Impact du Covid-19 sur les émissions de GES : nouvelles estimations
Le Citepa avait précédemment réalisé des synthèses sur les premières approximations de l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux mesures de lutte contre le COVID-19 lire notre article de mars 2020 et notre article d’avril 2020). Ces estimations se basaient sur des scénarios et des hypothèses, notamment la baisse du PIB. Depuis quelques semaines, des travaux ont pu affiner ces informations et proposer des estimations plus précises et plus fiables.
Impact sur les émissions mondiales : des estimations de plus en plus précises
En attendant les exercices d’inventaire nationaux d’émissions de GES, qui fourniront le bilan officiel des émissions de chaque Etat pour l’ensemble de l’année 2020 (voir encadré en fin d’article), plusieurs travaux ont proposé une pré-estimation des émissions évitées début 2020, en se basant sur diverses données et divers indicateurs.
Le 9 avril 2020, une analyse du site spécialisé Carbon Brief cherchait à estimer l’impact des mesures contre la pandémie sur les émissions mondiales de CO2, en mobilisant des données relatives aux émissions de la Chine, des Etats-Unis, de l’UE, de l’Inde et du secteur pétrolier mondial, le tout couvrant environ 75% des émissions mondiales. Cette analyse suggère une baisse possible en 2020 de 2 GtCO2 sur la base de ces pays seulement.
Le 30 avril 2020, l’AIE a projeté, quant à lui, que les émissions de CO2 pourraient connaître une diminution de 8% en 2020, soit -2,6 Gt CO2 (lire notre article sur le sujet).
Dans un article scientifique publié le 19 mai 2020 dans la revue Nature Climate Change, plusieurs scientifiques membres d’organismes internationaux de recherche sur le climat (dont Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat, HCC – lire notre article sur le sujet) ont estimé l’effet des mesures de confinement dans le monde sur les émissions de CO2. Ils en déduisent que, jusqu’à début avril 2020, les émissions mondiales journalières de CO2 ont été réduite de -17% [fourchette d’estimation : -11% à -25%] par rapport au niveau de 2019. Le graphique ci-dessous, à gauche, présente les émissions de CO2 journalières, avec une baisse inédite début 2020. Le graphique à droite détaille la courbe 2020 selon les mois, et présente le niveau d’incertitude.
Selon les auteurs, près de la moitié de cette réduction serait due aux transports de surface. Le graphique ci-dessous présente les réductions des émissions journalières de CO2, cette fois-ci déclinées par grand secteur. On constate que la baisse la plus forte concerne les transports de surface et le transport aérien.
L’impact sur le total émis en 2020 dépendra de la durée des mesures de confinement : l’évolution 2019-2020 pourrait donc être de -4% à -7%. [Pour avoir un ordre de grandeur, l’AIE estime les émissions de CO2 liées à l’usage d’énergie fossile à 33,3 GtCO2 en 2019 (lire notre article sur le sujet). Une baisse de -4% à -7% pourrait donc représenter entre 1,3 et 2,3 Gt CO2 en moins.]. Les auteurs notent que leur estimation sont compatibles avec des projections faites par le FMI (Fonds Monétaire International), de -5,7% d’émissions de CO2 en 2020 et faites par l’AIE (-8%).
Un autre article scientifique (Liu et al., en revue, pré-publié le 28 avril 2020), rédigé par une équipe internationale majoritairement chinoise mais incluant des auteurs français (Philippe Ciais du LSCE, Olivier Boucher,…), propose aussi une pré-estimation de l’impact du Covid-19 sur les émissions mondiales. Contrairement aux travaux précédemment cités, leur estimation se base sur des données d’émissions provenant directement des secteurs de l’énergie et de l’industrie, des données en quasi temps réel sur les transports, etc. Ils montrent ainsi que la crise aurait eu pour effet une diminution de -5,8% des émissions de CO2e par rapport à 2019, (estimation depuis mise à jour à -7,3% en incluant le mois d’avril, soit 886 Mt CO2e évités). Leur analyse vient étayer les analyses précédentes, en notant les baisses les plus importantes dans les transports, tant maritime (‑13% par rapport à 2019), routier (‑8,3%) qu’aérien (‑8%), l’industrie (‑7,1%). A noter, souligne aussi les auteurs, que la douceur des températures dans l’hémisphère Nord début 2020 a aussi contribué à réduire les émissions liées au chauffage. Enfin, ils notent un retour à des émissions équivalentes au niveau de 2019 en fin de période en Chine, signe, encore une fois, du caractère temporaire des ces réductions, fussent-elles massives. Les graphiques ci-dessous présentent les émissions journalières de GES mondiales (en MtCO2e/jour) début 2020, et, pour comparaison, début 2019 (en pointillés).
L’espace grisé entre les deux courbes permet de visualiser l’écart entre les deux années et donc le niveau d’émission évitées par rapport à un scénario où les émissions auraient été égales à 2019. (NB. 2/1, 3/1, 4/1 : 1er fév., 1er mars, 1er avril)
Un troisième article scientifique, publié le 13 mai 2020, par ICOS (Integrated Carbon Observation System) portant quant à lui sur des villes européennes (Bâle, Berlin, Florence, Pesaro, Helsinki, Héraklion, Londres), montre que les mesures contre que le COVID-19 ont entraîné une baisse des émissions de CO2 mesurables à l’échelle locale, avec des réductions ponctuelles pouvant aller de -8% à Berlin (en zone végétalisée) jusqu’à -75% à Héraklion (en zone densément urbanisée).
Quels impacts sur les émissions de GES en France ?
En France, les AASQA, en suivant les baisses de concentrations de polluants atmosphériques, se sont aussi intéressées aux baisses des émissions de GES. Airparif estimait ainsi, dans sa note du 21 avril 2020, une baisse possible de -30% des émissions de CO2 en Ile de France sur la période du 17 mars au 6 avril 2020.
Le 22 avril, le HCC a publié un rapport (lire notre article) qui proposait une première estimation des réductions d’émissions en 2020 par rapport à 2019, qui irait de -5 % à -15 % (soit entre 25 et 70 MtCO2e évitées). Malgré le caractère inédit des mesures de lutte contre la pandémie, celles-ci n’ont surtout eu un impact fort que sur le secteur des transports. Les émissions de l’aviation ont été réduites de 75%, mais elles ne représentent qu’une faible part des émissions totales de GES de la France (1%, mais 5% si on inclut la part internationale exclue du total national). C’est surtout le transport routier, avec une baisse pré-estimée de 60% pendant le confinement, qui explique la baisse générale observée. Les émissions de l’industrie manufacturière et de l’énergie auraient baissé, mais moins fortement (respectivement -27 % et -15%), le niveau des activités s’étant réduit mais pas complètement arrêté. La baisse des émissions des bâtiments publics et commerciaux (secteur tertiaire) est en partie contrebalancée par une hausse des émissions du résidentiel, mais le secteur résidentiel-tertiaire aurait cependant connu une baisse globale de (-15%). Enfin, le HCC note que les émissions des secteurs de l’agriculture et des déchets seraient inchangées selon leurs calculs. A noter que les prochains inventaires du Citepa permettront de fournir une estimation précise du bilan 2020 (voir encadré en fin d’article).
L’article scientifique international mentionné plus haut (Liu et al. 2020, en revue) propose, en plus d’une estimation mondiale, une estimation pour différents pays dont la France. Le graphique ci-dessous montre les émissions journalières (en Mt) début 2020 (courbe pleine bleue) comparées à 2019 (en pointillé). L’espace en bleu entre les deux courbes met en avant les émissions évitées en 2020 par rapport à la même période en 2019. On observe ainsi, début février, une baisse importante de -7% (-6 MtCO2) par rapport à 2019.
Tous les auteurs soulignent qu’il s’agit de réductions massives mais temporaires et conjoncturelles des émissions. Le suivi des émissions sur le reste de l’année et sur le long terme permettra de voir si des réductions structurelles et durables sont observées.
L’éclairage du Citepa
Prise en compte de l’impact du Covid-19 dans l’inventaire d’émissions de GES en France
Le Citepa suivra l’impact du Covid-19 sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) (et de polluants atmosphériques) en France mais il faudra attendre deux ans avant de pouvoir quantifier précisément l’impact cet évènement sur le bilan annuel. En effet, à la fin de l’année 2021, nous finaliserons les estimations du bilan des émissions de l’année 2020, dont les résultats, une fois validés, seront publiés début 2022. En attendant, au printemps 2021, l’édition de l’inventaire national Secten relative aux émissions 1990-2019 fournira, une pré-estimation provisoire des émissions de 2020.
En savoir plus
Le Quéré, C., et al. (2020). Temporary reduction in daily global CO2 emissions during the COVID-19 forced confinement. Nature Climate Change, 1-7. Lire en ligne
Liu, et al. (2020, en revue). COVID-19 causes record decline in global CO2 emissions. Lire en ligne
Dario Papale, et al. (2020) Clear evidence of reduction in urban CO2 emissions as a result of COVID-19 lockdown across Europe. (PDF)