gt CO2 et en ayant exporté 424 Mt CO2. Par ailleurs, selon la résolution du PE, les importations nettes de biens et de services dans l’UE représentent plus de 20% des émissions de CO2 de l’UE.
Historique de l’initiative
Dans son programme pour l’Europe (16 juillet 2019), la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (lire notre article), avait indiqué qu’elle introduirait une « taxe carbone aux frontières » pour éviter les fuites de carbone. Dans sa communication sur le pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), publiée le 11 décembre 2019 (lire notre dossier de fond), la Commission avait indiqué que, si les écarts entre les niveaux d’ambition climat à travers le monde persistent alors que l’UE renforce son ambition climatique, la Commission proposerait un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (en anglais : carbon border adjustment mechanism ou CBAM) pour certains secteurs afin de réduire le risque de fuite de carbone (lire notre article).
La Commission a mené une consultation des parties prenantes sur le sujet d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE du 4 mars au 1er avril 2020 (lire notre brève qui comporte notamment des éléments de contexte). Elle a ensuite mené une consultation publique du 22 juillet au 28 octobre 2020 (lire notre brève).
Quant au PE, il a publié, le 14 avril 2020, une série de quatre notes d’analyse sur un futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, examinant des questions liées au commerce, les différentes options possibles, leurs avantages et inconvénients, leurs coûts, leurs conséquences, etc. (lire notre brève).
La Commission prévoit de présenter une proposition de directive au deuxième trimestre 2021.
Dans la résolution, adoptée par 444 voix pour, 70 contre et 181 abstentions, les eurodéputés soutiennent la mise en place, au 1er janvier 2023, d’un CBAM, à condition qu’il soit compatible avec les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) et les accords de libre-échange de l’UE. Ils estiment qu’un CBAM encouragerait les industries européennes et les partenaires commerciaux de l’UE à décarboner leurs industries, et qu’il appuierait ainsi les politiques climat de l’UE et celles adoptées au niveau multilatéral conformément aux objectifs de l’Accord de Paris.
Quels secteurs couvrir ?
Selon la résolution, le PE considère que, pour prévenir d’éventuelles distorsions sur le marché intérieur et le long de la chaîne de valeur, le CBAM devrait couvrir toutes les importations de produits couverts par le SEQE de l’UE, y compris lorsqu’ils sont incorporés dans des produits intermédiaires ou finaux. Il souligne que, dans une première phase (dès 2023) et à la suite d’une analyse d’impact, le CBAM devrait couvrir le secteur de l’électricité et les secteurs industriels à forte intensité d’énergie tels que ceux du ciment, de l’acier, de l’aluminium, du raffinage de pétrole, du papier, du verre, des produits chimiques et des engrais, qui continuent de bénéficier de quotas gratuits en quantités importantes et représentent encore 94% des émissions de CO2 du secteur industriel de l’UE.
Articulation du mécanisme avec la révision du SEQE
La résolution souligne l’importance :
- d’étudier les modalités pour la conception d’un CBAM couplée à la révision du SEQE de l’UE, de façon à garantir leur complémentarité et leur cohérence et d’éviter un chevauchement qui entraînerait une double protection des industries de l’UE ;
- de mettre en place un processus transparent pour l’élaboration du CBAM, notamment en nouant un dialogue avec l’OMC et les partenaires commerciaux de l’UE, en coordination avec le PE, et en évaluant et comparant l’efficacité, l’efficience et la faisabilité juridique des différentes formes d’un tel mécanisme et ce, en vue de réduire les émissions mondiales totales de GES.
Le PE insiste sur le fait que l’objectif premier du CBAM est la protection de l’environnement et que les critères environnementaux devraient donc jouer un rôle essentiel dans le choix de l’instrument, en garantissant un prix du carbone prévisible et suffisamment élevé qui encourage les investissements de décarbonation afin d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Volte-face du PE : finalement il soutient le maintien de l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit
Actuellement, une mesure est déjà en place dans l’UE pour lutter contre les fuites de carbone : l’allocation, à titre gratuit, de quotas d’émissions de GES à certains secteurs jugés exposés aux risques de fuites de carbone – c’est-à-dire que l’UE considère que si les sites concernés devaient acheter aux enchères leurs quotas d’émission, il y aurait un fort risque que de délocalisation de leurs activités en dehors de l’UE. La question de savoir si le CBAM doit remplacer ou compléter ce dispositif existant a fait l’objet d’un revirement du Parlement européen.
En effet, la version initiale de la résolution, adoptée par la Commission Environnement (dit ENVI) du PE le 5 février 2020 et soumise au PE pour examen et adoption le 15 février 2021, a souligné que « le CBAM devrait constituer une alternative aux mesures actuelles en matière de fuite de carbone dans les secteurs couverts par le SEQE de l’UE, dans la mesure où il créerait des conditions de concurrence équitables entre les producteurs de l’UE et de pays tiers grâce à l’application d’une taxe sur les émissions de carbone intégrées de tous les produits de ces secteurs, quelle que soit leur origine« . En outre, « la mise en œuvre du CBAM devrait donc aller de pair avec la suppression progressive, parallèle, rapide et totale à terme de ces mesures pour les secteurs concernés, afin d’éviter une double protection des installations de l’UE, tout en évaluant l’impact sur les exportations et les secteurs dépendants tout au long de la chaîne de valeur« . Le PE « souligne que la conception du CBAM devrait respecter un principe simple selon lequel une tonne de carbone ne devrait pas être protégée deux fois » (cf. paragraphe 28).
Or, la version finale de la résolution adoptée par le PE en plénière, le 10 mars 2021, cette préconisation a été supprimée : « la mise en œuvre du CBAM devrait éviter une double protection des installations de l’UE, tout en évaluant l’impact sur les exportations et les secteurs dépendants tout au long de la chaîne de valeur […] la conception du CBAM devrait respecter un principe simple selon lequel une tonne de carbone ne devrait pas être protégée deux fois« (cf. paragraphe 28).
Selon certains observateurs, le maintien des allocations gratuites pourrait être considéré par l’OMC, entre autres, comme étant une politique commerciale protectionniste si la valeur des allocations gratuites dont bénéficient les entreprises européennes concernées n’était pas répercutée sur le CBAM. Si l’UE décide de maintenir les allocations gratuites, il faudrait que le CBAM corresponde à un taux d’imposition plus faible en conséquence, ce qui risque de réduire l’impact du CBAM sur le climat.
Prochaines étapes
Avec cette nouvelle résolution, le PE vise à nourrir les réflexions de la Commission dans le cadre de ses travaux d’élaboration d’une proposition législative en juin 2021.
En savoir plus
Fiche de procédure de l’initiative du PE
La résolution définitive adoptée (par le PE en plénière)
La résolution initiale adoptée (par la Commission ENVI)
La page du site de la DG CLIM consacrée aux allocations gratuites dans le cadre du SEQE
La page du site de la DG CLIM consacrée aux fuites de carbone dans le cadre du SEQE
L’éclairage du Citepa
Qu’est ce que la procédure d’initiative du Parlement européen ?
L’initiative législative appartient à la Commission. Toutefois, le Traité de Maastricht, renforcé par le Traité de Lisbonne, a accordé au Parlement européen (PE) un droit d’initiative législative qui lui permet de demander à la Commission de soumettre une proposition.
Initiative en vertu de l’article 225 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
Conformément à l’article 225 du TFUE, le PE, statuant à la majorité de ses membres, peut, sur la base d’un rapport établi par l’une de ses commissions, demander à la Commission de soumettre toute proposition législative appropriée (rapport dit d’initiative législative ou INL). Il peut en même temps fixer un délai pour la présentation de cette proposition. La commission parlementaire compétente doit au préalable demander l’autorisation de la Conférence des présidents. La Commission peut soit marquer son accord, soit refuser de soumettre la proposition législative demandée.
Une proposition d’acte de l’UE sur la base du droit d’initiative accordé au PE par l’article 225 du TFUE peut également être demandée par un député européen à titre individuel. Cette proposition est soumise au Président du PE, qui la transmet pour examen à la commission compétente. Celle-ci peut décider de la soumettre à la plénière.
Rapports d’initiative
En vertu de l’article 46 du règlement intérieur du PE, dans le cadre où les traités européens confèrent un droit d’initiative au PE, les commissions du PE peuvent établir un rapport sur un objet relevant de leur compétence et présenter en la matière une proposition de résolution au Parlement (rapport dit d’initiative non législative ou INI). Elles devront demander, avant toute proposition de rapport, l’autorisation auprès de la Conférence des présidents. Si les initiatives législatives (rapports INL) n’ont acquis une valeur constitutionnelle qu’avec le traité de Maastricht, les initiatives non législatives (rapports INI) constituent depuis toujours un instrument d’expression des inquiétudes et suggestions de la majorité parlementaire. A la différence des rapports INL, les rapports INI n’ont pas de base juridique dans le TFUE.
(Source : Parlement européen (procédure d’initiative, droit d’initiative du PE et article 46 du règlement intérieur du PE).