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Les émissions de CO2 liées à la consommation et aux échanges: résultats d’une étude américaine

  • Réf. : 2010_05_a2
  • Publié le: 1 mai 2010
  • Date de mise à jour: 24 mai 2019
  • International

Les résultats d’une étude menée par l’organisme de recherche américain Carnegie Institution of Washington (CIW) sur les émissions de CO2 liées à la consommation de produits et de services ont été publiés le 8 mars 2010 dans la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Ces travaux font suite à d’autres études récentes sur ce sujet réalisées par l’Agence suédoise pour la protection de l’environnement (novembre 2008) et le Ministère britannique de l’Environnement (juillet 2008) (1) .

Methodologie

Les deux chercheurs du CIW auteurs de l’étude, Steven J. Davis et Ken Caldeira, ont obtenu leurs résultats à partir d’un modèle d’intégration des données d’entrée et de sortie multirégionales (MRIO), élaboré en s’appuyant sur les statistiques d’échanges mondiaux en 2004. Ces données ont été désagrégées selon 113 pays/régions pour 57 secteurs industriels. Le modèle a permis d’attribuer les émissions mondiales de CO2 aux pays et aux secteurs industriels en fonction de la demande finale des consommateurs en biens, et non par rapport à la demande du secteur industriel en termes de matières premières ou de biens intermédiaires. Tous les résultats d’émissions obtenus portent sur l’année 2004 .

L’analyse MRIO est basée sur les flux monétaires entre les secteurs industriels et entre les pays/régions, en considérant notamment les produits de chaque secteur fabriqués dans une région et consommés dans une autre. Ce cadre a permis de calculer les émissions de CO2 liées à la consommation dans chaque région à partir des données d’émission de CO2 spécifiques aux régions et aux secteurs industriels par unité de production. Au niveau global, la différence entre les émissions liées à la consommation et les émissions liées à la production représente l’effet net des émissions liées aux échanges commerciaux, ce qui équivaut aux émissions liées aux importations moins les émissions liées aux exportations .

Resultats

Les grands flux interrégionaux des émissions de CO2 liées aux échanges provenant des principaux pays exportateurs (en bleu / violet ) vers les principaux pays importateurs (en orange / marron ) en 2004 (Mt CO2 )

Les émissions de CO2 liées aux échanges

Environ 6,2 Gt de CO2 (soit 23% des émissions totales mondiales de CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles) ont été émises en 2004 lors de la production de biens consommés dans un autre pays. L’étude fait ressortir une tendance lourde : l’exportation des émissions de CO2 liées à la fabrication de produits en Chine vers les consommateurs aux Etats-Unis, au Japon et en Europe de l’Ouest . Rien qu’en Chine, 1,4 Gt des émissions de CO2 en 2004 étaient liées à la production de biens consommés dans d’autres pays.

Ainsi, la Chine est le principal pays exportateur net des émissions de CO2 (1 147 Mt en 2004), suivie, de loin, de la Russie (286 Mt).

L’important déséquilibre dans les émissions de CO2 liées aux échanges de la Chine s’explique par les exportations de machines (134 Mt CO2 ), de produits électroniques (117 Mt), de vêtements (80 Mt), de textiles (37 Mt), ainsi que de biens intermédiaires (787 Mt).

Quant aux principaux pays importateurs nets , les Etats-Unis figurent en tête (699 Mt CO2 ), suivis du Japon (284 Mt), du Royaume-Uni (253 Mt), de l’Allemagne (233 Mt) et de la France (170 Mt). Aux Etats-Unis, ces émissions sont essentiellement liées aux importations de machines (91 Mt CO2 ), de produits électroniques (77 Mt), de véhicules à moteur et de pièces (75 Mt), de vêtements (42 Mt), ainsi que de biens intermédiaires (654 Mt). La situation est semblable en Europe de l’Ouest et au Japon où les émissions de CO2 liées aux importations sont élevées dans les deux cas pour satisfaire la demande interne en biens de consommation.

Le CITEPA et les émissions indirectes

Le CITEPA a mis au point en 2009 une méthodologie permettantde déterminer les émissions indirectes d’un territoire (collectivité,région, département, ville) qui est distincte et complémentaire des émissions directes. Souvent opposées l’une à l’autre en raison de difficultés à définir des périmètres pertinents et des méthodes cohérentes, les deux approches consistant à déterminer les émissions directes et indirectes peuvent être compatibles et cohérentes. Le module de calcul du CITEPA, qui a déjà été mis en pratique pour une région française, constitue une démarche pertinente car elle permet à un territoire de disposer d’une vision globale pour mieux cerner les enjeux et mieux se situer dans le cadre de son Plan Climat Energie Territorial et de son Schéma Régional Climat Air Energie.

Le contenu en CO2 des échanges

Le contenu en CO2 des échanges (en kg CO2 /$ US d’importations ou d’exportations) est calculé à partir de ratios d’émissions de CO2 par unité d’énergie et de consommation énergétique par $ US des échanges. Le contenu en CO2 élevé des produits exportés en provenance des marchés émergents (Chine, Inde, Russie) reflète donc la prédominance des combustibles à fort contenu en CO2 dans ces pays, ainsi que la faible valeur de ces produits exportés. Par contre, les produits exportés en provenance de l’Europe de l’Ouest et du Japon ont une valeur plus élevée par unité d’énergie nécessaire à leur production et une plus grande part de cette énergie est à faible intensité en CO2 . En outre, les produits importés vers l’Europe de l’Ouest et le Japon ont un plus fort contenu en CO2 par $ US que les produits exportés de ces deux régions, ce qui montre l’importation de produits intensifs en énergie d’autres régions.

Contenu moyen en CO2 des produits importés et exportés (principaux pays importateurs/exportateurs nets)

Les émissions de CO2 liées à la consommation

Sur la base des émissions de CO2 liées à la consommation , les principaux pays émetteurs sont parmi les économies les plus fortes du monde (Etats-Unis et Chine en tête, respectivement 6 497 Mt CO2 /an et 3 953 Mt CO2 /an – voir 1er tableau). De même, les pays/ régions où les émissions de CO2 liées à la consommation sont les plus faibles (Malawi : 2 Mt CO2 /an, Laos : 2,1 Mt CO2 /an, Madagascar : 3,1 Mt CO2 /an, etc.) sont parmi les pays les moins avancés.

Quant aux émissions de CO2 par habitant liées à la consommation , le Luxembourg est le premier pays du monde (35 t CO2 /hab/an), suivi des Etats-Unis (22 t CO2 /hab/an), la France se situant loin derrière, en 30 e place sur les 113 pays couverts (9,3 t CO2 /hab/an). A l’autre extrémité de l’échelle, ce sont les pays les moins avancés d’Afrique et d’Asie où les émissions de CO2 par habitant liées à la consommation sont les plus faibles (Ethiopie et Ouganda : 0,12 t CO2 /hab/an chacun, Malawi : 0,16 t CO2 /hab/an, Madagascar : 0,17 t CO2 /hab/an, etc.).

Emissions de CO2 liées à la consommation (en valeur absolue et par habitant) – les 10 principaux pays/régions

 

Mt CO2/an

 

t CO2/hab/an

Etats-Unis

6 497

Luxembourg

34,7

Chine

3 953

Etats-Unis

22,0

Japon

1 596

Singapour

20,2

Inde

1 264

Australie

16,7

Russie

1 214

Canada

16,6

Allemagne

1 055

Belgique

15,9

Roy.-Uni

808

Hong Kong

14,8

Moyen-Orient

743

Islande/Liecht.

14,5

Italie

586

Finlande

14,3

France

562

Pays-Bas

14,0

Le contenu en CO2 par unité de PIB

La Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Europe de l’Est et l’Iran ont le plus fort contenu en CO2 par unité de PIB du fait d’une forte intensité énergétique de leur PIB liée à la prédominance de l’industrie lourde et/ou des produits énergétiques. Par contre, malgré des importations nettes d’émissions, plusieurs pays d’Europe de l’Ouest et le Japon ont un faible contenu en CO2 par unité de PIB en raison, d’une part, d’un faible contenu en CO2 de l’énergie (surtout en France et en Suède) et, d’autre part, de la faible intensité énergétique de leur PIB.

Emissions de CO2 liées à la consommation (en kg CO / $ PIB) – les 10 premiers et les 10 derniers pays/régions

Les 10 premiers

kg CO2/$ PIB

Les 10 derniers

t CO2/hab/an

Anciens Etats soviétiques (a)

6,58

Autriche

0,37

Ukraine

3,66

Italie

0,35

Kazakhstan

3,25

Japon

0,34

Iran

2,70

Danemark

0,31

Asie de l’Est

2,65

Irlande

0,30

Biélorussie

2,58

Islande/Liecht.

0,30

Chine

2,36

France

0,27

Viêtnam

2,26

Suède

0,27

Russie

2,13

Suisse

0,24

Inde

1,97

Norvège

0,23

(a)   : Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan (données agrégées).

 

Les travaux en France sur les émissions indirectes de CO2

En France, des travaux sur l’estimation des émissions indirectes, réalisés par le Service de l’Observation et des Statistiques (SOeS) du MEEDDM ont été publiés en décembre 2009 (2) . En particulier, le SOeS a effectué une première estimation concernant les émissions de CO2 liées aux importations de la France pour l’année 2005. Elle montre que celles-ci seraient directement ou indirectement responsables de l’émission de 260 Mt CO2 générées à l’étranger pour satisfaire la demande finale intérieure. Par ailleurs, les exportations françaises seraient à l’origine de 178 Mt   CO2 imputables à la production française destinée à satisfaire une demande étrangère. Il en résulterait donc un solde d’importation nette de CO2 de la France d’environ 82 Mt CO2 en 2005. Si ce solde était ajouté aux émissions nationales directes de CO2 générées sur le territoire national et provenant de la production de biens et de la fourniture de services (secteurs et ménages) pour 2005, soit 417 Mt ( source : CITEPA/CCNUCC mars 2009, hors émissions issues de la biomasse énergétique, hors UTCF, périmètre Kyoto ), un total de 499 Mt CO2 serait obtenu. Ainsi, les émissions de CO2 par habitant par an passeraient de 6,9 t CO2 /hab/an à plus de 8,2 t CO2 /hab/an pour la demande finale française. Les émissions directes de CO2 et des autres polluants ont élaborées chaque année par le CITEPA dans le cadre du Système national d’inventaires des émissions de polluants atmosphériques (SNIEPA) pour le compte du MEEDDM au titre des engagements internationaux et communautaires de la France.

D’autres chiffres clés résultant de l’étude

  • les émissions importées nettes de CO2 des pays européens à forte économie représentent 20 à 50% des émissions totales liées à la consommation (Autriche : plus d’un tiers, Suède : plus de 40%, Suisse et Islande/Liechtenstein : plus de 50%). Cette part est de 17,8% au Japon et de 10,8% aux Etats-Unis. Inversement, les émissions exportées nettes de CO2 de la Chine représentent 22,5% des émissions produites dans ce pays ;
  • en moyenne, chaque Américain consomme des produits qui génèrent 4 t d’émissions de CO2 à l’étranger. L’Européen moyen consomme des biens qui engendrent, selon le pays concerné, 5 à 9 t d’émissions de CO2 en dehors de celui-ci ;
  • la consommation d’un Chinois moyen n’induit que 0,25 t d’émissions de CO2 à l’étranger et sur les 4 t CO2 produites par habitant en Chine, plus d’un quart est exporté.

Pays/région

Total (en Mt CO2)

t CO2/hab

Etats-Unis

 

 

   Production

5 799

19,66

   Consommation

6 497

22,03

   Exportations

520

1,76

   Importations

1 218

4,14

   Echanges nets

+698 (importées)

+2,37

Chine

 

 

   Production

5 100

3,90

   Consommation

3 953

3,02

   Exportation

1 426

1,09

   Importation

279

0,21

   Echanges nets

-1 147 (exportées)

-0,88

Europe

 

 

   Production

2 870

8,53

   Consommation

3 840

11,43

   Exportation

646

1,92

   Importation

1 620

4,83

   Echanges nets

+974 (importées)

+2,90

 

Analyse et Conclusions

La comptabilisation des émissions de CO2 basées sur la consommation montre que de fortes quantités de celles-ci sont exportées et/ou importées, ce qui illustre clairement le potentiel des « fuites de CO2« . Les émissions de CO2 liées aux exportations vers les pays importateurs ne figurent pas dans les inventaires nationaux d’émission traditionnels – basés sur la production – de ces pays importateurs, mais dans ceux des pays exportateurs. L’effet net des échanges est l’exportation des émissions en provenance de la Chine et d’autres pays émergents vers les Etats-Unis, le Japon et l’Europe de l’Ouest. Cette situation renforce la disparité déjà forte des émissions de CO2 par habitant dans le monde et montrent qu’il reste d’importants efforts régionaux de réduction des émissions de CO2 à consentir.

Les auteurs de l’étude soulignent que les émissions de CO2 liées à la consommation pourraient être prises en compte lors de la définition des objectifs de réduction des pays développés dans le cadre des négociations onusiennes sur le climat. Les contraintes à imposer aux pays en développement pour qu’ils limitent leurs émissions de CO2 constituent le principal obstacle à l’adoption d’un accord global efficace. L’attribution de la responsabilité d’une part de ces émissions aux consommateurs finaux dans les pays développés, soit un partage de la responsabilité entre producteurs et consommateurs, pourrait donc représenter une solution de compromis dans ces négociations pour faciliter l’adoption d’un accord. Outre l’occasion d’éclairer les politiques climat, la comptabilisation des émissions de CO2 liées à la consommation renforce l’argument éthique selon lequel la plupart des pays développés – en tant que principaux bénéficiaires de ces émissions et étant davantage en mesure de payer – devraient jouer le rôle moteur dans l’effort mondial de réduction des émissions.

(1) Voir ED n°168 p.III.13. (2) Voir SD’Air n° 174 p.135.

  • Davis S.J., & Caldeira, K., (2010) Consumption based accounting of CO2 emissions , PNAS vol. 107, n° 12 pp.5687-5692
  • ciw.edu/news/features
  • pnas.org/content/107/12/5687.abstract
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